L'habile stratégie de Xi Jinping pour placer la Chine au centre de l'échiquier mondial<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
L'habile stratégie de Xi Jinping pour placer la Chine au centre de l'échiquier mondial
©Pavel Golovkin / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Michel Duclos publie un ouvrage collectif, "Le monde des nouveaux autoritaires", aux éditions de L’Observatoire. D'un bout à l'autre du globe, démagogues, "hommes forts", autocrates et dictateurs en tout genre se suivent mais ne se ressemblent pas. Qui sont ces nouveaux autoritaires qui de plus en plus déterminent la politique mondiale ? Extrait 2/2.

François Godement

François Godement

François Godement est conseiller pour l’Asie à l’Institut Montaigne. Il est également Senior non resident fellow du Carnegie Endowment for International Peace, et consultant externe au ministère de l’Europe et des affaires étrangères français. Il était précédemment directeur du programme Asie de l’ECFR, professeur des universités à l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) puis à SciencesPo. Il a fondé le Centre Asie de l’IFRI, le CSCAP Europe (Council for Security Cooperation in the Asia‑Pacific), et le think tank Asia Centre. Son dernier ouvrage, La Chine à nos portes. Une stratégie pour l'Europe (avec Abigael Vasselier), a été publié chez Odile Jacob, en 2018

Voir la bio »
Michel Duclos

Michel Duclos

Michel Duclos est diplomate et conseiller spécial en géopolitique pour l'Institut Montaigne. Il est notamment l'auteur de la note Syrie : en finir avec une guerre sans fin et de La Longue Nuit Syrienne (Éditions de l’Observatoire, 2019).

De 1984 à 1987, il occupe le poste de Directeur-adjoint du Centre d’Analyse et de Prévision du Ministère des Affaires étrangères, de 2000 à 2002, il est ambassadeur au COPS à Bruxelles, de 2002 à 2006 il est représentant permanent-adjoint de la France auprès des Nations Unies, de 2006 à 2009, il est Ambassadeur en Syrie, puis en Suisse de 2012 à 2014.

Michel Duclos est diplômé de l'Ecole Nationale d'Administration (ENA).

Voir la bio »

L’ascension au pouvoir de Xi en novembre 2012 suivait une période où le duo dirigeant Hu Jintao‑ Wen Jiabao s’était enlisé. La mode, y compris dans les milieux conservateurs chinois, était de dénoncer leur immobilisme, ou parfois leur insuffisant nationalisme. Ce n’était pas tout à fait exact, mais il est vrai que Hu Jintao en particulier s’est trouvé sous la pression constante de factions à la fois « rouges » – une gauche maoïste ressuscitée – nationaliste et quasi bonapartiste (Bo Xilai, dont la chute scelle une nouvelle coalition avec Xi à sa tête en 2012) et militaire (l’agitation antijaponaise et la célébration de l’armée ont pris leur essor en 2009‑2010). Aujourd’hui encore, on trouve peu de traces du positionnement personnel de Xi pendant ces années. 

Ce qui est sûr, c’est qu’il émerge en 2012 en prenant le contre‑pied de la vieille garde (l’insubmersible Jiang Zemin et les « shanghaiens » du PCC, Zhou Yongkang à la tête de la Sécurité et du secteur pétrolier), par une alliance, le temps d’un Congrès du PCC, avec Hu et Wen. La présence de Li Keqiang comme numéro deux et Premier ministre semble aussi dans la continuité. Et pourtant, ce dernier ne va cesser de perdre en leadership au profit de proches de Xi, à commencer par Wang Qishan, tsar de la finance promu à la tête de la campagne contre la corruption. Cette brutale et surtout très longue campagne va décimer les factions du PCC, et tenir en respect des dirigeants retraités qui n’ont pas envie de subir le sort de Bo Xilai. De plus, les accusations de corruption se doublent aujourd’hui parfois de celle de « conspiration politique » ou de « personnage à deux visages ». Xi Jinping va affirmer son pouvoir personnel d’abord en abandonnant en pratique puis formellement l’expression de « direction collective » léguée par Deng, puis avec un culte de la personnalité sans précédent depuis 1976, en cumulant tant de pouvoirs qu’il sera surnommé « le président de tout ». Il modifie aussi en profondeur les règles de fonctionnement et du Parti, et pas seulement la règle qui limite le président à deux mandats de cinq ans. Il est officiellement identifié comme « le noyau dirigeant du Parti ». Ce rôle est renforcé par l’obligation faite aux membres du Bureau politique de faire chaque année leur auto‑évaluation. Mais les échelons inférieurs se trouvent aussi dévitalisés – la campagne contre la corruption est une menace permanente, et les directives centrales s’étendent : un aspect de la « légalisation » du régime très différent des essais constitutionnalistes parfois envisagés auparavant réside dans la multiplication de cet arsenal de lois, de règles, de directives et d’instructions. Avec un principe réaffirmé : « le Parti, le gouvernement, l’armée, la société et l’éducation, l’Est, l’Ouest, le Sud, le Nord et le Centre – le Parti dirige tout. » La « pensée Xi Jinping » sur le socialisme aux caractéristiques chinoises et à l’ère nouvelle a été inscrite dans la Constitution du Parti (2017) et celle du pays (2018) : elle est martelée par l’appareil de propagande. Enfin, des deux successeurs potentiels évoqués en 2012, l’un, Sun Zhengcai, a été condamné à la prison à vie pour corruption ; l’autre, Hu Chunhua, est certes vice‑Premier ministre, mais avec un porte‑ feuille dominé en réalité par Liu He, un proche de Xi Jinping. Le Politburo apparaît partagé entre technocrates reconnus et obligés de Xi, tel Chen Quanguo, l’implacable secrétaire du PCC pour la région autonome du Xinjiang. 

La marque de Xi Jinping est imprimée sur les politiques chinoises depuis 2012 – y compris dans leurs impasses. D’un côté, le « rêve chinois » et le « renouveau » du pays, rejoints par « la ceinture et la route », la « communauté de destin pour l’humanité », la modernisation en 2035, la Chine « au premier rang du monde en termes de puissance globale » en 2050. Au service de ces objectifs, la priorité à la montée en gamme de l’industrie, à l’innovation y compris par emprunt à l’étranger, mais aussi l’éradication de la pauvreté par un programme sans précédent de transfert de populations à l’intérieur des zones rurales pauvres, le dédoublement de la capitale avec la nouvelle ville de Xiong’an et le « perfectionnement de l’économie de marché socialiste ». Mais de l’autre, une stagnation des réformes économiques de plus en plus évidente : en 2013, un ambitieux programme citant près de 350 objectifs est largement resté inachevé, et l’économie d’État a repris le dessus, notamment à chaque phase de restriction du crédit. Les concessions libérales, reprises en 2018 sous la pression des demandes commerciales américaines, apparaissent très ponctuelles et relevant d’un marchandage international avec chaque partenaire important de la Chine plus que d’un programme cohérent. Politiquement, le retour en arrière est saisissant par son ampleur. Aucun des prédécesseurs de Xi n’avait engagé une démocratisation ou la construction d’un État de droit, mais Xi a rendu plus explicite le refus, et surtout engagé, grâce aux technologies numériques, des programmes de surveillance sans précédent. 

La mutation d’une économie d’investissement vers une société de consommateurs est lente, et ce retard se traduit par un endettement public toujours plus important, même s’il est surtout situé dans les administrations locales et les entreprises d’État. L’essor international accéléré par Xi Jinping – la Chine est devenue un des principaux prêteurs internationaux – s’accompagne d’une réduction de l’excédent des comptes courants, et par conséquent des capitaux disponibles pour leur poursuite. Rien, pourtant, ne semble arrêter l’excédent de la balance commerciale : en plein affronte‑ ment commercial avec les États‑Unis, une réduction autoritaire des importations en provenance des État‑ Unis (‑30 %) et la montée des ventes vers d’autres destinations maintiennent ce déséquilibre qui est, avec l’épargne intérieure, le grand pourvoyeur de l’investissement financier. 

On comprend en ce sens que Xi Jinping est aussi un dirigeant pragmatique quand c’est nécessaire. L’absence d’escalade avec les États‑Unis, la retenue au moins initiale face à une extraordinaire protestation de la population de Hong Kong, le radoucissement avec le Japon, l’accalmie avec l’Inde, les propos conciliants avec l’Union européenne sont aussi signés par Xi. Ne confondons pas une pause et un changement de cap. Avec Barack Obama en 2015, Xi avait spectaculairement menti en affirmant que la Chine ne militari‑ serait pas la mer de Chine du Sud. Les négociateurs commerciaux américains et européens font face à un même problème : celui des promesses non tenues. En ce sens, les déchirements internes des démocraties sur la politique à tenir avec la Chine, et notamment la crainte d’enclencher une prophétie autoréalisatrice en durcissant le ton, sont sans objet. Du vivant de Xi Jinping, la ligne a été donnée : « Personne ne doit s’attendre à ce que la Chine avale des couleuvres au détriment de ses intérêts » et « pour forger le fer, il faut être fort.

Extrait de l’ouvrage collectif "Le monde des nouveaux autoritaires" publié aux éditions de l’Observatoire sous la direction de Michel Duclos  

Lien vers la boutique Amazon : ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !