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La Chine, les Etats-Unis, l’Europe… et les autres
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La Chine, les Etats-Unis, l’Europe… et les autres

État des lieux et risques dans les trois continents qui avait pourtant été jusqu'ici épargnés pas la crise. Momentanément épargnés ou bien ne disposant - ou maquillant - de chiffres fiables, Amérique Latine, Afrique, Proche et Moyen-Orient seront bientôt touchés de plein fouet par la pandémie.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Christophe Ventura

Christophe Ventura

Christophe Ventura est chercheur à l’IRIS. Spécialiste de l’Amérique latine, il a réalisé un grand nombre de missions dans la région (Argentine, Brésil, Mexique, Amérique centrale, Venezuela, Uruguay). Journaliste, il suit depuis le début des années 2000 les évolutions politiques, économiques, sociales et géopolitiques dans cette région et publie régulièrement des articles dans divers journaux et revues (Le Monde diplomatique, Diplomatie, Mémoire des luttes, etc.).

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David Annequin

David Annequin

David Annequin, responsable des missions d'urgence de Médecins du Monde .

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Mustapha  Tossa

Mustapha Tossa

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Atlantico : Jusqu'alors l'Amérique Latine, une partie du Moyen et Proche-Orient et l'Afrique étaient peu touchées par l'épidémie de coronavirus, mais le nombre de cas commencent à se multiplier. Ces trois régions du monde apparaissent moins préparées à affronter le virus, comment qualifier la situation dans chacune d'entre elle ? Doit on craindre le pire ? 

  • En Afrique 

Antoine Flahault : On peut effectivement redouter le pire en Afrique, surtout en Afrique subsaharienne et c'est principalement pour cette raison que l'OMS a déclaré une urgence de santé publique de portée internationale.

En effet, les pays de cette région ont de faibles niveaux de revenus et bien qu'ils aient connu une très forte croissance ces dernières années et une grande amélioration de l'état de santé globale -en particulier la santé maternelle et infantile, l'espérance de vie, les vaccinations...- leurs systèmes de santé restent vulnérables. Ainsi, s'ils étaient confrontés à cette épidémie avec la même férocité qu'a pu l'être l'Europe ou l'Asie, leurs systèmes de santé seraient submergés bien plus rapidement que ne l'ont été les nôtres. Prenons l'exemple du Mali, la situation pourrait être délicate si l'épidémie de coronavirus s'y propageait massivement puisque le pays n'a qu'un seul respirateur.

Ce qui reste néanmoins rassurant, pour l'heure, c'est la démographie de l'Afrique subsaharienne, puisque la population y est très jeune. C'est un point favorable puisque globalement le virus reste moins dangereux pour les enfants et plus largement pour les moins de soixante ans. C'est probablement ce qui explique le peu de décès dans les pays africains qui sont actuellement touchés par le virus. Néanmoins, un problème risque de poser : le virus est souvent associé à des complications qui nécessitent des soins coûteux et lourds dont ne disposent pas les pays d'Afrique subsaharienne. Ainsi, sans moyens supplémentaires, sans un plus grand nombre de respirateurs ou de lits, certains malades jeunes qui devraient guérir sans problème pourraient souffrir de complications. Complications qui ne verraient pas le jours dans des pays mieux équipés médicalement parlant. 

L'autre problème majeur, c'est qu'il sera difficile d'avoir une idée exacte de la gravité de la situation sur le continent africain puisque la population y est souvent peu ou pas recensée. En ce sens, il sera, par exemple, extrêmement difficile d'avoir une idée exacte du nombre de morts.

David Annequin : En ce qui concerne l’Afrique, on craint une mortalité plus élevée face au virus en raison d’un nombre moins important de lits d’hospitalisation disponibles qu’en Europe, même si les situations varient d’un pays à l’autre. Globalement, sur l'ensemble du continent il y a également moins de médecins par habitants. On peut donc s’attendre à une prise en charge difficile sur l’ensemble du continent spécifiquement pour les cas les plus graves.

A titre d'exemple, la République Démocratique du Congo, a déjà une expérience pour répondre aux phénomènes épidémiologique, on se souvient du virus Ebola, qui a créé des réflexes administratifs et  donné lieu à la mise en place des mécanismes d’action, notamment au sein du Ministère de la Santé. Le manque de moyens peut en revanche être un vrai problème. Si l’on compare la RDC à la République Centrafricaine, qui est un vrai désert sanitaire ( il n’y a que 5 appareils respiratoires dans tout le pays ), il y a en effet des zones où gérer les cas graves sera beaucoup plus difficile.

Une autre difficulté peut-être soulevée : l’épidémie vient d’Europe. Les premiers cas recensés sont des expatriés Italiens ou Français. Ce qu’on ressent sur le terrain, dans plusieurs villes d’Afrique, c’est une crainte que le personnel hospitalier soit exposé à des risques sécuritaires, dans le cas où la situation sanitaire serait manipulée politiquement ou que de fausses informations seraient diffusées par les autorités. 

  • En Amérique Latine

Christophe Ventura : Le virus du Covid-19 est arrivé il y a peu en Amérique latine avec un premier cas déclaré et identifié au Brésil le 26 février. Jusqu’à présent, la dynamique était assez marginale mais désormais tout s'accélère : à l’heure où nous nous parlons, nous sommes au-delà des 4400 cas répertoriés  dans la région (et 65 morts), auxquels il faut ajouter potentiellement toutes les personnes touchées, porteuses de la maladie mais qui ne sont pas identifiées.  Tous les pays de la région sont affectés. 

Ainsi, à son tour, l'Amérique latine commence à expérimenter ce qui caractérise ce virus, c'est à dire sa capacité de propagation exponentielle. Et tous les pays de la région doivent admettre aujourd’hui qu’ils vont être touchés de plein fouet avec des pics prévus, selon les cas, entre fin avril et mai. Les autorités sanitaires brésiliennes disent que rien ne sera endigué dans le pays avant septembre. La première puissance de la région détient, de loin, le nombre le plus important de malades.  Le Chili, l'Equateur et le Pérou sont également très touchés par la maladie si l'on prend en compte le nombre de malades par rapport à la taille de la population dans ces pays. 

Les jours et les semaines qui viennent seront difficiles pour les pays latino-américains car les foyers de coronavirus vont se démultiplier.

  • Au Proche et Moyen-Orient

Mustapha Tossa : C’est une évolution très inquiétante puisque l’Iran s’est affirmé comme le second grand foyer de l’évolution de ce virus depuis son apparition en chine. L’erreur fatale est régulièrement attribué à l’opacité, voire à la manipulation politicienne manifeste de la part  des autorités iraniennes qui ont volontairement minimisé l’ampleur de la contagion pour accomplir un agenda politique domestique.. Tenir les élections pour arracher une légitimité et l’utiliser dans leur bras de fer avec l’administration de Donald Trump. 

Cette situation a été catastrophique pour la propagation du virus dans des pays avec lesquels l’Iran, foyer important du covid 19 , entretient des relations politiques organiques comme l’Irak ou le Liban.  Cela s’est traduit par le maintien des vols et des échanges de visites entre ces pays . Aujourd’hui il est difficile de donner une radioscopie réelle de la présence de ce virus ... pour la simple raison que pendant de nombreuses journées, les autorités politiques comme les opinions ont sous-estimé la dangerosité de ce virus, le considérait souvent comme un mal lointain. La culture et les croyances fatalistes  de ces pays y sont pour beaucoup de cette vision qui a tendance à ignorer la gravité de la pandémie.

Face à la multiplication des cas, quelles mesures concrètes  peuvent prendre les gouvernements aussi bien en Amérique Latine, en Afrique, qu'au Proche et Moyen-Orient ? 

  • En Afrique

Antoine Flahault : Un certain nombre de pays africains ont déjà pris des mesures strictes. La RDC, l'Ethiopie, l'Ouganda, le Cameroun, entre autres, ont fermé les bars et discothèques, les lieux de cultes, interdit les rassemblements d'un trop grand nombre d'individus, fermé les écoles...

L'Afrique du Sud, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Rwanda et le Burkina Faso ont quant eux pris des mesures encore plus contraignantes, en mettant en place des confinements semblable à ceux que l'on connaît en Europe.

Néanmoins, ces mesures sont dures à mettre en place en Afrique. Prenons, par exemple, les mesures de préventions : elles sont extrêmement difficiles à instaurer puisque par, exemple, le nombre de masques en circulation est très limité et il en va de même pour les solutions hydroalcooliques. Les règles d'hygiènes réglementaires en temps de coronavirus peuvent également, dans certains endroits, être difficiles à respecter puisque l'on sait par exemple que l'Afrique subsaharienne a de gros problème d'approvisionnement en eau.

Ainsi, les pays africains peuvent tout à fait avoir recours au même plan d'action que l'Europe ou l'Asie mais ces mesures sont et seront bien plus difficiles à mettre en oeuvre. Certes, ce n'est pas comme les tests ou la surveillance accrue de la population, les moyens technologiques requis sont minimes ; en revanche les forces de polices qui sont censées s'assurer du bon respect des mesures sont moins nombreuses et moins efficaces, les conditions de vie sont bien plus mauvaises -on pense notamment à l'impossibilité de respecter de telles mesures dans les bidonvilles-, les infrastructures sont parfois très défaillantes..

En ce qui concerne spécifiquement les mesures de confinement, il est vrai qu'elles seront bien moins viables et même presque possibles en Afrique. Penser que la population ne les respectera est une erreur, seulement tous n'ont pas le loisir de suivre ces consignes en raison de la couverture sociale faible ou même parfois inexistante et de l'importance de l'économie informelle. 

David Annequin : Le confinement total serait une mesure inédite. L’économie informelle est omniprésente, l’approvisionnement se fait au marché ou directement auprès des producteurs. Seules les classes aisées ou moyennes fréquentent les supermarchés. Si on coupe le marché local comment répondre à la demande d’approvisionnement ?  

À l’heure actuelle, peu de gouvernements sont prêts à répondre à cette question. L’organisation de paniers alimentaires comme en Chine, demande l’organisation d’un système pour palier à la fermeture des marchés. Sans cela, il sera difficile d’organiser un confinement total. De plus, face à l’absence totale de couverture sociale dans certains pays, de nombreuses personnes n’ont pas d’autre choix que de travailler. Le chômage social n’existe pas. Il faut maintenir un revenu minimum pour les travailleurs.

Les cas des populations déplacées ou réfugiées est également inquiétant. Ce sont des zones où le virus se propagera rapidement en raison de la promiscuité. Il est urgent de régler cette question avant tout. 

  • En Amérique Latine

Christophe Ventura : C’est là où l’on arrive au coeur du problème. Cette maladie aura un impact singulier en Amérique latine. Elle va en effet impacter une région qui est déjà très fragile pour plusieurs raisons. Premièrement, en Amérique latine, le coronavirus s'installe tandis qu'une autre épidémie importante, la dengue, est déjà présente. Cette année, l’Amérique latine connait même la crise de dengue la plus importante de toute son histoire. Il y a plus de trois millions de personnes touchées ( le Brésil est là aussi le plus concerné) et plus de 1500 morts. Cette épidémie affecte l'ensemble des pays de la région, pas seulement les pays caribéens. 

Il y a donc deux défis épidémiologiques  à affronter en même temps pour les latinos-américains : le coronavirus qui arrive et qui va se développer de façon exponentielle, et la dengue qui est déjà au pic de sa contagion. Ces deux épidémies sévissent dans une région caractérisée par la fragilité, la vulnérabilité et la faiblesse de ses systèmes de santé et de protection sociale. Historiquement fragiles, ces systèmes ont été de surcroît sévèrement rabotés par plusieurs années de coupes budgétaires, de politiques d’austérité liées à la crise économique et sociale latino-américaine qui dure maintenant depuis le début des années 2010 ( conséquence de la crise internationale de 2008). Cela se traduisant par une baisse très importante des investissements publics, en particulier dans les systèmes de santé.

En Amérique latine, ces derniers font, dans beaucoup de pays, la part belle aux offres privées de santé avec des filets de sécurité publics réduits, aux offres limitées. Tout cela, dans un contexte où une partie importante de la population tire ses moyens d'existence du secteur informel, sans contrats de travail, ni droit sociaux, ni systèmes de cotisation. De plus, le financement de ces systèmes de santé sont souvent assurés, pour la partie publique, par les ressources directes des Etats et non par des systèmes de cotisation et de mutualisation pérennes. Ces systèmes sont donc fortement soumis aux aléas économiques et financiers des Etats. 

En Amérique latine, un cocktail dangereux se prépare qui pourrait provoquer nombre de victimes : coronavirus, dengue, faiblesse des services de santé ( qui vont subir une pression exceptionnelle et risque d'exploser face à cette situation inédite), effets de l'austérité et crise économique. Cette dernière est sévère dans de nombreux pays ( Argentine et Venezuela bien sûr, mais aussi Brésil, Chili, Equateur et d'autres). La Commission économique pour l'Amérique latine (Cepal) considère que le coronavirus pourrait, dans ce contexte économique morose aggravé par les perspectives de récession mondiale et de baisse des exportations latino-américaines vers la Chine, causer une explosion de la pauvreté dans la région. Selon elle, le nombre de pauvres pourrait ainsi passer de 185 à 220 millions de personnes (sur 620 millions d'habitants) - soit 35 millions de plus -. Et le PIB se contracter de 1,8 % cette année en Amérique latine.

La puissance destructrice du coronavirus ne s'évalue pas seulement d'un point de vue médical, en soi, mais également d'un point de vue économique et social en fonction des contextes dans lesquels il se déploie. Ce virus est en premier lieu un fait social et politique total. Il met sous tension  toutes les structures de nos sociétés, en révèle les faiblesses et les limites. Ce faisant, il questionne ces sociétés sur leurs choix, leurs priorités et leurs modèles d'organisation. 

  • Au Proche et Moyen-Orient

Mustapha Tossa : Une fois la gravité confirmée par l’ampleur internationale de cette épreuve et notamment européenne ... ces pays du proche et du moyen orient sont entrés de une logique de dénégation. L’exemple le plus flagrant es celui de l’Égypte. Pendant de longues journées, le régime égyptien s’est échiné à nier l’existence des malades du coronavirus en Égypte alors que des touristes en provenance de ce pays participent à sa dissémination à travers le monde. L’impression est lourdement installée qu’il y a une volonté de ne pas reconnaître les réalités ravageuses de ce virus pour ne pas avoir à prendre les décisions radicales qui s’imposent.  

Qui pourrait imaginer pourvoir confiner un pays comme l’Égypte aux cents millions d’habitants ?  Qui pourrait imaginer imposer la fermeture de mosquées dans certains pays où le religieux régit la vie publique des citoyens de manière beaucoup plus efficace que n’importe quelle organisation politique. Il faut rajouter à cette situation une absence de culture de la transparence  et de la tradition de rendre des comptes que les pays démocratiques pratiquent plus facilement et plus naturellement que  les pays autoritaires . Les chiffres officiels sont loin de refléter la réalité ... minimiser devient un acte politique pour ne pas avoir à prendre des décisions difficiles à mettre en œuvre . D’autant plus que cette pandémie révèle la fragilité et la faiblesse des infrastructures médicales de ces pays malgré l’immense richesses de certains d’entre eux. 

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