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L’espèce humaine est-elle suffisamment outillée pour empêcher sa propre extinction ?
©Pixabay

Bonnes feuilles

Le genre humain se découvre, surpris, au bord de l’extinction et ne réagit que mollement, en tentant de manière dérisoire de dégager un bénéfice commercial de toute tentative de réponse. Notre constitution psychique et notre histoire jusqu'ici suggèrent malheureusement que notre espèce n’est pas à la hauteur de la tâche : la découverte que chacun d’entre nous est mortel l’a plongée dans une stupeur profonde dont plusieurs milliers d’années de rumination ne sont pas parvenues à la faire émerger. Extrait de "Le dernier qui s'en va éteint la lumière" de Paul Jorion, aux éditions Fayard 2/2

Paul Jorion

Paul Jorion

Paul Jorion est Docteur en Sciences sociales et enseignant. Il a aussi été trader et spécialiste de la formation des prix dans le milieu bancaire américain.

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Vous avez peut-être eu l’occasion de voir cette vidéo où un conférencier conclut en disant que sa conviction personnelle est qu’il y a dans la salle des personnes qui vivront mille ans.

S’il avait fait débuter sa conférence par une telle profession de foi, il aurait évidemment couru le risque que certains de ses auditeurs ne se lèvent aussitôt pour quitter la salle, persuadés d’avoir affaire à un fou. Mais d’autres seraient certainement restés assis pour connaître la suite : pareils propos sont sûrs d’amuser, d’intriguer en tout cas, même ceux qu’il sera difficile de convaincre.

Ce qui nous détourne de prendre au sérieux l’idée de vivre mille ans, c’est que nous imaginons trop bien le type d’individus que ce genre d’idées séduira : des gens. imbus de leur personne, convaincus que leur présence est indispensable à l’avenir du genre humain. Ce sont eux qui veillent à ce que leur corps soit cryogénisé à leur décès, congelé de telle sorte qu’ils puissent être ressuscités lorsque les progrès de la médecine permettront de guérir l’affection qui les a emportés.

La perspective de vivre mille ans est une approximation pour nous du rêve de l’immortalité. Oui, nous ressentons un choc quand nous découvrons que nous mourrons un jour, mais nous assimilons rapidement la nouvelle, qui va rejoindre alors les autres faits désagréables que nous regroupons dans la catégorie dite de la " dure réalité ". 

Dans le cas de notre espèce, la vie, le processus biologique, a échoué à réaliser ce qui était pourtant l’une des options envisageables : assurer la perpétuation de l’espèce par l’immortalité de ses représentants. C’était là l’option qui aurait rencontré les aspirations de l’être humain : prenant conscience de lui-même comme immortel, il en aurait été satisfait.

Nous, êtres humains, n’avons en réalité jamais digéré le fait que nous allions mourir un jour. Nous nous faisons sans doute une raison quand nous comprenons que notre existence sera nécessairement limitée dans le temps, mais notre espèce dans son ensemble a très mal pris la nouvelle : la quasi-totalité des religions est dans le déni, affirmant que la mort individuelle est une illusion, qu’après la corruption – indéniable, celle-ci ! – du corps nous existerons encore d’une certaine manière dans un " au-delà ".

L’homme a réagi à la découverte de sa mortalité individuelle en plongeant dans une dépression profonde qui affecte depuis l’espèce tout entière. Constatant au contraire son immortalité, il ne lui serait jamais venu à l’esprit de concevoir une eschatologie : la représentation d’un monde situé ailleurs auquel il aura accès plus tard et où se déroulera enfin sa " vraie vie ".

Certains peuples ont fait du combat contre la mort le cœur même de leur civilisation, comme les Égyptiens anciens. D’autres se sont enfermés dans le déni et ont préféré inventer des fadaises : que la mort est une illusion parce que tout finit par s’arranger dans un monde qui s’ouvre au moment de la mort et où l’on réside à partir de là éternellement.

Les religions ont inventé des eschatologies nous expliquant ce qui se passera " après " ; et, comme l’imagination humaine est sans limite, ces mythologies diffèrent les unes des autres. Il y a deux inconvénients tragiques à cela. Le premier est que, comme Dieu est manifestement " de notre côté " et non de celui des autres, nous nous imaginons rendre un grand service à l’humanité tout entière en débarrassant le globe de la vermine qu’ils sont. Le second inconvénient, c’est que focaliser son attention sur cette chimère qu’est la vie après la mort dans un ailleurs inévitablement présenté comme un paradis par rapport au monde où nous vivons distrait de la tâche d’améliorer celui-ci, ou du moins de le rendre ou de le garder viable. De telles eschatologies ont joué un rôle démobilisateur majeur vis-à-vis de la lutte contre l’éventuelle extinction du genre humain, dont l’urgence serait sinon apparue en pleine lumière : organiser sur une base renouvelable et durable la vie du genre humain sur la planète qu’il occupe.

Extrait de Le dernier qui s'en va éteint la lumière de Paul Jorion, publié aux éditions Fayard, mars 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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