L’incroyable épopée du sauvetage de l’or de la Banque de France en 1940<!-- --> | Atlantico.fr
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Loïc Guermeur publie « Les grandes histoires navales de la seconde guerre mondiale » aux éditions Plon.
Loïc Guermeur publie « Les grandes histoires navales de la seconde guerre mondiale » aux éditions Plon.
©Paul J. RICHARDS / AFP

Bonnes feuilles

Loïc Guermeur publie « Les grandes histoires navales de la seconde guerre mondiale » aux éditions Plon. La Seconde Guerre mondiale fit rage aussi sur les mers. Ce sont les combats et histoires navales les plus épiques, et les moins chroniqués, que l'auteur présente ici d'une plume affûtée. Extrait 1/2.

Loïc Guermeur

Loïc Guermeur

Loïc Guermeur relate l'histoire militaire à travers des threads immersifs sur Twitter

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Le 3 septembre 1939, au moment où elle déclare la guerre à l’Allemagne hitlérienne, la France possède la deuxième réserve mondiale d’or. Monnaie de dernier recours, garante de la puissance et de la crédibilité économique du pays, le « métal jaune » est le moyen le plus fiable pour financer l’effort de guerre. C’est évidemment l’une des premières cibles d’Hitler lorsque la Wehrmacht entre dans Paris, le 14 juin 1940. Mais lorsque des officiers allemands se présentent au siège de la Banque de France pour faire main basse sur les réserves françaises, les coffres sont vides  : l’or a disparu.

Le compte à rebours est lancé

Cette volatilisation est loin d’être due au hasard  : c’est le fruit d’une longue expérience, et de précautions prises depuis 1870. En effet, lors du conflit contre la Prusse d’Otto von Bismarck et de ses alliés, l’or français avait été envoyé à Brest, prêt à être évacué vers le Royaume-Uni. En 1914, c’est dans le Massif central que les réserves nationales de métal précieux avaient été stockées. Enfin, depuis la Première Guerre mondiale, la Banque de France a mis en place un plan précis d’évacuation de l’or, dans l’hypothèse d’un conflit armé avec un pays voisin.

En temps de paix, les réserves nationales sont réparties entre Paris et les succursales régionales de la Banque de France. Si une crise survient, la procédure impose un transfert automatique de l’or stocké dans les succursales proches des frontières vers l’intérieur du pays, puis éventuellement vers les ports militaires (Brest, Lorient, Toulon, Le Verdon-Bordeaux), depuis lesquels il serait prêt à être évacué hors de l’Hexagone.

Ainsi en 1932, avant même l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir, la plupart des succursales proches des frontières allemandes, belges, mais également espagnoles et italiennes sont vidées. L’or qu’elles contenaient étant alors envoyé vers Paris et les succursales côtières.

Les années suivantes confirment que ces précautions n’ont pas été prises à la légère. De la guerre civile espagnole à la remilitarisation de la rive gauche du Rhin par l’Allemagne nazie, en passant par la relance des programmes d’armement dans toute l’Europe, les tensions s’accentuent.

En 1938, après l’annexion de l’Autriche, l’Allemagne exige de la Tchécoslovaquie la cession de la région des Sudètes. Au bord de la guerre, l’Europe obtient un sursis au prix des concessions octroyées à Hitler lors de la conférence de Munich.

Pour la France, le message est clair, des mesures d’ampleur sont prises. Ainsi, durant l’année 1938, sur les 2 800 tonnes d’or que possède le pays, la Banque de France en sécurise 600 à New York, dans les souterrains de la Réserve fédérale des États-Unis. Ce transfert, assuré par les navires de la Marine nationale, répond à deux impératifs  : la mise à l’abri de l’or d’abord, et l’assurance de disposer de réserves financières importantes destinées à l’achat d’armes et de matériel aux États-Unis ensuite. Car si le pays a massivement relancé son industrie militaire depuis quelques années, cette dernière accuse un sérieux retard sur l’Allemagne, notamment dans le domaine aérien.

Au printemps 1939, il ne fait plus de doute que l’Europe se dirige vers un nouveau conflit. La Belgique et la Pologne confient leur or à la France –  soit 248  tonnes  – et au cours du mois de mai 1939, la Banque de France répartit ces stocks à Paris et dans 51  succursales régionales proches des ports de Brest, Toulon et Bordeaux.

Le 3 septembre, en réaction à l’invasion de la Pologne, le Royaume-Uni et la France déclarent la guerre à l’Allemagne. Jusqu’au mois de mai 1940, c’est la « drôle de guerre »  : le front est calme et il n’y a quasiment aucun combat.

La torpeur régnant à la frontière ne ralentit pas le programme de mise à l’abri de l’or, qui suit son cours activement. Ainsi, la Marine nationale convoie 400  tonnes vers les États-Unis entre septembre  1939 et mars 1940.

Torpilleurs, contre-torpilleurs, croiseurs, cuirassés  : c’est toute une flotte que la Marine a mise à disposition de la Banque de France. L’or est réparti sur une dizaine de navires pour diminuer le risque de pertes en cas d’attaque de sous-marins allemands.

En outre, l’or français doit être débarqué à Halifax, au Canada, puis être convoyé jusqu’à New York par train blindé. En effet, la France étant désormais en guerre, elle est concernée par les Neutrality Acts, une série de lois américaines qui interdisent aux navires de nations belligérantes de faire escale plus de vingt-quatre heures dans un port américain, un délai trop court pour débarquer la précieuse cargaison, ravitailler le navire, et embarquer le matériel acheté aux Américains.

À Washington, malgré la pression toujours plus forte du courant isolationniste, le président Franklin D.  Roosevelt fait son possible pour appuyer les démocraties européennes. Ainsi contourne-t-il la loi sur la neutralité en faisant adopter le  4 novembre 1939 la clause  Cash and Carry, qui permet à la France et au Royaume-Uni d’acheter des armes aux États-Unis, à condition qu’ils paient comptant et assurent le transport. Grâce à elle, la France peut livrer de l’or au Canada et en repartir avec du matériel militaire.

Le plan de mise en sûreté de l’or repose sur la logistique précise d’un pays stable et en ordre de marche : les trains fonctionnent et les camions roulent de nuit sans rencontrer d’incident. Mais le 14 mai, les armées allemandes percent le front à Sedan et atteignent la Meuse, engageant ainsi un processus d’encerclement des forces alliées, avancées en Belgique. Tous les rapports sont alarmants : la stupéfaction face à la rapidité allemande est totale.

Inquiet de la tournure des évènements, le ministre des Finances Lucien Lamoureux demande au président du Conseil, Paul Reynaud, la permission d’évacuer l’or hors de l’Hexagone. Le gouvernement refuse, arguant que cela donnerait le signe d’une débâcle. Lamoureux désobéit et ordonne au secrétaire général de la Banque de France de déplacer – dans le plus grand secret – la totalité de l’or vers les ports, afin de faciliter sa sortie de métropole.

Le 16  mai, trois navires de la Marine nationale reçoivent l’ordre de partir pour Halifax. Le porte-avions Béarn appareille de Toulon avec 195  tonnes d’or à son bord pour acheter les avions américains dont la France manque cruellement. Le Béarn doit rejoindre dans l’Atlantique deux croiseurs partis de Brest, le Jeanne d’Arc et l’Émile Bertin, eux aussi remplis d’or. Si l’embarquement toulonnais ne rencontre aucun incident, en Bretagne apparaissent les premières difficultés. Les deux croiseurs brestois doivent embarquer 4 200 caisses de lingots, dont 200 viennent de Paris. Or, les  nœuds ferroviaires sont bombardés par une Luftwaffe maîtresse du ciel qui mitraille les trains et désorganise les transports. Dans ces conditions, impossible d’utiliser les chemins de fer depuis Paris.

Ce sont donc deux convois de camions qui partent de la capitale à destination du Finistère. La plupart de ces véhicules partent de Paris à vide, car ils sont destinés à embarquer l’or des succursales bretonnes rencontrées en chemin. Passant par Vannes le 18  mai, puis remontant vers Morlaix via Quimper, les camions se remplissent au fur et à mesure que les succursales se vident. Symbole de la dégradation de la situation militaire et de l’inquiétude qui gagne le pays, les convois sont gênés par la méfiance des gendarmes et les multiples contrôles. Le secret qui entoure l’opération provoque des suspicions de sabotage ou d’espionnage et chaque contrôle entraîne des heures de retard, passées en discussions et négociations. Dans certains villages, le contrôle des mystérieux camions par les gendarmes provoque attroupements et rumeurs, mettant en danger le secret de l’opération et son bon déroulement.

Le 20 mai, 210 tonnes d’or réparties en 4 200 caisses de 52 kilogrammes chacune, ainsi que des dizaines de sacoches de pièces, sont disposées le long des quais du port militaire de Brest, devant les deux croiseurs chargés de les embarquer. L’opération est supervisée par Édouard de Katow, salarié de la Banque de France, qui consigne consciencieusement tous les mouvements.

Plusieurs chaînes de marins sont organisées entre le quai et le pont de chaque navire, puis entre le pont et les soutes avant et arrière. Les caisses sont lourdes et la corvée prend du temps. Sur la petite coupée reliant le quai au croiseur, les marins sont gênés dans leurs mouvements par l’étroitesse du passage. Beaucoup de sacoches sont moisies par des années passées dans des caves humides. À bord de l’Émile Bertin, plusieurs d’entre elles s’éventrent dans les coursives au cours de l’opération. Des dizaines de pièces roulent alors sur le sol, poursuivies par des matelots confus…

La corvée se termine le 21  mai dans l’après-midi. De Katow embarque alors sur le  « Bertin »  afin de faire le lien avec les autorités canadiennes, britanniques et américaines, une fois les navires arrivés à Halifax.

Tous feux éteints pour masquer leur mouvement aux éventuels espions allemands, l’Émile Bertin et le Jeanne d’Arc appareillent au soir du 21  mai. Franchissant les filets anti-sous-marins3 du goulet de Brest alors que les nouvelles du front se dégradent, les deux croiseurs constatent avec inquiétude que l’escorte anti-sous-marine promise n’est pas au rendez-vous. À Dunkerque, les armées anglaise et française sont encerclées et toute la flotte alliée disponible est sur place pour leur permettre d’échapper à la capture ou à la mort. Les contre-torpilleurs initialement affectés à l’escorte des croiseurs brestois sont désormais occupés à protéger l’évacuation des soldats de Dunkerque.

Sans protection face aux éventuels U-Boots, il faut changer de route, et naviguer en zigzag. Enfin en mer, les marins de l’Émile Bertin apprennent la nature de leur mission : rejoindre le porte-avions Béarn au niveau des Açores, puis gagner les Amériques.

Arrivés à Halifax le 1er juin, les trois navires déchargent sans tarder le métal précieux vers le train blindé de la Réserve fédérale des États-Unis, tandis que de l’autre côté de l’Atlantique les camions de la Banque de France continuent leur noria vers Brest, Toulon, Lorient et Le Verdon (port de Bordeaux).

Extrait du livre de Loïc Guermeur, « Les grandes histoires navales de la seconde guerre mondiale », publié aux éditions Plon

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