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L’industrie, vue de droite : au service de la puissance française
©Reuters

L'industrie en crise

Si l'industrie est le moteur de la Recherche, des progrès humain et des exportations et que chaque Nation s'appuie sur elle, cela ne l'a pas empêché de connaître une grave crise. Une crise qui dure depuis trente ans.

Bernard Carayon

Bernard Carayon

Bernard Carayon est ancien député du Tarn, maire (LR) de Lavaur, Avocat au barreau de Paris. 

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Gérard  Longuet

Gérard Longuet

Gérard Longuet est sénateur de la Meuse, il a notamment été président du groupe UMP au Sénat de 2009 à 2011.

De 2011 à 2012, il a occupé la fonction de ministre de la Défense et des Anciens combattants. 

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Julien  Aubert

Julien Aubert

Julien Aubert est ancien député de Vaucluse, vice-président des Républicains

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La politique industrielle et l’industrie ont traversé trente ans de crise et d’altération de leur image : sous l’effet d’abord d’un mouvement de dérégulation, de privatisation et d’européanisation de notre économie, comme d’une montée en puissance et de valorisation des activités de services ; en raison aussi de la montée des coûts de production, liée à la durée du travail pour l’essentiel.

Il n’y a pourtant pas de grandes Nations dans le monde qui ne s’appuient sur l’industrie. Elle est le moteur de la Recherche, des progrès humains et de nos exportations ; elle s’identifie à des objets aux succès mobilisateurs (avions, fusées, trains, automobiles, centrales nucléaires) ; elle est ancrée dans les territoires pour les « abandonnés » de la mondialisation ; elle est l’outil de nos indépendances stratégiques. L’industrie est bien la condition absolue d’une « puissance française » (à condition naturellement de vouloir cette indépendance fondée sur de véritables et durables avantages stratégiques, l’aéronautique, l’énergie, l’automobile, le luxe ou la pharmacie par exemple). 

La puissance fournit un horizon, la compétitivité n’est qu’une modalité, certes, exigeante : la première consacre un but politique, la seconde relève de l’intelligence des moyens. La puissance se construit par la résorption de nos dépendances, comme l’énergie fossile par exemple. Cela nous engage dans la correction de la politique de la concurrence communautaire, exception européenne irréaliste dans la mondialisation. Cette exception nous interdit ce que l’on subit des autres. Exigeons le primat de la réciprocité dans nos relations avec nos partenaires extra-européens. 

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L’économie française est à la fois très concentrée et très atomisée. Les 200 plus grandes entreprises, qui captent pour notre économie l’essentiel de la croissance mondiale, concentrent 30% des salariés et de la valeur ajoutée, 35% du chiffre d’affaires des entreprises, 40% des impôts et des taxes payés, 50% du chiffre d’affaires à l’exportation, 2/3 des dépenses de R&D. Cette concentration souligne l’absolue nécessité de maintenir leurs centres de décisions en France : ils impactent les projets de R&D, les créations d’emplois, la maîtrise des portefeuilles de brevets, l’articulation avec les enjeux stratégiques de notre pays, le paiement des impôts, l’attractivité pour les cadres de haut niveau. Pourtant depuis la crise de 2008, 80% des investissements des groupes du CAC 40 se réalisent en dehors de l’Europe et la majorité de leurs capitaux est détenue loin de France et d’Europe. La menace est réelle. 

Nos PME/ETI souffrent d’une distorsion de compétitivité avec les entreprises allemandes, alors même que 60% de notre commerce extérieur se fait en Europe : il y a quatre fois moins de PME françaises que de PME allemandes, et quatre fois moins d’entreprises exportatrices. 

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Emmanuel Macron ne semble pas avoir conscience de ce risque majeur de dépossession des centres de décision français.

Or, les marchés nationaux dynamiques et la culture des capitaux majoritaires signent la nationalité des entreprises, autant que la volonté publique et le patriotisme de leurs dirigeants.  

Nous figurons parmi les plus mauvais des élèves de l’OCDE par le niveau des prélèvements obligatoires, le déficit et la dette publique, la balance commerciale et le chômage.

Nos grands groupes sont susceptibles de faire l’objet de rachats ou de prise de participation étrangères hostiles ou « activistes ». Ce fut le cas dans le passé de fleurons de notre industrie qui ont parfois disparu (Péchiney), subi un démantèlement (Alstom), une délocalisation (Lafarge), une absorption (Technip). Ce mouvement d’internationalisation qui mêle rayonnement et dépendances a accompagné une stratégie collective désastreuse – née à la fin des années 80 – de recentrage de nos groupes sur des « noyaux durs » d’activité, de concentration des moyens de financement de l’économie sur les administrations publiques dont il fallait financer les déficits, l’extrême faiblesse de l’épargne populaire consacrée aux entreprises (sacrifiée à l’assurance-vie, l’immobilier et l’épargne liquide), et des règles prudentielles (Bâle 3 et Solvency 2) qui ont conduit assureurs et banquiers à réduire leur exposition en actions. 

Beaucoup de ces entreprises souffrent d’une décote, ont été affaiblies par des erreurs stratégiques ou sont adossées à un capital dispersé : une quinzaine d’entreprises du CAC 40 et une dizaine d’autres entreprises françaises cotées sont aujourd’hui vulnérables, représentant 400 milliards d’euros de capitalisation. Simultanément de nombreux fonds et fonds souverains étrangers ont acquis des moyens gigantesques pour servir leurs ambitions. Or, l’expérience montre que les délocalisations des centres de décisions précèdent l’externalisation de la valeur ajoutée (la recherche, la matière fiscale, les hauts cadres) et font subir, en priorité, aux salariés du pays abandonné le poids des plans sociaux éventuels (jurisprudence Mittal). 

L’internationalisation du capital de nos entreprises stratégiques est particulièrement préoccupante en l’absence d’actionnaires de référence français et nécessite donc une organisation nationale, de l’État, des collectivités locales, de ses partenaires publics, para-publics et privées, ainsi qu’une meilleure orientation de l’épargne longue, de manière à mobiliser une force de frappe de plusieurs dizaines de milliards d’euros, en complément des dispositifs publics existants. Quant aux PME/ETI, leur financement en fonds propres reste déficitaire aussi bien via les marchés de capitaux que le private equity : l’amorçage et le capital-risque sont devenus, de fait, au travers de la BPI, une activité para-publique au coût du marché, sans que celle-ci soit orientée vers les entreprises stratégiques. 

L’affaire Alstom est emblématique. Elle a souligné, au mieux, la cécité du gouvernement sur l’évolution capitalistique des grandes entreprises et les stratégies d’ouverture des grands acteurs internationaux. La mutualisation d’informations entre institutionnels (APE, BPI, CDC) et investisseurs para-publics (caisses de retraite) est la clé de la prévention des risques d’OPA, de démantèlement ou de délocalisations. Encore faudrait-il que les gouvernements aient des lignes directrices stables, de nature à rassurer l’économie privée.

Nos ressources financières doivent évidemment être dirigées vers nos entreprises. Sur les 200 milliards d’euros que gèrent les organismes de retraites complémentaires, moins de 10 milliards sont investis en actions françaises. Les caisses doivent donc être incitées à mutualiser leur gestion financière et mobiliser des capitaux supplémentaires pour nos entreprises.

L’investissement en actions des assureurs (75 milliards d’euros en actions cotées, dont 50 milliards d’euros en actions françaises) est aussi fortement contraint par le niveau de consommation en fonds propres requis par Solvency2. Mais ce niveau est susceptible d’être fortement réduit pour tout investissement qualifié de stratégique, si l’assureur démontre qu’il est présent au capital dans une optique de long terme, qu’il est partie prenante dans la gouvernance de la société et que la participation est significative. Des capitaux levés, enfin, auprès d’investisseurs étrangers, dans un fond investi dans les meilleures valeurs de la cote française compléteraient cette nouvelle force de frappe. 

20 à 25 milliards d’euros pourraient ainsi renforcer le capital des grandes entreprises privées et publiques dans un fonds « patriotique » dédié, géré par une ou plusieurs grandes sociétés de gestion françaises, avec des participations majeures leur ouvrant les organes de gouvernance. 

Rendons donc aux français leurs entreprises ! La désaffection des ménages envers les actions qui préfèrent l’immobilier et les actifs liquides est connue. Les produits ciblés ne suffisent pas. La relance de l’investissement en actions des ménages doit passer par l’intermédiaire de fonds diversifiés de long terme, bénéficiant d’un cadre fiscal attractif et adapté, comportant une part majoritaire d’investissements en actions ou obligations d’entreprises. 

Enfin il faut promouvoir le cadre juridique des fondations afin de préserver les entreprises familiales des aléas de la succession. Ce véhicule juridique n’a guère été utilisé à l’exception d’un généreux industriel tarnais Pierre Fabre et d’Avril.

Bien d’autres actions conditionnent une nouvelle politique industrielle patriotique : une politique publique de normalisation, permettant à la France de se placer en amont de l’élaboration des normes techniques et juridiques pesant sur la compétitivité de nos entreprises, une action diplomatique en Europe afin de transformer la politique communautaire de la concurrence, une action anticipatrice dans nos approvisionnements en « terres rares », une politique de sécurisation juridique des entreprises face à l’extra-territorialité du droit américain, et technologique par un effort substantiel dans l’industrie de la cybersécurité, la promotion d’une approche territoriale en mobilisant des banques très régionalisées, ce qui passe par une réforme de l’AMF ; le soutien aux PME passe aussi par une grande latitude d’action donnée aux structures régionales de la BPI. 

A la vulnérabilité capitalistique de nos grands groupes industriels, il faut ajouter certains risques majeurs pesant sur nos « majors » : la crise des filières nucléaire, électrique, ferroviaire, et pharmaceutique, les incertitudes stratégiques qui affectent beaucoup d’autres. 

On ne peut non plus passer sous silence le rôle écrasant joué en France par les cabinets anglo-saxons d’avocats, de conseil en stratégie, d’audit, d’expertise-comptable et de courtage d’assurances. Il ne serait pas choquant que le secteur public donne l’exemple en s’appuyant sur des talents français ! Un dernier mot sur le principe de précaution : son application normative relève plus de l’épidémiologie que de la science. Il faut s’en débarrasser si l’on veut confier à notre industrie un grand dessein : celui d’être le moteur du progrès et de nos indépendances, gage du respect de la France dans la mondialisation.

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