L’Italie, le symptôme de l’insuffisance européenne et de la suffisance de ses Etats-membres : quid après les 450 milliards ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
L’Italie, le symptôme de l’insuffisance européenne et de la suffisance de ses Etats-membres : quid après les 450 milliards ?
©ALBERTO PIZZOLI / AFP

Voisins européens

Sébastien Boussois revient sur le fonds de solidarité européen économique face à la crise du coronavirus et sur l'aide apportée à l'Italie par le Qatar.

Sébastien  Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois est Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et consultant de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). Il est l'auteur de Pays du Golfe les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019), de Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient ? (Armand Colin) et Daech, la suite (éditions de l'Aube).

Voir la bio »

Il aura fallu des semaines avant qu’un fonds de solidarité européen économique voit le jour qui satisfasse pour le moment et les pays du Nord et ceux du Sud. 540 milliards d’euros devraient être alloués aux Etats-membres de l’UE. Ce n’est pas de l’argent donné, ne rêvons-pas, mais surtout des lignes de crédit. Mais cela peut-il gommer le manque de solidarité naturelle qui a régné au sein même de l’Union pendant des semaines ? De deux choses l’une pour cette crise comme pour celles à venir: ou l’on se réveille afin d’affirmer haut et fort durablement l’excellence initiale du projet européen et donc son humanisme et sa solidarité collective, y compris et c’est a priori le but à l’égard des pays plus fragiles et on le fait jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au bout d’une crise inédite ; ou l’on entérine définitivement avec le coronavirus la fracture Nord-Sud qui ne fait que s’ajouter à la fracture Ouest-Est du continent européen fait institution, et l’on prend acte de la reconfiguration totale du projet : quatre aires géopolitiques distinctes irrémédiablement inégalitaires. 

Car après la Russie et la Chine, l’Italie vient de recevoir récemment l’aide… du Qatar pendant que les Etats-membres tergiversaient. L’Émir du Qatar a en effet personnellement annoncé l’envoi de deux avions des forces armées qataries avec à leur bord, deux hôpitaux de campagne et du matériel permettant d’y offrir deux mille lits. Pauvre Italie condamnée à vivre de la générosité du reste du monde plutôt que de l’Union européenne! Malgré les excuses il y a quelques jours de la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, le pays continue, comme l’Espagne, à payer un lourd tribut à la pandémie du Covid-19. Mais aussi de faire les frais d’un manque de solidarité manifeste des Etats-membres, notamment du Nord, jusqu’à l’annonce survenue avec pénibilité des 540 milliards. A chaque crise majeure, ce sont bien souvent les pays riverains de la Méditerranée qui boient la tasse, et que l’on continue d’accuser d’en être là par des années de mauvaise gestion traditionnellement méridionale. La double peine en quelque sorte ! Peut-on sortir une bonne fois pour toutes de cette ségrégation ? 

Certes, les institutions européennes se sont mobilisées au-delà même des limites prévues par les Traités et de leur compétence pour lutter contre le nouveau  Coronavirus. Après la suspension du pacte de stabilité, et le dépassement autorisé des seuils de déficits publics (que certains pays parviendront plus facilement à réduire ultérieurement que d’autres c’est évident), la Banque Centrale Européenne a lancé son programme d’urgence  ("Pandemic Emergency Purchase Program") de 750 milliards d'Euros permettant aux États de financer leurs déficits. Sans cette décision européenne, l'Italie et la Grèce auraient sans nul doute dû faire face en parallèle à la pandémie à une crise financière dévastatrice supplémentaire cette fois. Mais n’est-ce-pas là une solution temporaire ? Plusieurs centaines de millions d’euros, notamment du fameux programme Horizon 2020, ont également été débloqués pour être investis dans la recherche de traitements potentiels et de vaccins dans 17 programmes européens ou encore d'innovations technologiques pour tenter de vaincre la pandémie. De même, la presse a fait beaucoup de bruit de la tentative de Donald Trump de faire main basse sur les recherches prometteuses de vaccin contre le Covid-19 par la société CureVac en Allemagne. Mais, les 80 millions d’Euros injectés par la Commission Européenne et la Banque Européenne d’Investissement dans cette société pour protéger la recherche européenne sont passés quasi inaperçus… 

Pourtant, pendant ce temps-là, certains États, comme l’Allemagne et la France, la jouaient en solitaire : certains ont réquisitionnés les équipements et produits médicaux empêchant ainsi l’export vers l’Italie et l’Espagne. D’autres ont carrément bloqué aux frontières tous les camions de marchandises en provenance de l’Italie.  Ce n’est que grâce à l’intervention de la Commission que les frontières ont pu être rouvertes à la circulation des marchandises, et que l’export du matériel médical a pu être organisé vers les pays les plus touchés (et notamment financé à l’aide du fond « RescEu » pour l’achat d’équipements médicaux mis en place par la Commission). Reconnaissons-le : contrairement à l’unilatéralisme des Etats nationaux, le travail de la Commission a été de coordonner autant que possible les efforts de lutte, l’échange d’information, de gestion des stocks et de réorganisation des chaines de production pour pallier le manque d’équipements.

Pour autant, quelque chose coinçait : comment faire comprendre à l’opinion certaines autres actions de l’UE qui semblaient pour beaucoup en décalage ? Ainsi, de l’autre côté du prisme des interventions européennes, continuer, dans le cadre de la politique de voisinage, à arroser les plantations satellitaires de l’Union européenne, sans mettre encore plus et uniquement à l’agenda ses propres Etats-membres jusqu’à la sortie de crise, avait quelque chose de totalement schizophrène, voire suicidaire. Certes, on nous expliquait qu’il vaut mieux prémunir l’Europe de crises à venir par expansion de l’épidémie au vieux continent une fois rouvertes les frontières mais avons-nous trop d’argent actuellement lorsque l’on voit l’état de nos hôpitaux de fortune, de nos personnels soignants de cœur, et nos politiques incapables d’anticiper quoi que ce soit depuis des semaines malgré les annonces météo de tempête à venir ? Bruxelles s’est ainsi engagé, malgré le manque encore criant notamment en Italie, à faire parvenir des millions d’euros en urgence à plusieurs pays afin de lutter contre l’épidémie mondiale. Que ce soit le Maroc et la Tunisie, où des accords préexistants depuis des mois prévoyant le versement de 450 millions d’euros et de 250 millions, ont permis d’un commun accord de dédier cet argent à la lutte contre le coronavirus. Ou comme les 15milliards d’euros annoncés récemment qui seront versés à l’Afrique dans la même logique. Dans le même temps que devient la souveraineté même de l’Europe qui prends l’eau de toutes parts s’il elle n’alloue pas un chiffre monumental mais insuffisants de 450 milliards d’euros? Que dire aux Italiens et aux Espagnols qui meurent ? Après la Russie et la Chine et maintenant le Qatar, attendre que les USA empêtrés dans la pandémie réapparaissent sur le vieux continent pour les sauver ? Ce que l’on sait : c’est qu’il faudrait 3 fois le montant à peine décidé par l’Europe pour la sauver d’elle-même !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !