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L’épidémie de grippe engorge les hôpitaux français : y a-t-il encore un médecin libéral dans l’avion France (et comment en sommes-nous arrivés là) ?
©Allociné

MST aurait-elle la grippe ?

L'épidémie de grippe bouscule actuellement les urgences hospitalières. Pourtant, ce n'est pas une fatalité. Durant le quinquennat actuel, la médecine libérale a été particulièrement découragée, ce qui entraîne des problèmes d’augmentation du nombre de patients aux urgences... qui pour la plupart ne devraient pas s'y trouver.

Jean-Paul Hamon

Jean-Paul Hamon

Jean-Paul Hamon est président de la Fédération des médecins de France.

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Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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Atlantico : "La consigne est claire : il faut déprogrammer des activités quand c’est nécessaire pour accueillir les malades victimes de la grippe" a déclaré mercredi 11 janvier Marisol Touraine. Ne trouvez-vous pas ironique de sa part de le dire au regard de l'action du gouvernement en matière de santé ? Dans quelle mesure peut-on dire que Marisol Touraine récolte aujourd'hui les fruits d'une politique qui a notamment visé à recentrer l'offre de soin vers les hôpitaux au détriment de la médecine libérale ?

Frédéric Bizard : Le fait le plus marquant est l’amateurisme dont les pouvoirs publics français font preuve chaque année avec la grippe, et pas seulement depuis l’arrivée de Marisol Touraine. On est dans un cas typique d’absence d’anticipation face à un épisode grippale qui arrive tous les ans à la même période et dont celui de cet hiver n’a rien d’exceptionnel.

La grippe saisonnière touche chaque année de 3% à 8% de la population française, avec une moyenne de 2,5 millions de personnes atteintes. L’épidémie survient entre le mois de novembre et avril, débute souvent en décembre et dure en moyenne 9 semaines. Les plus de 65 ans représentent 5% à 10% des cas mais paient le plus lourd tribut avec la quasi-totalité des quelques 2000 décès annuels liés à la grippe. L’histoire est connue, encore faudrait-il que le Ministère s’y intéresse !

Le virus principal de cet hiver 2017, connu dès le début de saison, est de type A H3N2, cousin de celui qui avait été particulièrement mortel en 2015, avec une surmortalité de plus de 15000 personnes, majoritairement des personnes âgées. Malgré cette caractéristique connue dès septembre 2016, aucune mesure préventive à la hauteur du risque n’a été prise : pas de campagne nationale intensive de sensibilisation sur les mesures d’hygiène qui sont fondamentales, pas de mesures spéciales sur les lieux sensibles comme les maisons de retraites, ni sur la vaccination des groupes cibles …

La France paie à prix cher cet amateurisme puisque la Ministre a elle-même annoncé que « le bilan épidémique sera probablement lourd cette année », ce qui annonce probablement une surmortalité de plusieurs milliers de personnes. C’est en effet trop tard pour agir quand on sait que le vaccin procure une immunité deux à trois semaines après l’injection et que le pic de l’épidémie sera la semaine prochaine. Pour illustrer l’irresponsabilité face à ce risque, le taux de vaccination du personnel soignant dans les maisons de retraite est estimé autour de 35% cette année alors que la couverture vaccinale doit être de 70% au minimum chez les groupes à risques pour avoir un effet. Sur l’ensemble des groupes à risques, on est autour de 50%.

Cette crise grippale est bien, avant tout, une défaillance (on pourrait même dire une absence) de la politique de santé publique menée. Écouter la Ministre donner les instructions de management de l’activité hospitalière citées dans votre question serait drôle s’il ne s’agissait pas de vies humaines en jeu ! C’est une défaillance politique qui se traduit par des milliers de pertes humaines évitables.

Jean-Paul Hamon : La décision de déprogrammer des opérations qui ne sont pas urgentes pour libérer des lits d’hôpitaux relève du bon sens. Avec l’hiver beaucoup de personnes âgées sont hospitalisées et pour une fois le gouvernement réagit. Les afflux aux urgences hospitalières sont actuellement inadmissibles, les médecins libéraux connaissent une affluence relative alors que l'épidémie ne fait que démarrer. L'absence de régulation aux urgences des hôpitaux fait que les patients s’entassent bien qu’ils n’aient souvent rien à y faire. Les patients atteints de la grippe ont toute leur place dans les maisons médicales de garde créées par des médecins libéraux et pas aux urgences. Il n’y a pas assez d’éducation de la population sur le bon usage de l’hôpital et Marisol Touraine en porte la responsabilité.

Comment, jusqu'à présent, décrire l'équilibre entre secteur privé et public ? Et quelle pourrait être selon vous la facture du déséquilibrage qui en est cours à la fois pour les patients, mais aussi pour les budgets ?

Frédéric Bizard : Il existe un déséquilibre structurel de la dépense de soins en France en faveur de l’hôpital qui représente 37% de la totalité des dépenses (contre 29% en moyenne dans l’OCDE) et en défaveur de la ville dont la part est de 25% (contre 33% dans l’OCDE). Notre hospitalo-centrisme historique se retrouve donc bien dans les dépenses et est un boulet dans l’ère des maladies chroniques et de la révolution technologique qui entraîne un mouvement de balancier massif vers l’ambulatoire.

Les épisodes grippaux nous rappellent qu’on aura toujours besoin d’hôpitaux avec des lits de médecine, d’autant plus que la population vieillit. Cependant, le monde hospitalier se trompe de cibles quand il évoque la question des moyens. Le problème est l’allocation des ressources et non le niveau de ces ressources. Si on prend les lits, on dispose en moyenne de 20% de plus de densité de lits que dans les autres pays de l’OCDE et le taux d’occupation est d’ailleurs plus faible. Il y a une crise sociale à l’hôpital public qui a plusieurs causes dont l’excès de procédures et de normes, un nivellement par le bas du management et une gestion déficiente de l’État. Le résultat est un trop faible investissement dans les ressources clés de l'hôpital que sont le personnel soignant et les équipements innovants. Le retard dans la digitalisation de nos hôpitaux est un exemple parmi d’autres.

La politique dogmatique anti- secteur privé menée par Mme Touraine a évidemment dégradé la couverture médicale en ville, avec des jeunes médecins qui n’osent plus s’installer tant les pouvoirs publics ont déprécié l’exercice libéral. Les cliniques privées ont été exclues du service public, i.e. que plus aucune clinique ne peut obtenir de nouvelle autorisation d’ouvrir un service d’urgences. Le rééquilibrage ville-hôpital nécessite de réformer simultanément les deux piliers de la médecine française pour les rendre plus solide dans le nouveau monde.  Dans l’esprit du modèle français, cela signifie de renforcer la médecine libérale en ville et de maintenir la mixité public-privé à l’hôpital (avec l’hôpital public comme pilier). On a détruit le modèle français sans proposer d’alternative. Il va falloir reconstruire lors du prochain quinquennat.

Jean-Paul Hamon : En ce qui concerne le budget, la facture est colossale. La directrice générale de l’offre de soin (DGOS) rêve d’ouvrir des centres de santé avec des médecins hospitaliers pour anticiper la chute de la démographie libérale. Si cela se produit, le coût sera nettement plus élevé que celui de la médecine libérale. Cela illustre les dérives actuelles de l’administration particulièrement celles en faveur du monde hospitalier qui vont coûter très cher au contribuable. Les médecins libéraux sont privés de moyens depuis des années, désormais ils vont perdre un temps considérable avec la paperasse nécessaire au tiers payant généralisé. Les jeunes ne veulent donc plus s’installer en tant que médecins libéraux. Et alors que la médecine libérale connaît une grave crise, Manuel Valls annonce qu’il veut limiter la liberté d’installation alors que seulement 9 jeunes diplômés sur 100 s’installent.

Le vrai problème du système de santé en France est le manque d’organisation des soins. Il faudrait que les étudiants fassent au moins un an de stage dans la médecine libérale pour qu’ils n’aient plus peur de s’installer. Par ailleurs, il faut éduquer la population dans le bon usage des soins. Les français ne devraient aller aux urgences que sur une ambulance ou sur recommandation d’un médecin spécialiste. Après avoir régulé l’accès aux urgences hospitalières, il faut aussi contrôler leur financement. Il ne faut pas que les directeurs d’hôpitaux soient encouragés à accueillir toutes les pathologies. Il y a 20 millions de passage aux urgences hospitalières, 15 millions de patients ne devraient pas y être et ces derniers coûtent environ 3 milliards aux collectivités. A chaque passage en urgence hospitalière, le directeur perçoit pour son hôpital 250€ en mission d'intérêt général (Migac).

Par ailleurs, dans quelle mesure une médecine salariée pourrait-elle motiver des départs des meilleurs éléments vers d'autres pays aux niveaux de revenus libres, ou d'ouvrir des cabinets non-conventionnés par la sécurité sociale ?

Frédéric Bizard : La question principale est le risque d’instaurer une médecine à deux vitesses institutionnalisée avec des dispensaires en ville pour les plus défavorisée et une médecine libérale pour les autres. Quelle régression sociale ! C’est pourtant ce que proposent sans sourciller Messieurs Valls et Montebourg dans leur programme.

Comme dans tous les secteurs, les médecins les plus doués ne subiront pas cette évolution car ils resteront libres de leur choix, dont le départ à l’étranger.

Jean-Paul Hamon :La plupart des médecins libéraux ne seraient pas mécontents d’être salariés, d’avoir : les 35 heures, 4000 ou 5000€ par mois, cinq semaines de congés payés, une formation continue remboursée… Si c’est que le gouvernement souhaite cela va leur coûter extrêmement cher mais cela peut plaire à certains jeunes médecins. Le problème sera du côté des patients et des soins. Entre un praticien qui travaille 35 heures et un autre qui exerce environ 50 heures par semaine le nombre de patients soignés diffère. Certains candidats à la primaire de la gauche pensent cette mesure financièrement possible, ce n’est pas le cas.

De plus, la relation du "médecin de famille" ne passe-t-elle pas aux oubliettes des considérations de l'Etat ? Qu'est-ce que le patient perd concrètement à devoir se rendre dans un centre de soin public quand il aurait pu consulter chez son médecin traitant ?

Frédéric Bizard : Tout le monde s’accorde sur le fait que le mode d’exercice dominant sera un exercice de groupe pluri-professionnel pour prendre en charge efficacement dans la durée les patients chroniques. Tous les politiques évoquent la nécessité de développer les maisons de santé pluri professionnelles (MSP).

L’histoire est cependant radicalement différente si le mode d’exercice dominant dans ces MSP est le libéral ou le salariat. Dans le premier cas, vous pouvez conserver une relation personnalisée type « médecine de famille », dans le deuxième cas, vous ne l’avez plus.

La volonté du gouvernement d’étatiser la médecine a pour objectif d’imposer un vaste service public national de santé, du type de l’éducation nationale, qui sera fonctionnarisé. En réalité, ce service public sera la médecine d’accès gratuite de base et peu innovante pour ceux qui ne peuvent pas se payer la médecine de qualité.

La hausse des coûts de production de cette médecine publique, par rapport à la médecine libérale, sera compensée par le fait qu’elle sera consommée par une partie réduite de la population. C’est le rationnement des soins de qualité par l’accès financier, compensé par un accès gratuit aux soins de base qui donnera l’impression d’avoir solutionné le renoncement aux soins. La médecine de ville sera dans l’état de notre politique de santé publique actuellement sous la direction opérationnelle de l’État.

La gestion actuelle de la grippe est un bon indicateur prédictif !

Jean-Paul Hamon :Travaillant personnellement dans un cabinet regroupant des médecins généralistes, nous connaissons les familles que nous soignons. Nous traitons parfois plusieurs générations dans une même famille, la proximité permet une qualité des soins meilleurs. Les informations que nous avons dans la contextualisation d’une pathologie aident sans aucun doute au soin. Cependant il ne faut pas tomber dans le cliché d’un hôpital complètement déshumanisé. 

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