La décadence du consumérisme et le panurgisme médiatique : le cas des salades de 60 Millions de Consommateurs<!-- --> | Atlantico.fr
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Une nouvelle étude du magazine 60 Millions de Consommateurs a trouvé des résidus de pesticides dans 21 marques de salades emballées sur 26 en sachet.
Une nouvelle étude du magazine 60 Millions de Consommateurs a trouvé des résidus de pesticides dans 21 marques de salades emballées sur 26 en sachet.
©Denis CHARLET / AFP

Fausse alerte

Une nouvelle étude du magazine 60 Millions de Consommateurs a trouvé des résidus de pesticides dans 21 marques de salades emballées sur 26 en sachet. Mais cette alerte ne tient pas la route.

André Heitz

André Heitz

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

Voir la bio »

Ça claque sur la couverture : « Salades – Des pesticides plein les sachets ! », puis « 28 molécules différentes identifiées » et « 3,8 résidus de pesticides par salade contaminée ».

Soyons sérieux ! Les sachets contiennent de la verdure – des salades ou de la mâche. Pas des « pesticides ». Il arrive parfois qu'ils contiennent des agents pathogènes... 60 Millions ne s'y est pas intéressé. 

En page intérieure : « Prêtes à l'emploi – À la une – Des salades trop contaminées »... Elles ont toutes été trouvées conformes à la réglementation...

Les rappels conso fréquents ?

60 Millions justifie son article par le fait que « la salade en sachet est un aliment régulièrement rappelé par la Répression des fraudes, pour cause de dépassement de limites légales de résidus ».

Cet argument se retrouve dans nombre de reprises par des médias panurgiques. Il est pourtant faux.

D'une manière générale, les rappels notifiés sont le fait principalement des producteurs et des distributeurs. Rappel Conso ne produit qu'un résultat pour « salade » (de la batavia, présence de Listeria monocytogenes) et quatre événements en juin 2022, manifestement liés, pour de la laitue (dépassement pour le chlorpyrifos).

On nage dans le flou

Des résultats « décevants, voire inquiétants pour une partie des salades en sachet »...

On a « identifié »28 molécules différentes, en ayant cherché 655 molécules grâce à une technique permettant de détecter des quantités infimes ? On aurait testé 52 échantillons au lieu de 26... et on aurait sans doute « identifié » davantage de molécules.

On apprend quand même dans le texte qu'il n'y a eu aucun dépassement des limites maximales de résidus (LMR). Utiliser le mot « contaminé » est dès lors une outrance inacceptable. Et, pour faire bonne mesure, l'auteure évoque « [u]n véritable cocktail » dans le texte... tremblez braves gens !

Bien sûr, il n'y a aucune indication des quantités détectées, ni des molécules en cause. Sauf une :

« Certes, les quantité retrouvées sont dans les clous réglementaires, même pour la plus élevée (0,18 mg/kg de métaflumizone dans la laitue Carrefour le Marché) de l'essai. »

Bien sûr (bis), 60 Millions n'a pas mis ce chiffre en perspective.

La LMR est de 6 mg/kg pour la laitue. Les 0,18 mg représentent donc 3 % de la LMR.

La dose journalière admissible de cette substance (pour laquelle il n'y a pas de produits homologués en France) est de 0,01 mg/kg de poids corporel, soit 0,6 mg pour une petite personne de 60 kg. Il faudrait déguster en un seul jour 3,33 kg de salades – entre 16 et 17 sachets de salade – pour atteindre cette valeur. Et encore, sachant comment les DJA sont établies de manière sécuritaire, le risque pour le consommateur serait toujours nul.

Le fort bienvenu effet cocktail

Mais qu'à cela ne tienne !

« Autrement dit, il n'y a – théoriquement – pas de risque pour la santé. Mais à ce jour, les scientifiques ne savent quasiment rien des effets cocktail entre toutes ces molécules. »

La science et la réglementation de la sécurité alimentaire balayées en quelques frappes sur un clavier !

Mais on ne se refuse rien chez 60 Millions de Consommateurs – comme dans d'autres revues consuméristes d'ailleurs – pour alimenter le fond de commerce anti-pesticides (en ignorant superbement à quoi servent vraiment les pesticides) et susciter la panique chez les consommateurs qui croient encore à ses fadaises.

Pourtant ! 60 Millions a interrogé M. Jean-Pierre Cravedi, toxicologue, ancien directeur de recherche à l'INRAE. Si la fin semble être une flatterie pour ses interlocuteurs, son propos est pourtant clair :

« Il existe une incertitude sur ces effets cocktail, notamment avec les substances CMR [cancérogène, mutagène, reprotoxique, NDLR]. Certes, on dispose aujourd'hui de données sur les mélanges de résidus auxquels les Français sont le plus exposés. Elles indiquent, pour la plupart, qu'il s'agit principalement d'effets additifs, c'est-à-dire pas plus nocifs mélangés que pris individuellement. Mais là, en présence de produits phytosanitaires moins répandus, je ne nie pas la présence de zones d'ombre. »

Prenons-le autrement : si la recherche (sérieuse bien entendue, pas militante) avait établi un « effet cocktail » autre qu'additif (ou soustractif, chose qu'on n'évoque quasiment jamais) – donc multiplicatif – ça se saurait.

Les fort bienvenus CMR

Il n'y a pas que la gesticulation sur les effets cocktail : on est aussi bien servi avec les pesticides CMR suspectés. Ils seraient huit. Sans indication des substances en cause , de leur fréquence ou de leur dose. Il faut se contenter de deux noms (le métaflumizone trouvé deux fois et le propyzamide trouvé une fois), 11 laitues présentant des CMR « seulement détectés (moins de 0,01 mg/kg en laboratoire » ou quantifiés dans quatre cas, ainsi que quatre mâches « concernées par des molécules CMR ».

On n'a pas trouvé de CMR avéré dans les laitues et mâches, ce qui aurait permis de faire monter l'indignation dans les tours.

Relevons ici ce passage : « Soit dit en passant, on peut s'étonner de détecter un pesticide CMR dans la laitue […] "sans résidu de pesticides" [...] » : la marque précise par un renvoi à une note, celle-ci en petits caractères : « Inférieur à la limite de quantification pour 350 substances actives phytosanitaires. Analyse réalisée par un laboratoire accrédité indépendant. » Détection n'est pas quantification ! Mais cette remarque de 60 Millions montre que la profession a aussi des efforts à faire.

L'épouvantail est agité au mépris, bien sûr, du principe qui veut que la dose qui fait le poison.

Un principe qui s'illustre en pratique par le fait que nous nous exposons à des substances naturelles dont la dangerosité est avérée, mais à des doses qui excèdent largement celles qui sont ingérées. En 1990, Bruce Ames a publié un article mémorable intitulé « Dietary pesticides (99.99 percent all natural) » (pesticides alimentaires (99,99 pour cent sont naturels)). Nous absorbons quelque 1,5 gramme de pesticides naturels par jour, « ce qui est environ 10.000 fois plus que ce que nous consommons comme résidus de pesticides de synthèse ».

Le fort bienvenu métabolite du dichlobénil

Avec un métabolite du dichlobénil, un herbicide interdit d'usage depuis 2010, nous abordons un procédé dont nous dirons poliment qu'il pose question.

Horresco referens, il a été trouvé dans une salade « bio » (à quelle dose?). Mais le problème est vite évacué : « Un comble pour une salade bio ».

L'auteure s'est ensuite lancée assez longuement dans des supputations sur le thème « [e]rreur ou ajout volontaire ».

Soyons sérieux ! Un usage 14 ans après une interdiction ? L'auteure conclut pourtant : « On peut donc penser à un usage délibéré »...

Mais, « [d]ans sa réponse, obtenue tardivement, l'entreprise [le distributeur] nous précise que ce métabolite, malgré son interdiction, demeure rémanent dans le sol [...] ». Constat dévastateur : la réponse était venue suffisamment tôt pour qu'on puisse l'inclure dans l'article et se dispenser d'une allégation hautement problématique.

Sus aux chlorates !

Un problème similaire se pose avec les chlorates. Il s'agit des résidus des eaux de lavage chlorées destinées à tuer les micro-organismes, possiblement pathogènes, ce que souligne 60 Millions. Mais des chlorates sur les salades après lavage et rinçage ? Quelle horreur !

Pourtant, la dernière grande tragédie sanitaire, qui a eu pour origine des graines germées « bio » de fenugrec, aurait sans doute pu être évitée si l'idéologie du « bio » avait permis une désinfection avec des « produits chimiques ». Elle a fait 53 morts, dont 50 en Allemagne, où il y eut 4321 gastro-entérites graves et 852 syndromes hémolytiques-urémiques (dont des dialysés à vie ou candidats à la transplantation rénale).

La question de savoir si on retrouve « des traces de chlore issues du lavage des salades » serait donc légitime pour 60 Millions qui, répétons-le, ne s'est pas intéressé à la qualité sanitaire des produits.

Dans un fil X (ex-Twitter) passablement (et à juste titre) énervée, Mme Géraldine Woessner note en revanche : « Le chlore, bon sang. Dont l'utilisation pour assainir l'eau potable, depuis 1919, a sauvé des centaines de millions de vies ! Un bienfait de l'humanité. »

L'objectif de garantir la qualité sanitaire des salades est pourtant admis par 60 Millions. Mais trouver des résidus, c'est mal. La revue part donc à la chasse aux chlorates dont la limite « est fixée à 0,7 mg/kg de produit frais ».

Et : « Bonne nouvelle, aucun échantillon ne dépasse, ni même approche de cette limite. »

Mais les produits les plus « contaminés » en pesticides seraient aussi les plus chargés en chlorates et il y a un produit à 0,30 mg/kg : « Peut-être y a-t-il eu un ajout supplémentaire de chlore, afin d'éliminer un surplus de résidus ? En effet, le chlore peut aider, via une réaction d'oxydation, à réduire la présence de certains types de pesticides. »

Le propos est pour le moins stupéfiant. C'est une supputation totalement gratuite... mais dans la ligne éditoriale qui consiste à agiter la peur, à remplir du papier. Car dans le pavé « À retenir », on nous précise bien : « Côté résidus de chlore, rien à redire, ils sont quasi inexistants ».

C'est bien, et pourtant, ce n'est pas bien...

Conclusion de l'article : « Loin d'être satisfaisantes, les salades en sachet doivent être consommées avec parcimonie, et selon un choix avisé, comme le montrent nos analyses. »

Sur quelle base se fonde cette recommandation ? Aucune. A-t-on comparé avec les salades à la pièce ? Non.

Et cela débouche sur la recommandation d'une marque pour la laitue et d'une autre pour la mâche.

Bien évidemment, la faune médiatique suiviste s'est précipitée pour relayer l'« information »– sans recul ni esprit critique mais avec des efforts pour se démarquer dans les titres et parfois les textes, y compris par l'outrance.

Même le journal dit de référence : « Pesticides : "60 millions de consommateurs" alerte sur les salades en sachet trop contaminées ». Rappel : toutes les salades sont « dans les clous réglementaires » selon 60 Millions...

Dans le lot, il y a un « Salades en sachet : cette marque à éviter absolument selon 60 Millions de consommateurs (et celle à privilégier) ». C'est quasiment un appel au boycott, pénalement répréhensible.

Le drame, dans tout cela, est que les tests ont été effectués sur un seul paquet par marque. Refaites les sur d'autres paquets d'une marque donnée, et vous aurez de fortes chances de trouver des résultats différents, notamment si la salade provient d'un fournisseur différent. Le « naming and shaming » explicite dans l'article de 60 Millions – et encore plus dans les médias suivistes qui ont fait dans l'escalade d'engagement – est scandaleux.

Le consumérisme part à la dérive, tout comme le panurgisme médiatique. Dans le cas de 60 Millions, très largement subventionné, c'est sur fonds publics, c'est-à-dire les nôtres. Il est grand temps de s'en occuper.

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