Bonnes feuilles
L'erreur est humaine : l'impérieuse nécessité du retour d'expérience pour éviter les désastres
Les lourdes sanctions seraient-elles contreproductives en cas de fautes graves ? Christian Morel évoque le cas d'une méthode plus appropriée, celle d'une pratique juste, sans laxisme, en ayant recours au dialogue et au retour d'expérience. Extrait de son ouvrage "Les décisions absurdes III, L'enfer des règles, Les pièges relationnels" aux éditions Gallimard. (2/2)
Christian Morel
La transparence, « punition » constructive
À l’occasion d’une conférence sur le Charles-de-Gaulle, où j’avais été invité pour faire passer des messages en matière de fiabilité humaine, et d’une conférence au Centre de planification et de conduite des opérations militaires (CPCO) du boulevard Saint-Germain, j’ai pu discuter avec deux commandants du porte-avions de leur pratique de la culture juste. Leur idée était de substituer à la sanction d’une erreur sa diffusion par les intéressés eux-mêmes auprès des autres unités du bâtiment et ils ont cité chacun un exemple très intéressant.
Le premier a décrit le cas d’un marin cuisinier qui avait failli rester enfermé dans une chambre froide, parce que l’équipe de cuisine avait négligé et retardé la réparation de la porte. Au lieu de sanctionner le groupe, le commandant a demandé à ses membres d’exposer, devant les officiers du porte-avions, à l’occasion d’une journée sur la sécurité, le retour d’expérience de leur erreur en veillant à parler des causes profondes.
Le second a cité l’exemple d’un branchement erroné de la ligne d’alimentation en électricité du porte-avions à quai par une équipe de trois marins, un binôme et son chef coordinateur. Deux des trois fils électriques avaient été intervertis sur la boîte, ce qui, fort heureusement, avait fait disjoncter le système. Mais, si la coupure automatique avait fait défaut, les conséquences auraient pu être très graves. Les marins, certains que leur action était correcte, ont répété la fausse manœuvre une ou deux fois. En fait, les indications de couleur qui devaient détromper les opérateurs étaient mal placées et pouvaient se confondre avec les teintes du cuivre. Compte tenu de cette ambiguïté, le commandant a décidé de ne pas les punir. En remplacement de la sanction, il leur a demandé d’aller dans cinq services du porte-avions raconter l’histoire de la méprise et d’y discuter des enseignements à en tirer.
Pour comprendre la portée de cette politique, il faut imaginer ce qu’elle représenterait dans un hôpital : les soignants, concernés par un événement indésirable, tenus de raconter devant une assemblée de médecins ou dans d’autres services le déroulement des faits et de discuter de leurs causes profondes.
La formule choisie par les commandants du porte-avions est doublement pédagogique. L’important n’est pas la sanction, la compréhension de ce qui s’est passé évitera que le dysfonctionnement ne se reproduise. De plus, la diffusion large du retour d’expérience vers les opérateurs enrichit l’apprentissage collectif : c’est une action de résilience non seulement pour le service « fautif », mais pour tous.
Cependant, non-punition ne signifie pas laxisme. Un des deux commandants a cité une sanction qu’il a dû prendre à l’égard de deux membres d’équipage qui avaient oublié de bloquer, à l’aide d’une goupille, une grue de dépose de siège éjectable qui a basculé, détérioré une pièce de l’avion et créé un risque d’écrasement du personnel. La punition est alors tout sauf anodine, car, aux quelques jours d’arrêt, s’ajoute l’inscription de la sanction au dossier professionnel.
Extrait "Les décisions absurdes III, L'enfer des règles, Les pièges relationnels" de Christian Morel aux éditions Gallimard
En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.
Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !