L’hostilité post Brexit envers le Royaume-Uni est une stratégie perdante pour la France <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Le Premier ministre britannique Boris Johnson accueille le président français Emmanuel Macron à son arrivée pour assister à la COP26 à Glasgow, en Écosse, le 1er novembre 2021.
Le Premier ministre britannique Boris Johnson accueille le président français Emmanuel Macron à son arrivée pour assister à la COP26 à Glasgow, en Écosse, le 1er novembre 2021.
©CHRISTOPHER FURLONG / PISCINE / AFP

Bras de fer

De nombreux chalutiers français ne peuvent plus pêcher en eaux britanniques, faute de licences accordées par le Royaume-Uni. Le conflit de la pêche entre Paris et Londres est né avec le Brexit. Cette crise redessine les relations entre les deux pays. Comment s'inscrit cette opposition sur la question de la pêche dans la longue et tumultueuse histoire franco-britannique ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Atlantico : "The French are always grumpy in October, the anniversaries of Trafalgar and Agincourt upset them." (Les Français sont toujours grognons en octobre, les anniversaires de Trafalgar et d'Azincourt les perturbent.) La pique vient de Jacob Rees-Mogg sur Twitter, faisant référence à l'achoppement des négociations concernant la pêche entre le Royaume-Uni et la France. Derrière le trait d'esprit, qu'en est-il de la réalité historique ? 

Edouard Husson : J'aime beaucoup Jacob Rees-Mogg. Il exprime l'extraordinaire substance des élites britanniques, fidèles à la tradition de liberté de leur pays tout en étant capables de défendre les intérêts les plus actuels de leur pays. Ce qui sauve les Britanniques, c'est l'humour. Et l'humour est source de liberté.  En l'occurrence, comment ne pas rire devant cette mobilisation de la mémoire historique? Si nos politiques avaient de l'humour, ils répondraient, d'ailleurs, que nous avons mis le temps mais nous avons fini par gagner la Guerre de Cent Ans...Il était évident que la querelle de la pêche ne pourrait pas être réglée par les paragraphes de l'accord du Brexit. Les ressources sont rares et la perte d'un certain nombre d'accès est un terrible manque à gagner pour nos pêcheurs. Alors comment ne pas imaginer qu'il y aurait des conflits? Nos hommes politiques ont du mal à accepter que la vie internationale soit un mouvement diplomatique perpétuel, entrecoupé de guerres. La pensée et la pratique de l'Union Européenne a privé la France, qui eut une grande diplomatie, de penser le monde comme une réalité de conflits permanents à surmonter. La classe politique britannique et les élites du pays ont largement gardé le sens d'une grande politique. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils ont voulu reprendre leur indépendance face à l'Union européenne.   

À Lire Aussi

Attractivité : la France résiste au Covid, le Royaume-Uni souffre plus du Brexit que du Covid et l’Allemagne est en risque de panne 

Comment s'inscrit cette opposition sur la question de la pêche dans la longue et tumultueuse histoire franco-britannique ? Les blocages sont-ils si courants entre les deux pays ? 

Il faut faire attention à un point: nous présentons la Grande-Bretagne comme un "ennemi héréditaire" mais cela fait partie des clichés que nous aimons bien entretenir. Entre le fin de la Guerre de Cent ans, au milieu du XVè siècle et la fin du XVIIè siècle, il n'y a aucun conflit entre les deux pays. Pour résister à la pression de Louis XIV, Guillaume d'Orange, monté sur le trône anglais à l'occasion de la Glorieuse Révolution, déclenche en effet ce que l'on pourrait présenter comme une seconde Guerre de Cent Ans, qui se termine en 1815 à Waterloo, par une défaite française cette fois. En réalité, la guerre amorcée dans les années 1690, c'est plutôt Louis XVI qui y met fin, suite à son extraordinaire victoire dans la Guerre d'Amérique, victoire terrestre et navale, menée en premier lieu pour la liberté des mers! Les Anglais sont tellement impressionnés par la maîtrise stratégique de Louis XVI qu'ils arrêtent les frais en 1783 et adhèrent à une paix d'équilibre. C'est d'ailleurs leur admiration pour le génie équilibré de Louis XVI qui les conduit à faire bon accueil à tous les Français qui fuient la Révolution. La guerre qui commence en 1792, après la chute de notre monarchie, est je crois une autre guerre, largement menée pour des raisons idéologiques et d'équilibre des puissances par les Britanniques - exactement comme ils ont combattu l'URSS au XXè siècle. Il faut cependant se rappeler que le XIXè siècle fut ensuite un siècle de bonne entente franco-britannique: Traité de Vienne équilibré, alliance franco-britannique sous Louis-Philippe et Napoléon III. Capacité à surmonter les disputes coloniales après Fachoda. Et le XXè siècle a été, comme nous savons, un siècle d'alliances franco-britanniques pour lutter contre impérialismes et totalitarismes. Encore dans les années 1970, Georges Pompidou se tourne naturellement vers les Britanniques pour trouver plus de soutien au sein du Marché Commun. C'est la marche vers le "tout franco-allemand" et le fédéralisme européen qui a détérioré nos relations avec Londres.   

À Lire Aussi

Pénuries outre-Manche : La France est-elle aussi dépendante de ses travailleurs immigrés que le Royaume-Uni ?

Des pires moments de la relation entre les deux pays (par exemple lors de la guerre de cent ans) aux plus forts (projet d'alliance franco britannique en 1940 par exemple), qu'est ce qui a permis aux Français et aux Britanniques de dépasser leurs différences ? Y-a-t-il des leçons à tirer des épisodes historiques pour la crise actuelle ?

Nos pays sont les deux plus anciens Etats de l'Europe moderne. Les deux pays se sont constitués comme des puissances d'équilibre. C'est parce que nous nous ressemblons beaucoup que nous sommes souvent en rivalité. Une rivalité mimétique comme dirait René Girard. Les Britanniques cependant nous connaissent mieux que nous ne les connaissons. Ils ont su héberger les persécutés de la Révolution avec une grande générosité - et cela leur a bénéficié: le comportement admirable des prêtres français persécutés par la Révolution et accueillis par les Britanniques a largement contribué à changer l'image du catholicisme en Grande-Bretagne et permis la fin des persécutions contre les catholiques anglais. De même, quelle lucidité de Churchill quand il accueille de Gaulle ! Nous avons beaucoup à apprendre des Britanniques, en particulier de leurs élites en ce qui concerne l'organisation politique de la liberté. Emmanuel Macron n'a absolument pas senti ni compris qu'il était absurde de vouloir punir les Britanniques pour le Brexit. Il a sous-estimé nos voisins d'outre-Manche: la perte du contrat australien est largement une réponse de Boris Johnson à l'hostilité bornée d'Emmanuel Macron. C'est tellement dommage vu les intérêts que nous avons en commun avec la Grande-Bretagne. Aujourd'hui, ils sont beaucoup plus importants que ce que nous pouvons partager avec l'Allemagne: défense commune de la liberté des mers, coopération dans le domaine de la défense, nécessité de combattre l'impérialisme chinois, possible coopération universitaire etc....

À Lire Aussi

Le torchon brûle avec Londres

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !