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La déchéance de nationalité est sur toutes les lèvres...mais pourquoi est-elle juridiquement possible ?
©Reuters

La possibilité d'une loi

Alors que le débat entourant la déchéance de nationalité divise la classe politique, certains se posent la question de sa validité juridique. Une question complexe, car elle touche aussi bien au droit national qu'international.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Peut-on réellement retirer la nationalité à un individu ? La question se pose depuis quelques semaines avec l'apparition du débat sur la déchéance de nationalité. Le projet de réforme de la Constitution, qui sera présenté fin janvier, devrait en effet inclure l'extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français et reconnus coupables de faits de terrorisme. Mais au-delà des considérations morales ou éthiques, qu'en est-il de l'aspect juridique ? Actuellement, seuls les binationaux ayant acquis la nationalité française par naturalisation peuvent en être déchu. L'exécutif souhaite donc créer un cas supplémentaire qui serait opposable aux terroristes nés français.

Premièrement, quid des traités nationaux ? Sur le plan du droit, Maître Sabine Sultan Danino explique dans un billet sur son blog qu'il convient tout d’abord de distinguer le régime de la "perte" de la nationalité française, du régime de la "déchéance" de la nationalité française. Elle rappelle que "les articles 23 à 23-9 du code civil définissent les cas pour lesquels la perte de la nationalité française est possible, soit à la demande de la personne elle-même, soit par à titre de conséquence d’un comportement précis qui peut entraîner cette perte de la qualité de français, même sans l’accord de la personne intéressée." Les articles 25 et 25-1 du Code civil traite eux de la "déchéance" de nationalité pour un individu qui a acquis la nationalité française et en détient une autre.

Aujourd'hui, les binationaux de naissance ne sont pas concernés par les dispositions de l’article 25 du Code Civil et donc ne peuvent être déchus de leur nationalité. Si l'article 23-7 du Code civil prévoit la perte de nationalité lorsqu'un citoyen français "se comporte en fait comme le national d'un pays étranger", quel que soit le mode d'acquisition de sa nationalité française (né en France ou naturalisé), cette disposition n'est pas applicable aux djihadistes binationaux. En effet,l'Etat islamique n'est pas reconnu internationalement comme un État.

Pour Didier Maus, spécialiste du droit constitutionnel, "inscrire la déchéance de la nationalité dans la Constitution ne soulève guère de problème constitutionnel. Par définition, la constitution est la norme supérieure de l’ordre juridique national. Cela a été confirmé tant par le Conseil d’État que par la Cour de cassation. Il est donc possible d’y inscrire des normes singulières", explique-t-il.

Mais depuis quelques jours, une autre donnée s'est rajoutée au problème. Pour éviter de stigmatiser les binationaux, le gouvernement réfléchit désormais à étendre cette déchéance à tous les terroristes. Une large partie de l'aile gauche des socialistes s'est en effet indignée de la mesure, esimant qu'elle était blessante envers les binationaux. Lors de ses vœux du 31 décembre, François Hollande a d'ailleurs évoqué la déchéance de nationalité, mais sans parler des binationaux, précisant ne pas vouloir "opposer les Français entre eux".

Problème, étant donné que 1-1 =0, cette décision pourrait créer un statut d'apatride, c'est-à-dire une personne sans nationalité, un statut très particulier. "Les principes du droit international interdisent de créer des situations d'apatrides", avait d'ailleurs indiqué le Premier ministre Manuel Valls le 28 décembre sur Facebook.

Mais la réalité est un peu plus complexe. En effet, la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 prévoit bien dans son article 15 que "tout individu a droit à une nationalité". Cependant, cette déclaration n'est pas contraignante juridiquement. La France pourra donc passer outre.

Europe 1 rappelle néanmoins que la France a bien signé un texte sur la question, le 30 août 1961, une convention interdisant de fait la création d'un individu apatride. Mais le texte est signé et non ratifié, et le gouvernement peut compter sur les exceptions comprises. Notamment celles s'appliquant aux personnes faisant preuve "d'un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'Etat" ou ayant "manifesté de façon non douteuse, par son comportement, sa détermination de répudier son allégeance envers l'Etat contractant". On peut légitimement estimer que le terrorisme remplit ses critères. Par ailleurs, il existe une Convention sur la nationalité, un texte adopté par le Conseil de l’Europe en 1997. Mais l'exécutif ne s'inquiète pas à ce sujet. Et pour cause, la France n'a jamais ratifiée cette Convention.

Il existe donc bien plusieurs "failles" que le gouvernement pourrait exploiter afin de modifier la Constitution (cette modification doit être approuvée par les trois cinquièmes des parlementaires – députés et sénateurs réunis). 

"La vraie limite est d’ordre politique, voire moral", soutient Didier Maus. "Est-ce qu’il existe une majorité parlementaire ou populaire (référendum) pour procéder à la révision ? À la frontière entre l’argumentation strictement juridique et l’attitude morale, il peut être soutenu que la déchéance de nationalité d’une personne ne possédant qu’une seule nationalité est une atteinte à la dignité de la personne humaine, mais en droit français aucune norme constitutionnelle n’est supérieure à une autre. La conciliation serait donc possible. La vraie difficulté juridique peut provenir de la confrontation entre la révision envisagée de la constitution et des normes internationales applicable en France. Il est important de préciser :

1) que la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, texte emblématique et qui prévoit que « Tout individu a droit à une nationalité » (article 15), n’a pas valeur de droit positif en France, comme d’ailleurs dans la plupart des autres pays européens ;

2) il existe une convention du 30 août 1961 qui interdit de créer des apatrides, mais la France n’a pas, à ce jour, ratifié cet accord international. Il n’est donc pas applicable ;

3) la Convention européenne des droits de l’homme ne contient aucune disposition spécifique sur l’acquisition ou la déchéance de la nationalité. Elle contient par contre, de manière indirecte, un principe de dignité de la personne humaine et il serait alors possible de considérer que le fait de créer des apatrides est contraire à cette dignité".

Quelles que soient les modalités qu'inclura le gouvernement dans sa réforme de la constitution, le débat ne risque donc pas de s'éteindre de sitôt.

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