L'OFCE a étudié 2 millions d’entreprises et dénonce le décrochage éducatif français qui explique toutes nos faiblesses <!-- --> | Atlantico.fr
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"Encore faudrait-il que l'appareil éducatif, l'Education nationale partage ce diagnostic, ce qui est loin d'être le cas", affirme Jean-Marc Sylvestre.
"Encore faudrait-il que l'appareil éducatif, l'Education nationale partage ce diagnostic, ce qui est loin d'être le cas", affirme Jean-Marc Sylvestre.
©MARTIN BUREAU / AFP

Atlantico Business

L'OFCE a scanné plus de 2 millions d'entreprises françaises pour déterminer avec précision les causes de la fragilité de notre industrie : les salaires, les impôts et taxes, l'énergie et la logistique... Résultat : la cause première de nos difficultés se situe dans le décrochage éducatif de la population française.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La conclusion de cette vaste étude réalisée par l'Observatoire français des conjonctures économiques n'est pas glorieuse et apporter la preuve va se révéler très politiquement incorrecte... sauf qu'on s'en doutait un peu.

La France a un tissu industriel et productif des plus fragiles, car les délocalisations à tour de bras autour des années 2000 ont déshabillé le pays de ses usines et de ses ateliers de fabrication. Les gouvernements successifs n'y ont pas pris garde, puisque les délocalisations permettaient de tirer les prix de consommation vers le bas. On ne créait pas d'emplois, mais on dégageait du pouvoir d'achat jusqu'au moment dans les années 2010, où les gouvernements ont essayé de redresser la barre en développant une politique d'offre pour redonner aux entreprises l'intérêt de produire. Entre 2010 et 2020, le tissu industriel a cessé de se contracter.

La désindustrialisation est passée de mode, et la mode des hautes technologies, des start-up leur a permis de jouer les locomotives avec un secteur des services dynamisé.

La résultante de tous ces mouvements a globalement amélioré la place du secteur manufacturier, et l'OFCE a enregistré des gains de productivité dans la plupart des branches industrielles. Jusqu'à l'arrivée du Covid, qui a cassé cette évolution pour cause de confinement, mais la politique du "quoi qu'il en coûte" a préservé les actifs de production en les mettant sous cloche, ce qui fait que le système est reparti de façon euphorique. Il a coûté très cher au budget, mais le ressassement violent a permis de le financer et de rattraper le manque à gagner, mais pas pour tous.

L'étude de l'OFCE s'est attachée à repérer les vraies causes de la fragilité, de la faiblesse et des incertitudes du système de production de richesse française. Le résultat est presque moins grave que ce que prétendent  la plupart des conjoncturistes, mais beaucoup plus préoccupant pour espérer un redressement rapide. Du côté des marges, de la productivité, de la compétitivité, de la décarbonation, du niveau général des prix, la moyenne des performances s'est améliorée en France.

Les politiques d'offre portées par le crédit impôt recherche, les aides, le CICE, la suppression des impôts de production ont incontestablement engendré des améliorations. L'appareil de production a créé des emplois et regagné des parts de marché, restaurant une attractivité pour les investisseurs étrangers.

Mais quand on regarde ces progrès dans le détail, l'OFCE en arrive à trois séries de remarques :

La première, c'est que les progrès sont une moyenne générale, mais l'essentiel des progrès de compétitivité, par exemple, est réalisé par les premiers de la classe, et c'est vrai dans tous les secteurs.

La deuxième remarque, c'est que les mesures prises jouent à plein pour les meilleurs du CAC 40, mais le gros du peloton des PME est encore en pleine incertitude. La crise de l'énergie, la mutation liée au climat, l'inflation, tous ces facteurs-là leur bouchent l'horizon. Et compte tenu de la faiblesse de leur fonds propres, les fragilise énormément. D'où le nombre anormalement élevé de faillites.

La troisième remarque porte sur les vraies raisons de l'incertitude et de la faiblesse structurelle : les vraies raisons se dissimulent dans le déficit de formation technologique de l'ensemble de la population active. Dans la plupart des segments, il existe un décrochage éducatif qui sera difficile et long à rattraper. Pour les auteurs de l'étude, ce phénomène est d'autant plus grave qu'il n'y a pas de réflexion globale sur la nature de l'enseignement, et notamment de l'enseignement scientifique.

Aucune réflexion sur le contenu de l'enseignement, sur la mobilité sociale et géographique des étudiantes, comme il en existe dans les systèmes asiatiques et américains. Le plus grave, c'est que même si la prise de conscience d'une telle défaillance se diffusait dans la classe politique, médiatique, et surtout dans la population tout entière, on voit mal comment former les techniciens, les agents de maîtrise, et même les ingénieurs avant 10 ans.

Encore faudrait-il que l'appareil éducatif, l'Education nationale partage ce diagnostic, ce qui est loin d'être le cas. Or le temps presse. Le monde entier a engagé une relocalisation de ses fabrications, en simplifiant les chaînes de valeurs.

La Chine se replie sur elle-même, et la Chine regorge de techniciens chercheurs pour produire sa propre innovation. L'époque des années 2000 où Pékin alimentait son développement en important ou en pillant les innovations occidentales est peut-être révolue. La Chine développe ses propres processus et ses propres technologies. Sur la voiture électrique et les batteries, la Chine a pris dix d'avance sur l'Europe, et ce n'est qu'un exemple.

Aux États-Unis, l'IRA (Inflation reform Act) prépare une véritable révolution. Il ne s'agit pas seulement de se protéger de la hausse des prix, il s'agit de doper l'industrie américaine. Les Américains ont les technologies et les hommes pour les utiliser et les mettre en application. Ils ont même un formidable talent pour les attirer de l'étranger.

L'Europe n'est pas équipée. L'Allemagne l'a été jadis, mais depuis que son modèle de développement a changé de paradigme, depuis qu'elle a perdu ses sources d'énergie à bas coût et que ses débouchés chinois ont maigri, l'Allemagne ne pourra pas diriger l'Europe industrielle. La France n'est pas équipée, sauf dans des secteurs qui animent la croissance et l'activité : dans le luxe, le tourisme, l'agroalimentaire et les services financiers. La France a trouvé dans le réseau des écoles de commerce les talents et les réseaux de cadres qui opèrent. Dans beaucoup d'autres secteurs, les observateurs ont pris l'habitude de dire qu'ils étaient en tension, sous-entendant que cette difficulté était conjoncturelle. En réalité, cette tension est structurelle. La France n'a pas les moyens de répondre à la demande, d'où la perte de puissance de certaines entreprises et leurs incertitudes quant à la possibilité de faire face. La France n'a pas les moyens et n'a guère le temps de les fabriquer. Nos problèmes sont évidemment d'ordre fiscal, administratif, normatif, etc., mais ils sont surtout liés au manque de personnels compétents et motivés.

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