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La complexité des différentes incarnations du populisme
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Bonnes feuilles

La montée du populisme en Europe et à l'international revêt de multiples visages. Extrait du livre "Le retour des populismes", sous la direction de Bertrand Badie et Dominique Vidal, publié aux éditions La Découverte (1/2).

Bertrand  Badie

Bertrand Badie

Bertrand Badie est professeur des universités à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po).

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Un corpus commun

La catégorie « populiste » mêle tant d’expériences variées, souvent menées par des acteurs qui se considèrent aux antipodes les uns des autres, qu’il est prudent de rappeler qu’on n’est nullement en présence d’une idéologie structurée ni a fortiori d’une étape dans l’histoire des idées politiques. Le contraire serait plus proche de la réalité : le populisme évoque un échec des idéologies, peut-être une sorte de vide ou de démission en la matière. Il se définit fréquemment contre l’idée même de programme ou de théorie, tenus pour responsables des déconfitures subies. Le retour au peuple est présenté, voire assumé, comme un retour au « bon sens » et une prise de distance vis-à-vis des idéologues.

Le « moment populiste » apparaît comme une parenthèse face à l’échec des grands modèles répertoriés : gouvernement représentatif, démocratie parlementaire, social-démocratie, libéralisme, communisme, etc.

C’est dans cette vacuité stratégique que s’unifient les sensibilités diverses, que se dégagent des traits communs adaptables a des références doctrinales souvent contradictoires. Les narodniki russes mêlaient ainsi des socialistes, des occidentalistes comme Alexandre Herzen, des nihilistes comme Nikolaï Tchernychevski ou d’autres qui combinaient slavophilisme et occidentalisme, comme Nikolaï Mikhaïlovski. De même retrouvait-on dans le boulangisme des chrétiens conservateurs comme Albert de Mun, des blanquistes comme Ernest Granger, des socialistes, des radicaux, mais aussi Maurice Barres, Henri de Rochefort ou Paul Déroulède. Le fascisme et le nazisme, aux pires heures de l’entre-deux-guerres, intégraient des acteurs venus de tous les horizons. Plus tard, le péronisme eut son aile droite et son aile gauche, un Carlos Menem libéral face à un Nestor Kirchner socialisant.

Que dire du nassérisme et du fossé qui séparait Anouar el-Sadate d’Ali Sabri ? Avec le quatrième moment, de facture  ethnonationaliste, le mouvement semble naturellement se déporter vers la droite : mais en France, le populisme mélenchonien n’équilibre-t‑il pas celui du Rassemblement national (RN, ex-FN) ?

Cette diversité intrigue, mais elle incite à la réflexion, dévoilant un peu plus le populisme en tant que méthode et l’écartant de la notion de finalité politique. Il convient d’interpréter à cette aune les dominateurs communs des différentes incarnations du populisme, à commencer par la valorisation, la centralité, parfois le culte du chef. Boulanger, Perón, Mussolini, Nasser, Le Pen, Mélenchon : la constante est évidente, vivant de cette contradiction forte qui glorifie le surhomme tout en soulignant son extraction populaire, sa proximité avec le peuple. On le révère tout en cherchant à s’identifier à sa personne, à se retrouver dans ses origines, son itinéraire, ses succès.

Ce culte du chef se prolonge inévitablement dans l’entretien savant de communications particulièrement sophistiquées, allant des meetings de masse, véritables grand-messes remplies d’icônes, jusqu’à la mise en valeur du leader, à l’instar du sextuple hologramme de Jean-Luc Mélangeons lors des meetings du 18 avril 2017, en pleine campagne présidentielle. Le parti est en réalité construit autour du chef, qui parfois lui donne son nom (tel l’ALP norvégien) et très souvent lui confère son identité (Perón et le Parti justicialiste, Nasser et l’Union socialiste arabe, Le Pen et le Front national…) : on parlera plus volontiers de « péronisme », « nassérisme », « lepénisme ».

À quoi s’ajoutent bien sur les orientations thématiques, plus difficiles à cerner, car davantage sujettes aux sensibilités politiques des uns et des autres. Si, comme nous l’avons pressenti, il y a un populisme de droite et un populisme de gauche, il y a aussi des accommodements populistes qui transcendent les traditions : la défense de la souveraineté, un certain rapport au monde, une vision de l’économie, peut-être même de la société.

Le souverainisme apparaît, au premier coup d’œil, comme le plus ferme des dénominateurs communs. Il repose d’abord sur le pilier national du populisme, lui-même transposition évidente de la matrice populaire. Le retour au peuple se conjugue naturellement avec l’exaltation de la nation qui ne saurait être que souveraine. Mais l’idée perd aussitôt quelques-unes de ses couleurs d’antan. Ce n’est pas la nation conquérante face à l’absolutisme, au despotisme, a l’empire ou à l’entreprise coloniale. C’est la nation face à une mondialisation perçue comme menaçante, c’est en partie au moins celle du repli et de la protection.

Idée déjà présente chez les narodniki russes qui craignaient pour la vieille Russie, ou chez les populistes américains qui se méfiaient d’un capitalisme transnationalisé. Idée aiguisée par le populisme des vaincus, celui de la France défaite du boulangisme, ou de l’Allemagne humiliée par la paix de Versailles. Idée a peine modulée par les populismes du tiers-monde dénonçant l’impérialisme des États-Unis (péronisme) ou des anciennes puissances coloniales (nassérisme, sukarnisme). Idée banalisée par la mondialisation dans tous les populismes européens, de droite et de gauche, ou dans celui de Donald Trump. Souveraineté rime alors avec protection et protectionnisme, fermeture, mur, peur, repli sur soi, valorisation de son identité, rejet des migrations, voire xénophobie… Elle n’est plus westphalienne : elle est simplement conservatrice.

Aboutit-elle pour autant à des formes inédites de politique étrangère ? Le souverainisme ne suffit pas à forger une politique étrangère originale. S’il incite à l’isolationnisme, il ne signifie pas partout un retrait par rapport aux alliances. Certes, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) suscite l’hostilité du RN comme de la France insoumise (FI), mais aussi une sorte de réticence chez Donald Trump. Une fois arrive au pouvoir, celui-ci ne tarda cependant pas à se raviser, tandis que la plupart des autres partis populistes occidentaux se sentent volontiers plus proches de l’Alliance atlantique que de l’Union européenne (UE), la première symbolisant mieux, à leurs yeux, la défense et la protection des valeurs occidentales, tout en paraissant plus compatible avec les options souverainistes.

La même complexité se retrouve dans le champ économique et social. Si certaines formations populistes sont nettement libérales, voire néolibérales militantes, à l’instar du Parti de la liberté (PVV) néerlandais, du Parti du progrès norvégien, voire de la Ligue italienne, d’autres sont clairement sociaux-démocrates, tels le parti des Vrais Finlandais, militant pour l’État-providence et l’impôt sur la fortune, le Parti populaire danois ou le SMER slovaque de l’ex-Premier ministre Robert Fico que l’on peut considérer à ce titre comme un populiste de gauche. D’autres enfin oscillent, au gré des courants, entre néolibéralisme et protection sociale, à l’image du RN français, en procédant par syncrétisme comme le parti Droit et justice (PIS) polonais ou le parti hongrois Fidesz de Viktor Orbán.

Extrait du livre "Le retour des populismes", sous la direction de Bertrand Badie et Dominique Vidal, publié aux éditions La Découverte

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