L'effondrement de la natalité confronte le monde à une nouvelle révolution démographique que personne n’attendait si tôt<!-- --> | Atlantico.fr
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Les politiques menées en France ou dans le Nord de l’Europe permettent aux parents de pouvoir concilier le travail et la famille. Ces pays cherchent en particulier à favoriser le travail des femmes.
Les politiques menées en France ou dans le Nord de l’Europe permettent aux parents de pouvoir concilier le travail et la famille. Ces pays cherchent en particulier à favoriser le travail des femmes.
©LOIC VENANCE / AFP

Vieillissement démographique

Si la population mondiale continue d’augmenter, cela s’effectue à un rythme qui diminue d’années en années.

Gilles  Pison

Gilles Pison

Gilles Pison est démographe, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle, conseiller de la direction de l’INED (l’Institut National d’Etude Démographique). Gilles Pison a publié « Atlas de la population mondiale » aux éditions Autrement. 

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Atlantico : Quelle est la situation actuelle sur le plan de la natalité à travers le monde ? Quelle est l’ampleur de la baisse de la natalité globale ?

Gilles Pison : Concernant la fécondité (le nombre d’enfants que les femmes mettent au monde), il est important de remonter deux siècles en arrière. À cette époque, les femmes mettaient au monde entre cinq à six enfants en moyenne chacune et ceci partout à travers la planète. La majorité de ces enfants mourraient en bas âge. Ils n’en restaient que deux en moyenne qui devenaient adultes et qui élevaient eux-mêmes des enfants par la suite. Il y avait au final un équilibre entre le grand nombre de naissances et de décès. La population augmentait très faiblement. L’humanité est arrivée, dans ces conditions démographiques de croissance très lente, à un milliard d’humains vers 1800. Des changements se sont ensuite produits dans les conditions de vie et les comportements, que les démographes appellent la transition démographique. La mortalité s’est mise à baisser, notamment celle des enfants. Les familles ont ensuite commencé à limiter volontairement leurs naissances. Ces changements ont débuté il y a plus de deux siècles en Europe et en Amérique du Nord. Ils ont été observés aussi dans les autres régions du monde (en Asie, en Amérique Latine puis en Afrique) quant à leur tour elles ont été touchées par les progrès économiques et sanitaires qui ont fait reculer la mortalité. Comme en Europe et en Amérique du Nord, les familles se sont mises ensuite à limiter volontairement les naissances.

La baisse de la mortalité a fait apparaître un excédent des naissances sur les décès qui est à l’origine de la croissance démographique très importante de l’humanité depuis deux siècles. Nous avons dorénavant franchi le seuil de huit milliards d’habitants sur la planète en novembre dernier, d’après les Nations Unies. La population devrait continuer à augmenter encore pendant quelques décennies. Nous sommes en effet toujours dans une situation d’excédent des naissances vis-à-vis des décès. Il y a deux fois plus de naissances que de décès. Cela alimente la croissance démographique.

Mais ce formidable accroissement de la population mondiale est en voie de se terminer. Selon les projections de populations des Nations Unies publiées il y a moins d’un an, nous attendrions autour de dix milliards d’habitants sur Terre à la fin du siècle, mais la population n’augmenterait plus alors. L’humanité aura été décuplée en l’espace de trois siècles. Et nous sommes à la fin de la période d’accroissement rapide de la population mondiale.

Si la population mondiale continue d’augmenter, cela s’effectue à un rythme qui diminue d’années en années.  Le taux d’accroissement de la population mondiale est passé par un maximum de plus de 2 % par an il y a 60 ans déjà (vers 1960). Et depuis, si la population a continué d’augmenter, cela s’est produit à un rythme qui a décéléré – il est aujourd’hui de 0,9 % par an, selon les Nations Unies. Ce taux de croissance démographique devrait continuer de baisser dans les prochaines décennies en raison de la diminution de la fécondité. Les femmes mettent au monde aujourd’hui en moyenne 2,3 enfants chacune à travers la planète. Ce chiffre était beaucoup plus important (5 enfants par femme) dans les années 1960.

Il est important de savoir que les deux tiers de l’humanité vivent dans un pays ou une région du monde où la fécondité est inférieure au seuil de remplacement des générations. Ce seuil est de 2,1 enfants et permet le remplacement à terme de la population.

Dans certaines régions, la fécondité est encore de 2,5 enfants par femme, voire plus, notamment en Afrique, dans une partie du Moyen-Orient, et dans une bande en Asie allant du Kazakhstan au Pakistan en passant par l’Afghanistan. C’est dans ces régions que l’accroissement de population sera le plus important d’ici la fin du siècle, même si la limitation volontaire des naissances devrait s’y généraliser à terme comme partout ailleurs.

Ce mouvement de limitation volontaire des naissances et de baisse de la fécondité remonte donc déjà à deux siècles. Et il se poursuit de nos jours,  les générations actuelles souhaitant avoir peu d’enfants mais investir sur chacun d’eux pour leur assurer une vie longue et de qualité. Il en résulte que de plus en plus de pays atteignent une fécondité basse (2 enfants par femme voire moins).

En France, depuis la fin du baby-boom, les femmes mettent 2 enfants au monde en moyenne. La fécondité est descendue nettement plus bas (en-dessous de 1,5 enfant) dans les pays du sud de l’Europe – Portugal, Espagne, Italie, Grèce. Les pays de l’Est de l’Asie ont aussi des niveaux bas :  1,3 enfant au Japon, 1,2 en Chine, 1,0 à Singapour, 0,7 en  Corée du Sud. Ce dernier pays a la fécondité la plus faible du Monde. Pour l’avenir, une question se pose : tous les pays du monde vont-ils converger vers un modèle unique de famille ou une diversité de situation selon les pays se poursuivra comme aujourd’hui.

Dans une grande partie du monde, le taux de fécondité, le nombre moyen de naissances par femme, s'effondre. Quelles sont les conséquences économiques de l’effondrement de la natalité et de cette nouvelle révolution démographique ? Quel est le poids du baby bust sur l'avenir de l'économie mondiale ? L’économie va-t-elle se transformer en profondeur ?

Le nombre de naissances chaque année se situe actuellement autour de 130 à 140 millions à l’échelle mondiale. L’effondrement n’est pas annoncé dans l’immédiat par les Nations Unies. Dans leur projection moyenne, le chiffre est encore à peu près au niveau de celui d’aujourd’hui en 2050. Il  baisse ensuite lentement pour atteindre 110 millions à la fin du siècle. Les naissances seront particulièrement concentrées dans les régions où la fécondité est la plus élevée. En revanche, dans certaines régions où les naissances sont déjà en baisse, elles vont continuer à baisser.

Une des premières conséquences de la transition démographique a été l’accroissement de la population. Une deuxième conséquence est le vieillissement de la population.

Ce phénomène de vieillissement démographique résulte de ce que l’on vit de plus en plus vieux grâce à l’allongement de l’espérance de vie, et aussi du fait que le nombre de naissances par femme est plus faible qu’autrefois. Ce phénomène touche tous les pays, y compris ceux qui ont vu leur fécondité se stabiliser autour du seuil de remplacement. La France est dans ce cas-là. Le vieillissement démographique en France se poursuit en raison surtout de l’allongement de la durée de la vie. Pour certains pays, le deuxième facteur, la diminution des naissances, joue aussi et accentue le vieillissement démographique. Des pays comme l’Italie et l’Espagne, qui ont une fécondité plus faible que la France, connaissent un vieillissement démographique plus rapide.    

Le vieillissement des populations déjà notable en Asie et en Occident entraîne une pénurie de main-d’œuvre et un ralentissement économique. Quels peuvent être les moteurs de croissance pour remplacer la démographie ? Les nouvelles technologies comme l’IA pourront-elles être la solution ?

Lorsqu’il y a un manque de main-d’œuvre dans un pays, comme en Allemagne ou au Japon, plusieurs réponses sont possibles. L’immigration en est une, le recours à l’automatisation et à l’IA, une autre.

L’Allemagne compte sur l’immigration alors que le Japon, où celle-ci est faible, a beaucoup investi dans l’automatisation et les robots. De nombreuses tâches sont assurées dans les entreprises et au sein de la société par des robots.  Mais le recours à ces derniers a une limite : pour les soins aux personnes par exemple, ils peuvent certes remplir beaucoup de tâches, mais il restera toujours le besoin de  contact avec de vrais personnes.

L’Europe sera-t-elle plus touchée que d’autres régions du monde ? La France a-t-elle les moyens de relever ce défi pour son économie et son avenir ?

Les Européennes ont en moyenne 1,5 enfant chacune. Dans un pays comme l’Allemagne qui connaît un excédent de décès sur les naissances, celui-ci est plus que compensé par l’apport migratoire.

Il y a différentes possibilités pour répondre et combler ce besoin de main-d’œuvre sans forcément penser à une remontée de la natalité.

Qu'est-ce qui pourrait changer la trajectoire démographique du monde, qui est assez négative ? Y a-t-il des solutions pour limiter son impact sur l’économie ?

 Face au réchauffement climatique, beaucoup estiment qu’on est trop nombreux sur Terre et qu’il faudrait que la population arrête de croître, voire diminue, ceci tout de suite.

La trajectoire actuelle devrait conduire à la fin de la croissance démographique rapide. Mais l’humanité n’échappera pas à un surcroît d’environ 2 milliards d’ici 2050 en raison de l’inertie démographique que nul ne peut empêcher. Il est possible d’agir en revanche sur les modes de vie et ceci sans attendre, afin de les rendre plus respectueux de l’environnement et de la biodiversité et plus économes en ressources. La vraie question, celle dont dépend la survie de l’espèce humaine, est finalement moins celle du nombre que celle des modes de vie.   

L’arrivée de cette crise et de cette remise en cause de la natalité plus tôt que prévu va-t-elle provoquer des perturbations inattendues sur le plan économique ? Les pays sont-ils suffisamment armés ?

Est-ce qu’il existe un seul modèle de fécondité ou de famille pour demain, vers lequel tous les pays vont converger, ou est-ce que la situation restera diverse ? Nous observons actuellement une diversité de situations parmi les pays les plus avancés. En Europe par exemple, les pays du Nord sont plus féconds que ceux du Sud. Tous les pays européens ont une politique familiale visant à aider les familles ayant des enfants au moyen d’allocations, de congés accordés aux parents après une naissance, et de services de garde d’enfants en bas-âge, pour leur permettre de travailler, notamment les mères.

L’investissement en prestations et financements divers varie cependant selon les pays, représentant autour de 1,5 % du PIB au total dans les pays du Sud de l’Europe en 2015, et plus de deux fois plus, autour de 3,5 %, dans ceux du Nord. Les dépenses associées aux congés parentaux sont en particulier nettement plus importantes dans les pays du Nord. Pas tellement en raison de la durée des congés, qui peuvent être longs dans les pays du Sud, mais du fait de leur rémunération, nettement plus faible au Sud qu’au Nord. L’offre de garde d’enfants est également beaucoup plus développée au Nord, et la proportion d’enfants en bas-âge pris en charge par des services d’accueil formels, c’est-à-dire autrement que par la famille ou les proches, est nettement plus importante.

Les politiques menées en France ou dans le Nord de l’Europe visent plus particulièrement à permettre aux parents de pouvoir concilier le travail et la famille. Ces pays cherchent en particulier à favoriser le travail des femmes.

C’est dans les pays où les femmes travaillent le plus qu’elles ont le plus d’enfants. Les taux d’activité des femmes sont les plus élevés au Nord de l’Europe et les plus faibles au Sud. C’est au Nord que les femmes ont le plus d’enfants.

Le statut des femmes par rapport aux hommes est un facteur clé. Il est plus défavorable au Sud de l’Europe qu’au Nord. Les inégalités entre les hommes et les femmes y sont plus marquées à la fois au travail et dans la sphère privée. Les tâches au sein du couple y sont moins bien partagées. En l’absence d’un mode de garde tout au long de la journée, l’exercice d’un emploi par les deux parents est impossible. Un des parents doit donc s’arrêter de travailler. Les femmes ne souhaitent plus vivre une vie de mère au foyer comme leurs mères ou leurs grands-mères. Les couples repoussent donc à plus tard l’arrivée d’un enfant s’il ne leur est pas possible de concilier travail et famille. Certains couples finissent par renoncer à cette naissance.

Des pays comme Singapour, le Japon, la Corée du Sud ou la Chine ont été des modèles de croissance économique rapide. Or, leurs populations sont les plus vieilles démographiquement du Monde, ou sont en voie de le devenir, car leur fécondité est très basse.

L’un des facteurs clés qui expliquent que la fécondité soit si faible dans ces pays sont les  inégalités entre les hommes et les femmes. C’est dans les pays où ces inégalités auront le plus régressé que ce soit au travail et à la maison que la fécondité sera la plus élevée demain. Les politiques qui visent à favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes peuvent jouer un rôle. Il ne s’agit pas uniquement d’une question de moyens investis dans la politique familiale. L’importance du statut des femmes par rapport aux hommes est capitale pour l’évolution de la natalité.

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