L’Union européenne fait la force… ou pas : face à la Chine, l’Allemagne joue (encore) la stratégie du cavalier solitaire <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Li Qiang et le chancelier allemand Olaf Scholz.
Li Qiang et le chancelier allemand Olaf Scholz.
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Partenariat stratégique

Li Qiang, le premier ministre chinois, a rencontré Olaf Scholz à Berlin le 20 juin dernier.

Moritz Rudolf

Moritz Rudolf

Moritz Rudolf est chercheur en droit et membre du Paul Tsai China Center de la Yale Law School.

Voir la bio »

Atlantico : Li Qiang, le premier ministre chinois, a rencontré Olaf Scholz à Berlin. Dans quelle mesure l'Allemagne et la Chine renforcent-elles leur partenariat stratégique ?

Moritz Rudolf : Li Qiang, le premier ministre chinois, avait un objectif principal lors de sa visite à Berlin : promouvoir le marché chinois et assurer le gouvernement allemand et les représentants des entreprises des nombreuses opportunités économiques qui existent dans la collaboration avec la Chine. En outre, il a souligné l'importance d'établir des objectifs concrets pour la coopération internationale, en particulier pour lutter contre le changement climatique et relever conjointement les défis technologiques liés à la lutte contre le changement climatique. Il ne fait aucun doute qu'il s'agissait là de l'objectif principal de la visite de Li Qiang.

Qu'en est-il de l'intérêt d'Olaf Schotz pour cette question ?

Les consultations gouvernementales bilatérales sont devenues régulières, cette réunion étant la septième à ce jour. Ce format offre un cadre global permettant à une dizaine de ministres allemands de s'entretenir avec leurs homologues chinois. Il s'agit d'une occasion inestimable d'approfondir leur compréhension de la Chine, un acteur mondial important. Au cours de ces consultations, les participants peuvent discuter de divers domaines de coopération, aborder des préoccupations et s'engager dans des discussions approfondies en face à face qui durent plusieurs heures. C'est notamment la première fois que la coalition gouvernementale s'engage dans de telles discussions avec ses homologues chinois. L'objectif spécifique de ces discussions est d'identifier les domaines dans lesquels la coopération peut être maintenue tout en atténuant les risques - le découplage. Comme vous l'avez mentionné, il est essentiel d'aborder les relations avec la Chine avec un esprit réaliste, en évitant les dépendances excessives. Toutefois, il est tout aussi important d'identifier les moyens d'étendre et d'améliorer les relations bilatérales globales. La Chine étant le premier partenaire commercial de l'Allemagne, ces consultations, ainsi que les événements parallèles qui les accompagnent, visent à explorer de nouvelles opportunités économiques pour les entreprises allemandes en Chine.

À Lire Aussi

Pacte financier mondial : et dans le match Aide au développement contre Néolibéralisme, l'avantage des 40 dernières années est à...

Olaf Scholz a déclaré hier que la réduction des risques liés à la chaîne d'approvisionnement ne signifiait pas la fin de la mondialisation. Les services secrets allemands, en revanche, considèrent la Chine comme la principale menace pour la sécurité. Qu'en est-il de la position de l'Allemagne à l'égard de la Chine ?

L'Allemagne cherche activement à trouver un équilibre entre différentes considérations dans son approche de la Chine. D'une part, l'Allemagne reconnaît la dimension sécuritaire importante associée à l'engagement avec la Chine. Elle reconnaît que la Chine opère en tant qu'État partie et qu'elle utilise des règles différentes pour soutenir ses entreprises nationales. En outre, les relations entre l'appareil militaire et les acteurs économiques en Chine sont nettement plus étroites qu'en Allemagne. Ces facteurs sont dûment pris en compte étant donné le statut de puissance montante de la Chine. L'Allemagne reconnaît les disparités entre les valeurs et les systèmes politiques, mais aussi l'influence mondiale de la Chine et son rôle de partenaire économique important.

Le gouvernement allemand s'efforce de trouver un juste milieu en équilibrant soigneusement les opportunités économiques et la coopération pour relever les défis mondiaux, tout en étant conscient des risques potentiels pour la sécurité associés aux relations avec la Chine. Cela se traduit par des mesures telles que la législation sur la chaîne d'approvisionnement, qui vise à atténuer les risques, ainsi que par l'examen minutieux des investissements chinois dans les infrastructures essentielles en Allemagne. Les relations économiques avec la Chine sont désormais envisagées sous l'angle de la sécurité, mais pas dans la même mesure qu'aux États-Unis. L'Allemagne a adopté une position plus pragmatique, évitant la naïveté et mettant davantage l'accent sur ces questions. Néanmoins, l'Allemagne reste déterminée à maintenir des liens économiques forts avec la Chine tout en tenant compte des considérations de sécurité.

Dans quelle mesure l'économie allemande est-elle aujourd'hui dépendante de la Chine ?

L'Allemagne, qui est un pays axé sur les exportations, est particulièrement dépendante du marché chinois, l'industrie automobile en étant un excellent exemple. Au cours des dernières décennies, les constructeurs automobiles allemands ont développé une forte dépendance à l'égard du marché chinois. Toutefois, la situation a évolué au point que les marques chinoises dominent désormais de plus en plus les routes chinoises, remettant en cause la rentabilité antérieure de l'Allemagne dans ce secteur. Cette prise de conscience a suscité un débat ouvert sur la dépendance substantielle à l'égard de la Chine, en particulier en ce qui concerne les exportations de voitures.

En outre, l'Allemagne est confrontée à des défis dans les secteurs où les chaînes d'approvisionnement sont longues, tels que les produits médicaux. La pandémie a mis en évidence la dépendance du pays à l'égard de la Chine pour des articles tels que les masques et autres fournitures médicales. De même, les éléments de terres rares constituent un autre domaine où la dépendance à l'égard de la Chine est importante. Surmonter ces dépendances n'est pas une tâche simple et ne peut se faire du jour au lendemain. Elle nécessite un processus graduel de renforcement des capacités nationales, qui peut prendre des années.

Tout en explorant d'autres solutions et en cherchant à diversifier ses partenariats économiques, l'Allemagne reconnaît l'immense taille et le potentiel de croissance du marché chinois. Il est essentiel de reconnaître que la Chine reste un pays crucial pour les relations économiques et que les dépendances existantes ne peuvent être éliminées brusquement. L'Allemagne vise à réduire ces dépendances, mais des alternatives viables doivent être mises en place. Ce processus est complexe et nécessite des alternatives concrètes et réalistes. La notion de "réduction des risques" est plus difficile à mettre en œuvre qu'il n'y paraît à première vue.

Pouvons-nous croire que l'Allemagne s'est engagée dans l'idée d'un dérisquage par rapport à la Chine ?

Oui, c'est vrai. Mais je pense que l'aspect crucial est la manière dont l'Allemagne définit les risques encourus. Il y a des domaines critiques où l'Allemagne est déterminée à faire face à ces risques. Il n'est pas dans son intérêt d'assister au transfert de technologies clés vers la Chine et de les perdre en quelques années. Parallèlement, l'Allemagne s'est engagée à ne pas soutenir les violations graves des droits de l'homme, s'alignant ainsi sur la position des autres pays du G7 sur ces questions.

En outre, l'approche de l'Allemagne en matière de réduction des risques ne se limite pas à la Chine. Elle englobe une tendance plus large de réduction des dépendances et de recherche de partenariats alternatifs à l'échelle mondiale. Cela implique d'explorer de nouvelles collaborations avec d'autres pays en développement, dans le but de réduire la part de la Chine dans divers secteurs. L'Allemagne reconnaît que l'absence d'alternatives pourrait poser des problèmes, notamment en cas d'escalade des conflits avec les États-Unis, ce qui risquerait de perturber la fourniture de certains biens. C'est pourquoi l'Allemagne est déterminée à poursuivre activement la diversification et la réduction des dépendances, bien que dans une perspective distincte de celle des États-Unis.

Dans quelle mesure Berlin essaie-t-elle de jouer un double jeu avec la Chine et les États-Unis ? Essayer de les satisfaire tous les deux ?

Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un double jeu, mais plutôt d'un exercice d'équilibre. L'Allemagne se trouve dans une situation difficile, tant sur le plan de la sécurité que sur celui des valeurs. Le partenariat transatlantique étroit, en particulier dans le contexte du conflit en Ukraine, apporte un soutien à l'Europe. Toutefois, l'avenir est incertain, notamment en raison des prochaines élections américaines et du retour potentiel de Trump, qui pourrait modifier considérablement la dynamique. Actuellement, la politique étrangère allemande est axée sur le maintien d'une relation transatlantique étroite.

Sur le plan économique, l'Allemagne reconnaît l'importance de maintenir des relations économiques fortes avec la Chine. Tout en étant consciente des liens existants, l'Allemagne recherche également des opportunités de coopération économique. En outre, la lutte contre le changement climatique et la promotion du développement vert sont des objectifs clés pour l'Allemagne, qui nécessitent une coopération avec la Chine. Des initiatives telles que le dialogue sur le climat et la transformation servent de mécanismes pour s'engager avec la Chine sur ces questions cruciales.

L'approche de l'Allemagne semble être un acte d'équilibre plutôt que d'essayer de dresser une partie contre l'autre. Elle navigue dans un monde où les relations entre les États-Unis et la Chine se détériorent, tandis que l'Allemagne défend son modèle d'exportation et accorde de l'importance à ses liens transatlantiques. Dans le même temps, ils cherchent à gérer leurs liens économiques avec la Chine. L'objectif est de manœuvrer à travers ces complexités afin d'éviter toute conséquence économique négative.

Ursula Von der Leyen a exhorté les États membres de l'UE à soutenir les propositions visant à renforcer les mesures de protection économique contre les rivaux, notamment la Chine et la Russie. Est-il difficile pour l'Europe de durcir sa position à l'égard de la Chine ?

Trouver une voix et une stratégie communes au sein de l'Europe reste un défi majeur. La diversité des intérêts et des perspectives des pays européens fait qu'il est difficile d'évaluer et d'aborder la question de manière uniforme. Si l'on a réussi à trouver une approche commune à l'égard de la Russie, il reste encore à atteindre le même niveau de consensus en ce qui concerne la Chine.

L'Europe reconnaît de plus en plus que la dimension sécuritaire doit être prise en compte dans les relations avec la Chine et qu'il est nécessaire de s'efforcer de réduire les risques liés à certains aspects de la relation. Toutefois, les actions et mesures spécifiques requises pour mener à bien ce processus de réduction des risques ne font pas l'objet d'un consensus entre les pays européens.

Les pays d'Europe de l'Est ont tendance à donner la priorité à leurs préoccupations en matière de sécurité et considèrent la dimension sécuritaire comme primordiale. En revanche, des pays comme la France, l'Allemagne et les Pays-Bas, qui entretiennent des liens économiques étroits avec la Chine, sont plus prudents à l'idée de rompre brusquement ces liens. Ils perçoivent également des différences entre les relations Chine-Russie et les implications pour leurs propres intérêts.

Rassembler ces perspectives et intérêts divergents représente un défi de taille pour l'Europe dans son ensemble. Une coordination minutieuse et le développement d'une compréhension et d'une approche communes sont nécessaires pour aborder efficacement les complexités des relations entre la Chine et l'Europe.

Et compte tenu des relations actuelles entre la Chine et l'Allemagne, l'Allemagne pourrait-elle être le maillon faible des tentatives de durcissement de la position à l'égard de la Chine et, plus généralement, de la réduction des risques ?

Ce pourrait être l'Allemagne ou la France. Il est vrai que les différents pays européens peuvent avoir des perspectives différentes en fonction de la question spécifique en jeu. La mesure dans laquelle ils définissent et traitent les risques peut varier en fonction de leurs évaluations individuelles.

Lorsqu'il s'agit de restreindre l'accès à certaines technologies susceptibles d'être utilisées par l'appareil militaire et de sécurité de la Chine, il est probable que tous les pays européens soient d'accord. Il s'agit d'un domaine où le souci commun de la sécurité les unirait.

Toutefois, en ce qui concerne l'imposition de restrictions sur les investissements sortants, les positions de pays comme l'Allemagne, la France et les Pays-Bas pourraient différer de celles de certains pays d'Europe de l'Est. L'Allemagne, la France et les Pays-Bas pourraient adopter une approche plus prudente et s'engager dans des négociations plus difficiles concernant les spécificités de ces restrictions.

En résumé, s'il existe différents degrés d'alignement entre les pays européens, l'Allemagne, la France et les Pays-Bas pourraient ne pas être aussi alignés que certains pays d'Europe de l'Est lorsqu'il s'agit de certains aspects de la gestion des risques liés à la Chine.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !