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Les chemins de l’enfer sont pavés de bonnes intentions et ceux de la protection du budget de l’Union et de l’Etat de Droit pourraient l’être tout autant.
Les chemins de l’enfer sont pavés de bonnes intentions et ceux de la protection du budget de l’Union et de l’Etat de Droit pourraient l’être tout autant.
©JOHN THYS AFP

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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L’Union Européenne se perçoit volontiers comme une organisation incapable de se faire respecter de ses Etats membres, une entité sans réels pouvoirs pour faire appliquer les décision qui en émanent. Pendant des décennies, Bruxelles pouvait tout au plus saisir la Cour Européenne de Justice et infliger des amendes au compte-goutte contre les Etats membres récalcitrants. Est-ce toujours le cas ?

Sur fond d’endettement commun et de conditionnalité, il se pourrait bien que l’UE ait acquis un arsenal juridique qui s’apparente à un pouvoir exhorbitant et arbitraire. Alors que les accusations de chantage contre les pays exerçant leur droit de véto fusent tous azimuts et que les notions de lutte contre la corruption et d’Etat de droit sont trop souvent brandies comme des totems pour étouffer les débats, la question mérite d’être posée. Car c’est une chose de lutter contre l’usage frauduleux des fonds européens, c’en est une autre de transformer le budget européen en arme politique ou idéologique.

Comme il est désormais habituel, deux pays défrayent la chronique de cette polémique lourdes de conséquences. La Pologne, dont les 35 milliards du Fond de Relance sont toujours bloqués en attendant que Varsovie accepte d’amender sa réforme judiciaire selon les injonctions de Bruxelles. Et la Hongrie, dont le Plan de Relance vient d’être enfin approuvé  mais qui reste soumis à de nombreuses conditions. En outre, la Commission a lancé contre Budapest, deux jours après les dernières élections législatives, la bombe de la conditionnalité pour la première fois: la suspension de certains fonds européens pour « protéger le budget de l’Union ».

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Certains s’étonneront que ces fonds soient bloqués malgré la récession économique, la crise énergétique, l’inflation et la guerre en Ucraine (pays pour lequel la Pologne s’est saignée de toutes ses veines). Et pourtant, ces critiques de circonstances ne doivent pas masquer les graves problèmes structurels que soulève cette politisation larvée du budget européen, dont la mise en œuvre pourrait bien mener à de possibles abus.

En premier lieu, de quoi parle-t-on au juste, de fraude, ou d’Etat de droit ? Et bien justement, des deux. Concrètement « des règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre ». Mélange des genres ? Que l’UE se soucie d’empêcher que ses fonds soient détournés c’est la moindre des choses, et c’est d’ailleurs le rôle de l’OLAF, son agence anti-fraude établie en 1999 et du Parquet Européen crée en 2021. Par contre, qu’elle s’arroge le pouvoir de s’immiscer, voire d’avoir le dernier mot sur l’organisation du pouvoir judiciaire des Etats membres sous pretexte qu’il serait un danger potentiel pour le budget de l’UE, cela pose un problème de taille.

Est-ce le cas ? L’exemple des négotiations avec la Hongrie est révélateur. Les deniers européens ne seront versés qu’au compte-goutte de 27 « super jalons » qui incluent le  renforcement des mécanismes d’audit ou la transparence des marchés publics (ce qui est tou à fait compréhensible), mais également la modification des compétences de la Cour Constitutionnelle et de la Cour Suprême. Donc, des changements de nature constitutionnelle, rien de moins. Un passage en force qui relègue les débats sur la primauté du droit européen à de petites querelles académiques. Imaginons un instant le tollé si l’UE sommait la France de modifier le mandat du Conseil d’Etat ou du Conseil Constitutionnel, qui plus est pour une telle raison.

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Et de quel droit d’ailleurs,  l’organisation du pouvoir judiciaire a-t-elle été transférée à l’Union? Ceci renvoit à la fâcheuse tendance de l’UE d’assumer des compétences par « ricochets », sans mandat explicite du Traité. Pire, les recommandations du Semestre Européen (un exercise de coordination économique et budgétaire entre  les Etats membres mais qui couvre également l’indépendance judiciaire sans trop savoir pourquoi) semblent être devenues des « jalons » pour obtenir les fonds du Plan de Relance. Des recommandations obligatoires, en somme ? Ou l’art technocratique de naviguer dans  une zone grise afin de s’attribuer des compétences. Et de les utiliser au cas par cas ?

Car, rappelons que la Commission jouit de la discrétion absolue de poursuivre un Etat…ou de ne pas le faire, sans se justifier.  Certes, en matière de conditionnalité, la décision finale revient aux Etats membres mais il n’en reste pas moins qu’ils ne se prononcent que sur les cas choisis et instruits par la Commission. Avec un risque de « délit de faciès » politique à la clé ? Probablement, en premier lieu, car un Parlement Européen hystérisé freine des quatre fers toute entente avec Varsovie et Budapest. Une assemblée sabotant tout compromis, imbue d’elle-même, jetant l’ anathème de la corruption au moment même ou la police belge découvre des valises pleines de billets dans l’appartement de sa sa vice-présidente, ce n’est pas la moindre des ironies. Néanmoins, son pouvoir d’intimidation envers une une Commission pusillanime qui craint une motion de censure au pire moment demeure, et oblige cette-dernière à se retrancher dans des positions maximalistes contre certains… tout en étant étrangement laxiste envers d’autres.

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Pour ne citer que quelques exemples, comment expliquer qu’en matière de corruption, depuis l’adoption du Plan de Relance, seulement un pays soit passé à la loupe au point de forcer des changements constitutionnels alors que des milliards ont coulé dans tant d’autres sans aucun un réel examen préalable ? Comment expliquer que Budapest soit obligé de renforcer les pouvoirs de son Conseil de la Magistrature (pourtant totalement nommé par des juges) alors qu’en Espagne, le blocage de cet organe majoritairement nommé par le Parlement fait à peine l’objet de quelques remontrances ? Cette discrétion absolue de la Commission, vestige d’un temps où la gardienne des traités était une entité technique, est désormais un vecteur d’arbitraire et de « deux poids deux mesures » qui n’a plus lieu d’être.

Tout ceci vient s’ajouter à une idéologisation grandissante du budget européen. On ne compte plus les exemples de projets financés sur fonds européens attribués à des ONGs salafistes (certaines proches des Frères Musulmans) sur fond de lutte contre les « discriminations » et l’ « islamophobie ». Et que penser d’un règlement aussi technique que celui sur les dispositions communes à certains fonds européens qui prescrit que le  « gender perspective » et le « gender mainstreaming » doivent être pris en compte dans toutes les étapes de la programmation financière ? Ou que les très conséquents fonds de recherche européens soient soumis à ces mêmes conditions aux relents si politiquement corrects ?

Donc, prenons garde. Les chemins de l’enfer sont pavés de bonnes intentions et ceux de la protection du budget de l’Union et de l’Etat de Droit pourraient l’être tout autant. En aucun cas, ces notions ne peuvent servir de prétexte à un hold-up de compétences et à la sanctification de marges de discrétion qui mènent à des procédures à la carte. Alors, qui fait chanter qui, les Etats membres se prévalant d’un droit de véto explicitement reconnu, ou les institutions européennes qui transforment sotto voce le budget européen en outil de pression politique ? Par les temps qui courent, l’Union devrait se passer de ce débat. Mais s’il a lieu, alors mettons toutes les cartes sur la table et apprenons à lire entre les lignes de principes et valeurs  aussi respectables dans les contours que flous dans leur mise en oeuvre. 

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