La démocratie française, cette malade bien plus atteinte qu’il n’y paraît<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'un déplacement à bord de la frégate française la Bretagne avant de transmettre ses vœux aux forces militaires à Brest, le 19 janvier 2021.
Emmanuel Macron lors d'un déplacement à bord de la frégate française la Bretagne avant de transmettre ses vœux aux forces militaires à Brest, le 19 janvier 2021.
©STEPHANE MAHE / POOL / AFP

Soins palliatifs

Pour qu’une démocratie fonctionne, il ne suffit pas d’en respecter les règles institutionnelles, un certain nombre de critères fondamentaux doivent aussi être réunis. En voilà 5 qui le sont de moins en moins en France.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Pour qu’une démocratie fonctionne, il faut que le camp des minoritaires n’ait pas l’impression de tout perdre en perdant l’élection et donc que la notion d’intérêt général soit préservée au fil des alternances électorales. Lorsqu'une victoire dans les urnes paraît se faire à l’avantage exclusif des uns et au mépris des préoccupations -économiques, sociales ou identitaires- des autres, les perdants se sentent méprisés, ignorés par une démocratie qui ne reflète plus qu’un rapport de force. La domination des valeurs dites du cercle de la raison n’a-t-elle pas produit d’effets similaires aux yeux des Gilets jaunes et de la France périphérique ?

Edouard Husson : Je crois que ce n’est pas simplement une question de minorité. Au contraire, les référendums sur l’Europe ont montré que le « cercle de la raison » ne représente guère plus du tiers de l’électorat. Il y a eu 55% contre le Traité Constitutionnel Européen en 2005. Il y avait eu 49% contre Maastricht. Et je pense que tout référendum européen aujourd’hui produirait un désaveu encore plus fort du cercle de la raison. Le problème est bien plutôt que le cercle de la raison, en France comme aux USA ou dans d’autres pays, joue l’affrontement « élites » contre « populistes ». Le mot « élites » sera bientôt une antiphrase. Il s’agit en fait du monde de ceux qui ont un diplôme de l’enseignement supérieur contre les autres. Or nous assistons parallèlement à l’effondrement de l’université (au sens générique du terme). Le monde des sciences dures est - dans beaucoup de secteurs -  gangrené par les conflits d’intérêt, la fraude à la publication, comme l’a révélé la crise du COVID 19. Quant aux sciences humaines et sociales, elles sont en train d’être réduites à néant par le « politiquement correct ». Le déclin des facs de sciences sociales et des IEP, la pénétration des écoles de commerce par les idéologies gauchistes sont très impressionnants. Le cercle de la raison gère comme il peut les aléas de l’économie post-2007 mais il s’appuie sur les gauchistes et sur des médias de plus en plus gauchisants et, il y a en arrière-plan une « armée de réserve », comme aurait dit Marx: la population immigrée des métropoles. Cela produit un débat politique totalement déconnecté de la réalité: en pleine épidémie du COVID 19, le gouvernement français se préoccupe de « PMA pour toutes »; en pleine violence islamiste, le cercle de la raison continue à traquer l’islamophobie.

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Pour qu’une démocratie fonctionne, il faut que la possibilité de l’alternance paraisse possible. Les systèmes dont le mode de scrutin ou les alliances politiques verrouillent l’accès au pouvoir sont des systèmes qui tendent à faire basculer dans la violence les minorités dont les aspirations politiques semblent éternellement condamnées à l’opposition. C’est ce qu’on a pu connaître en Allemagne ou en Italie dans les années 70/80 par exemple. Le duel Macron/Le Pen s’inscrit-il dans cette configuration ?

La situation est en fait très différente des années 1970 où vous aviez deux grands blocs qui arrivaient à résoudre démocratiquement leurs différends et une infime minorité d’enfants de la bourgeoisie qui sombraient dans la violence. Vous avez aujourd’hui un « cercle de la raison » profondément violent parce qu’il se sent menacé et minoritaire. Le 24 novembre 2018, avenue Foch, à 10h du matin, la police a chargé à froid sur les Gilets Jaunes. Puis, sans se cacher, le gouvernement a utilisé l’extrême gauche pour manipuler le même mouvement des Gilets Jaunes. Mais la police n’est violente que sur ordre. Or, dans les banlieues, elle a, depuis les émeutes de 2005, ordre de se défendre le moins possible. Là où Nicolas Sarkozy annonçait le kärcher et n’a rien fait, Emmanuel Macron, lui, compte sur la violence et l’insécurité des banlieues. Il est très probable - dans l’état actuel de l’opinion - que Marine Le Pen gagne l’élection présidentielle; mais qui nous dit que le président battu ne jouera pas la carte du pire, préférant plonger la France dans les émeutes que de quitter le pouvoir? Nous sommes en fait dans une situation qui est l’inverse de l’apparence. On crie à l’extrême-droite pour un oui pour un non; mais la violence vient de l’extrême-gauche. On reproche à des officiers d’active ou en retraite d’avertir le pouvoir sur le risque de « guerre civile »; mais ils ne sont absolument pas putschistes, ils demandent à la République d’assurer l’ordre. Le COVID 19 était gérable en quelques semaines, à condition de fermer totalement les frontières, de laisser faire les médecins de ville, de confiner les personnes âgées et de laisser faire pour les autres l’immunité de groupe; eh bien nos dirigeants ont mis en place un système de confinement massif, d’interdiction de prescrire, de vaccination potentiellement obligatoire avec la transformation de la population en immense échantillon-test pour des produits insuffisamment expérimentés en amont. La violence du cercle de la raison est inouïe, tout comme la patience de la majorité, qui réagit à la brutalité systémique du pouvoir avec irénisme.

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Un système démocratique est-il en danger lorsqu’il n’existe plus véritablement de majorité sociologique se projetant dans la même conception de ce que serait un avenir commun souhaitable ?

En effet, on peut invoquer les études de Guilluy, de Fourquet et d’autres pour observer l’éclatement de la société française. Mais ce qu’on voit, c’est surtout la manière dont le pouvoir essaie d’empêcher l’émergence d’une vision alternative. Les Gilets Jaunes ont reçu un soutien majoritaire de l’opinion au-delà du moment où le mouvement avait été prise en main par la gauche militante. Il suffirait qu’une personnalité ait le courage de sortir du confort du cercle de la raison et d’aller à la rencontre du peuple pour lui parler liberté et nation à la fois. Marine Le Pen parle de nation mais pas de liberté. Sinon, elle serait déjà à 35% dans les sondages.

Le défaut de responsabilité politique entretient les frustrations et le sentiment de dysfonctionnement démocratique. Que le professeur Salomon soit toujours directeur général de la santé malgré les défauts d’anticipation et les manquements de la gestion de la pandémie paraît difficilement explicable. Idem pour le préfet de police de Paris qui avait revendiqué défendre un camp face aux Gilets jaunes plutôt que la République ou l’ordre public. La moralisation de la vie publique est une thématique récurrente des campagnes électorales. Celle de la responsabilité politique des responsables publics beaucoup moins, comment l’expliquer er surtout comme en sortir ?

Les anciens partis de gouvernement portent une très lourde responsabilité. Les Républicains sont muets sur ce type de question alors qu’ils auraient dû s’engouffrer dans les brèches ouvertes par l’affaire Benalla, par l’incompétence crasse du gouvernement sur la réforme des retraites, par la gestion catastrophique du COVID 19. Mais en fait, cela se comprend très bien. L’appartenance au cercle de la raison est confortable. En 2017, Emmanuel Macron a sauvé un PS moribond. Beaucoup d’élus LR se disent qu’ils seront sauvés à leur tour en 2022 par un Macron amoché mais encore capable d’être élu. Alors pourquoi se fatiguer. Peu importe le flacon pourvu qu’on ait encore même un fond de verre et l’illusion du pouvoir. Et je reviens à ce que je disais tout à l’heure: il y a un inavoué de la vie politique française. Le cercle de la raison est prêt à la violence pour se maintenir. On a tapé comme des sourds sur les Gilets Jaunes; on fera taper demain au nom de la République en danger ceux qui défendront le respect d’un vote populaire entravé. Evidemment, il y a dans toute cette histoire un facteur personnel Macron: il n’est pas de la première finesse à se mettre à dos l’armée, la police, les préfets, à supprimer l’ENA etc…Cependant, il ne faut pas sous-estimer sa cohérence sous l’irrationalité apparente. Macron a compris, exactement comme les démocrates américains, que le seul moyen pour le cercle de la raison de se maintenir au pouvoir, c’est de susciter un climat de « déraison ». La seule chance de survie du cercle de la raison, c’est de se transformer en « cercle d’un chaos de moyenne intensité ». Au bout du conflit des Gilets Jaunes, ces derniers sont vus comme les violents de l’affaire. On sous-estime la violence du « en même temps » mais je crois qu‘Emmanuel Macron l’a découverte de plus en plus avec le temps et en fait désormais un usage très conscient. Il espère empêcher grâce au « en même temps » toute opposition cohérente.  

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La démocratie est-elle malheureusement devenue une valeur désuète ? Une note du Cevipof indique qu’aux yeux d’une part grandissante des Français, certains objectifs politiques -la justice sociale par exemple- justifient qu’on ait moins de démocratie. Et on se souvient de ce récent sondage qui montrait que 49 % des Français considèrent comme acceptable un recours à l’armée même sans sollicitation d’un gouvernement.

Poser la question comme cela, c’est donner tort aux Français a priori. Mais l’étonnant dans l’affaire c’est que les Français soient aussi patients. Encore une fois, l’armée refuse explicitement le putsch. Les plus républicains sont aujourd’hui les électeurs du Rassemblement National. Le coup d’Etat permanent, ce sont les manoeuvres bruxelloises de nos ministres, le rapport du Sénat qui veut profiter de l’après-COVID pour renforcer la surveillance numérique  des citoyens, la transformation autoritaire des villes par des majorités écolos, l’interdiction de prescription de certains médicaments pour les médecins etc…

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