L’économiste Robert Mundell est mort et voilà ce que nous devrions absolument en retenir<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L’économiste Robert Mundell est mort et voilà ce que nous devrions absolument en retenir
©MIKE CLARKE / AFP

Devoir de mémoire

Père de la macroéconomie internationale, Robert Mundell était aussi l'un des penseurs qui a aidé à concevoir l'euro ainsi que l'économie de l'offre chère à Ronald Reagan.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

Voir la bio »

Atlantico : Robert Mundell, prix Nobel d’économie 1999 est décédé le 4 avril dernier. Que devrait-on retenir de ses apports à la pensée économique ? 

Alexandre Delaigue : D’abord, il faut se rappeler que les travaux de Mundell, qui datent pour l’essentiel des années 50-60, étaient, à l’époque, révolutionnaires. Ils décrivaient alors un monde qui n’existaient pas et qui existe désormais. Le système monétaire international de l’époque reposait sur les accords de Bretton Woods, donc toutes les monnaies étaient liées au dollar avec des parités fixes qui était très peu souvent ajustées. A l’époque, les capitaux circulaient assez peu facilement. L’essentiel devait passer par les banques et les banques centrales. A l’époque, Mundell décrit quelque chose de très différent : un monde où l’on envisage la liberté du mouvement des capitaux et surtout des parités flexibles. La question était de savoir ce que ce type de situation offrait comme possibilités. On disposait de l’exemple du Canada qui avait une parité flexible par rapport au dollar car il ne pouvait pas contrôler ses mouvements de capitaux. Et ce qu’a établi Mundell, c’est qu’il y avait trois éléments positifs mais qu’il était impossible de tout avoir : 

  • Une monnaie avec parité fixe. Le change fixe présente des avantages, parce qu’il facile les échanges et les transactions. On le constate régulièrement dans la zone euro. Quand on va dans un autre pays de la zone, on peut utiliser nos propres billets de banque, notre carte bancaire avec des frais réduits. 

À Lire Aussi

Désordre dans les monnaies : la valse à trois temps des systèmes monétaires
  • Une politique monétaire autonome. C’est une bonne chose car cela permet aux autorités monétaires d’ajuster leur politique aux circonstances. Ne pas pouvoir le faire, par exemple en situation de récession, c’est un gros problème. 

  • Une certaine liberté des mouvements de capitaux. Si vous avez des contraintes, cela va limiter les investissements que vous pouvez recevoir. Cela va en particulier limiter les investissements étrangers qui pourraient amener des capitaux mais aussi des investissements et des technologies. 

Cette impossibilité à tout avoir, il l’a formulé comme étant un triangle des incompatibilités. On ne peut avoir que deux choses sur trois. L’intérêt de choisir l’un par rapport à l’autre dépend d’une série de circonstances liées aux caractéristiques propres des différents pays. C’est ce qu’on a appelé un peu pompeusement la zone monétaire optimale. Cela pose la question des caractéristiques structurelles qui permettraient de choisir soit d’adopter une monnaie unique, soit de libéraliser les mouvements de capitaux, etc. 

Atlantico : Que peuvent nous dire les thèses de Mundell de la situation de la zone euro ? 

Alexandre Delaigue : On a dit de Mundell qu’il était le père spirituel du passage à l’euro. Ce n’est pas tout à fait exact.  Si on regarde la théorie en elle-même, elle peut conduire à être relativement sceptique sur cette décision en émettant l’idée que toutes les conditions n’étaient peut-être pas réunies pour pouvoir passer à l’euro. Pour autant, lui-même était plutôt favorable à cette décision. Sortir de la zone euro, c’était une question qui était beaucoup posée il y a une dizaine d’années, au moment de la crise de la zone euro. De fait, c’était une crise « à la Mundell ». Elle était réellement liée au fait que la zone euro intégrait la liberté des mouvements de capitaux, la parité fixe – avec la même monnaie dans tous les pays – mais plus d’autonomie de la politique monétaire.  Cela ne semblait pas être un problème jusqu’au moment où on s’est demandé s’il n’aurait pas fallu que certains pays sortent de l’euro. Cet aspect reste prégnant car la zone euro demeure une zone à construire. On se pose moins la question aujourd’hui mais il y a toujours des tensions et des problèmes d’incomplétude en son sein. Dans cette optique, certains défendent un fédéralisme européen et un budget européen. On peut envisager aussi une harmonisation qui se ferait au niveau des marchés des produits et du travail. Cela signifierait un salaire minimum européen, une assurance chômage commune et peut être le développement de technologies de traduction.. Mundell offre un cadre d’analyse pour comprendre la zone euro et déterminer ce qu’il pourrait manquer pour qu’elle fonctionne.

Atlantico : Est-il possible d’élargir ses analyses à d’autres espaces ?

Alexandre Delaigue : Cela peut permettre de réfléchir à d’autres débats du même ordre dès que se pose une question monétaire. La théorie de Mundell nous dit que quand il y a des gros décalages économiques entre pays, il faut des instruments qui donnent de la flexibilité : le contrôle du mouvement des capitaux, pour éviter une fuite des capitaux, mais ça ne marche pas très bien, ou alors faire bouger la parité de la monnaie, ce qui est très difficile à faire pour certains pays. 

Dans la zone du franc CFA, dont la monnaie va bientôt changer de nom, on s’interroge sur l’opportunité de certains changements.Par exemple, faut-il abandonner la parité fixe avec l’euro ou faut-il une monnaie unique ouest-africaine avec le Nigéria ? Si on veut réformer le franc CFA dans ce sens-là, Mundell fournit un cadre d’analyse et des mises en gardes. Par exemple, en alertant sur le fait que le Nigeria est un gros pays pétrolier, à côté de pays plus petits en taille comme en économie. 

C’est aussi le cas quand la Chine envisage d’internationaliser le Yuan. Le pays voudrait en faire une sorte de concurrent du dollar et un instrument de puissance économique. L’internationalisation de la monnaie entraine un certain nombre de contraintes en particulier en termes d’ouverture des capitaux. C’est donc une véritable base pour comprendre le système monétaire international.

Enfin, cela doit nous faire réaliser qu’aucun pays ne peut faire abstraction de ce qui se passe dans l’économie américaine. Si on se retrouvait en Europe avec un gros décalage économique avec les Etats-Unis, la capacité d’autonomie de l’Europe seraient menacée. Et pour garder une autonomie de la politique monétaire, il faudrait une forte baisse de l’euro en contrepartie, ce qui créerait une forme d’inflation importée. C’est donc une incitation à la prudence. Si jamais on se retrouve trop décalés en conjoncture par rapport aux Etats-Unis, ce cadre nous prévient d’effets très dangereux et des conséquences économiques très dommageables.

Atlantico :Notre conception actuelle de la zone euro a-t-elle trop tendance à ne voir que les avantages de théorie de Mundell sans tenir compte du triangle des incompatibilités ?  

Alexandre Delaigue : C’est assez net. On veut bien utiliser la théorie pour souligner ses réussites mais on a peu envie de regarder ce qu’en sont les conséquences quand elles vont à l’encontre de ce qu’on a envie d’entendre. S’il y a trop de décalages entre les pays de la zone euro, surtout des systèmes de prix, cela pose problème. Si un pays est très compétitif et exporte beaucoup contrairement aux autres, cela crée des déséquilibres. La théorie nous dit comment ça devrait être résorbé. A savoir, les pays compétitifs devraient avoir un peu plus d’inflation ou devraient modifier leur structure économique pour éviter d’avoir un tel excédent. Cela voudrait dire, par exemple, changer de politique fiscale. Mais en Europe, lorsqu’on dit ça, on est accusé de vouloir « punir les premiers de la classe ». Mais le modèle de Mundell nous dit qu’il n’y a pas de premiers de la classe, tout le monde est interdépendant. Donc en ce sens, on ne veut effectivement pas regarder les problèmes. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !