L'Europe est-elle sur le point de payer (cher) sa révolution énergétique manquée ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les prix du gaz en France sont 3 ou 4 fois plus élevés qu'aux Etats-Unis ou en Russie.
Les prix du gaz en France sont 3 ou 4 fois plus élevés qu'aux Etats-Unis ou en Russie.
©Reuters

Coûts dissimulés

L'énergie est beaucoup plus chère en Europe que dans les grands pays industrialisés des autres régions du monde. En particulier, les prix du gaz sont 3 ou 4 fois plus élevés qu'aux Etats-Unis ou en Russie,et 12 % supérieurs à ceux de la Chine, selon la commission européenne. En réaction, cette dernière a adopté mercredi 22 janvier une recommandation qui autorise l'exploitation du gaz de schiste en Europe.

Nicolas Mazzucchi

Nicolas Mazzucchi

Nicolas Mazzucchi est conseiller scientique de Futuribles international et géoéconomiste spécialiste des questions énergétiques. Il est aussi docteur en géographie économique, professeur de relations internationales au sein de l’Enseignement militaire supérieur spécialisé et technique, intervenant à Sciences Po et à Polytechnique. Il est l'auteur de Energie, ressources, technologies et enjeux de pouvoir, chez Armand Colin (2017) et avec O. Kempf et F-B. Huyghe, Gagner les cyberconflits, Economica, 2015.

 

 

 

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Atlantico : Comment expliquer l'inflation des coûts énergétiques européens comparés à ceux de ses partenaires américains, russes ou chinois ?

Nicolas Mazzucchi : Tout d’abord il faut comprendre qu’une telle comparaison, sur une base brute, est peu pertinente. En effet si la Russie, les États-Unis ou la Chine sont des États disposant chacun d’une politique centralisée de l’énergie, même dans le cas américain où le secteur productif est libéralisé, au sein de l’UE chaque État mène sa politique énergétique comme il l’entend dans les limites de la politique de concurrence fixée par Bruxelles. Il en résulte qu’on ne peut parler du « secteur énergétique européen » puisque ce dernier n’existe tout simplement pas. En effet, comment comparer la France qui a fait le choix d’un mix électrique principalement nucléaire (75 %) avec des pays dont la base est fortement charbonnée (Pologne, République Tchèque, Hongrie, etc.), ceux qui se sont tournés vers le gaz (Italie) ou ceux qui ont fait des choix hybrides (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne) ? Chaque pays choisit donc sa politique, sans qu’on puisse parler d’une politique européenne dans le domaine. Certaines énergies sont en outre plus coûteuses que d’autres, notamment parce que les pays européens, à de rares exceptions, ne sont pas des producteurs d’hydrocarbures.

Les prix de l’énergie en Russie ou en Chine sont extrêmement subventionnés comme dans la plupart des pays producteurs d’hydrocarbures (Algérie, Qatar, Kazakhstan, etc.) cela explique en partie la relative faiblesse des coûts. Aux États-Unis la question énergétique est épineuse et si les coûts sont aujourd’hui plus faibles, c’est avant tout dû à la "révolution" du gaz de schiste comme à l’intégration des réseaux pétro-gaziers au sein de l’ALENA, puisque le Mexique et le Canada sont les deux principaux fournisseurs en hydrocarbures des États-Unis. Toutefois il faut se souvenir des tâtonnements des administrations Bush et Obama avant 2010 – notamment la tentative de relance du nucléaire, puis de celle du charbon – et des problèmes récurrents d’approvisionnement électrique comme en Californie après l’affaire Enron. Tout n’est pas parfait chez eux non plus.

Comment ces pays ont-ils réussi à obtenir cet avantage compétitif, contrairement à l'Europe ?

Déjà ce sont tous d’importants producteurs d’hydrocarbures, que ce soit de gaz (États-Unis et Russie) ou de pétrole (Chine et Russie), sans même parler du charbon. Cause ou conséquence, ils ont fait le choix de disposer de mix énergétiques très fortement carbonés et polluants où les énergies fossiles sont extrêmement présentes. Par exemple la production d’électricité aux États-Unis se fait très majoritairement grâce au couple gaz-charbon (41 % du total pour le gaz et 31 % pour le charbon) ; de même en Chine, le charbon est roi avec près de 90 % de la production électrique. En utilisant ces matières premières qu’ils produisent en partie sur leur sol - la Chine est le 4e producteur mondial de pétrole – et dont la facilité d’utilisation induit des coûts moindres, ils réussissent malgré une demande extrêmement forte en énergie à être compétitifs. L’Energy Information Administration, qui est une agence du gouvernement américain, a chiffré les coûts du KWh de chaque énergie ; si ceux du gaz, du pétrole et du charbon sont relativement faibles, de l’ordre de 60 à 90 USD, ceux des énergies renouvelables et du nucléaire sont bien plus élevés (environ 100 USD pour le nucléaire et jusqu’à 400 USD pour le solaire photovoltaïque). De plus l’unification des réseaux et des politiques énergétiques dans ces pays permet une plus grande efficacité eue égard à leur taille que pour l’Europe, où chaque pays fait ses propres choix, ne serait-ce que pour le voltage des prises.

Néanmoins c’est un choix de productivité qui se fait au détriment de la préservation de l’environnement. La Chine et les États-Unis sont ainsi les deux principaux pollueurs mondiaux et sont particulièrement responsables du changement climatique désastreux en cours. Au contraire, de nombreux pays européens, à commencer par la France, sont beaucoup plus "verts" et ont fait le choix d’énergies peu polluantes comme l’hydraulique, ou même le nucléaire, qui émet 500 fois moins de CO2 que le charbon.

Quelles autres contraintes (politiques, environnementales, culturelles...) pèsent sur la compétitivité du secteur énergétique européen ?

Il est certain que les choix faits en Europe concernant la préservation du climat – notamment le paquet 20-20-20 – ont un impact sur la compétitivité énergétique du continent. L’Europe a toujours été en pointe sur ces questions et la volonté affichée par de nombreux États dont la France a forcément une traduction économique. Les différents pays européens ont ainsi été confrontés à une situation complexe où ils ont dû satisfaire la demande énergétique des usagers tout en respectant les engagements pris pour la préservation de l’environnement (réduire de 20 % les émissions de CO2, passer à 20 % la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique national). Tout cela à un coût puisque les énergies renouvelables ne sont pas matures économiquement, ni même technologiquement pour un déploiement à grande échelle. Si l’Allemagne se vante de son avance en la matière, elle ne doit sa sortie du nucléaire qu’à un recours massif au charbon de Silésie et au gaz russe

Concernant la régulation des prix et de la production, chaque pays ayant une politique indépendante, tous les cas de figure se retrouvent sans que l’on puisse dire lequel est le meilleur dans l’absolu. Toutefois les changements opérés en France par la loi NOME, adoptée sous la pression de Bruxelles, qui va ouvrir le marché des centrales électriques – notamment les barrages hydrauliques – à la concurrence étrangère, si elle ne devrait pas avoir d’incidence sur le prix final pourrait être un rude coup pour les opérateurs français.

Quelles sont  les conséquences économiques de ce nouveau paysage énergétique pour l'Europe ? Quel surcoût entraîne-t-il en termes de consommation énergétique et en matière d'investissements pour redresser ces déséquilibres ?

Il est bien évident que l’Europe ayant été le premier continent à connaître un développement massif de la production énergétique au niveau industriel – sans même remonter à la Première Révolution Industrielle fondée sur le charbon au début du XIXe siècle – il est celui dont les installations sont les plus âgées. Cela se ressent notamment sur les parcs des différentes centrales thermiques ou nucléaires, dont certaines datent des années 1960. Les Britanniques n’ont par exemple arrêté leur première centrale nucléaire, Calder Hall 1, qui datait de 1956, qu’en 2003, et les centrales belge de Doel 1 et espagnole de Santa Maria de Garoña ont été construites à la fin de la décennie 60, la dernière ayant été arrêtée fin 2012. En France une grande partie du parc nucléaire date des années 70-80. Tout cela impose d’importants travaux de mise en conformité et d’entretien régulier pour maintenir une production satisfaisante. Le vieillissement des installations couplé au vieillissement des réseaux de transport et de distribution d’électricité entraîne des coûts opérationnels très importants in fine.

Il y a donc un immense chantier qui se profile, avec des choix à opérer tant au niveau national que communautaire. Le premier choix sera de développer ou non une vraie politique européenne de l’énergie puisque cette dernière est quand même  l’une des bases de l’UE, que ce soit avec la CECA ou Euratom. Pour l’instant il s’agit plutôt d’engagements nationaux contrôlés au niveau communautaire et dont le niveau varie selon le bon vouloir de chacun. Si la Commission a proposé une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % pour 2035, les pays-membres – notamment le Royaume-Uni et l’Espagne – vont se battre pour faire abaisser ce niveau avant de signer le document final. On peut dire de ce point de vue que la révolution européenne de l’énergie a été totalement manquée, notamment parce que les Européens n’ont pas voulu faire le choix de s’allier entre eux fermement mais ont préféré jouer chacun avec des partenaires extra-communautaires (Russie pour l’Allemagne, Etats-Unis, etc.).

Le deuxième enjeu se situe au niveau national. Pour la France il s’agit de faire enfin des choix. Va-t-on continuer dans la voie actuelle nucléaire et hydraulique ou faire le choix de diminuer la part du nucléaire pour aller soit vers du charbon, soit vers des énergies renouvelables (solaire, éolien offshore) ? La continuité semble la voie la plus raisonnable eu égard aux défis qui attendent le pays dans les années à venir tant du point de vue de la compétitivité que des engagements sur la préservation du climat. Néanmoins il est évident que, quel soit le chemin choisi, un plan de grands travaux doit être entrepris de rénovation ou de construction d’installations comme de modernisation du réseau électrique pour arriver vers un vrai smart grid qui, lui, permettra d’abaisser les coûts sur le long terme.

La décision européenne d'autoriser l'exploitation du gaz de schiste dans certains pays européens a-t-elle pour objectif de rattraper le retard du continent en termes de coûts ?

En fait cette décision concerne principalement certains pays d'Europe centrale et orientale, soit la Pologne et la Roumanie. Elle s'explique avant tout par des raisons d'indépendances énergétiques plutôt que de coût. La Pologne notamment est historiquement coincée entre la Russie et l'Allemagne, alliées énergétiquement via Gazprom. La Pologne a été la victime principale des guerres gazières russo-ukrainiennes à la fin des années 2000. C'est donc plutôt dans cette optique d'indépendance qu'il faut lire cette recommandation, car échanger du gaz contre du charbon risque finalement de revenir plus cher  à la Pologne. En effet, pour des raisons géologiques, elle va devoir forer beaucoup plus et profondément que les États-Unis.

Propos recueillis par Pierre Havez

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