L’art de la persuasion pour les nuls : implanter ses idées dans le cerveau des autres, mode d’emploi <!-- --> | Atlantico.fr
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Le cerveau est capable de discerner l’imperceptible ce qui peut être utilisé par d'autres pour détourner notre attention
Le cerveau est capable de discerner l’imperceptible ce qui peut être utilisé par d'autres pour détourner notre attention
©Flickr

Tous manipulés

Une enquête menée par un chercheur en psychologie de l'université québecoise de McGill sur la base d'un tour de magie banal révèle qu'il est beaucoup plus aisé qu'on ne le pense de nous donner une idée que l'on croit parfaitement délibérée alors qu'elle nous a été inconsciemment imposée. Une manipulation beaucoup plus fréquente que l'on ne pourrait le croire : nos proches, à des fins affectives, comme les publicitaires, à des fins commerciales, en usent au quotidien. Un art de la persuasion à la portée de tous.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Un chercheur en psychologie de l'université québécoise de McGill a récemment mené une enquête grâce à un tour de magie bien connu (lire ici) qui consiste à demander à des volontaires de choisir dans leur tête une carte pendant que le "magicien" en trie un paquet devant leurs yeux et choisit "au hasard" l'une d'entre elles. Dans 98% des cas, la carte choisie par le chercheur était celle à laquelle pensait la personne face à lui. Son secret : plier rapidement, dans un mouvement quasiment imperceptible, la carte en question. Par ce stratagème, il est parvenu à influencer ses interlocuteurs sans que ces derniers ne s'en rendent compte.

Atlantico : Quels sont les resorts à l'oeuvre dans cette expérience ? 

Pascal Neveu : Ce chercheur a simplement profité des connaissances en neurosciences qui démontrent que notre cerveau est capable de discerner l’imperceptible, un peu comme l’erreur dans un environnement identique (ici la carte différente des autres) et de davantage le mémoriser car plus longtemps analysé par notre cerveau.

Ce genre de stratagème mis en place dans tout tour de magie repose sur ce que les magiciens appellent le détournement d’attention. Cela consiste, pour le magicien, à amener, à diriger et concentrer le cerveau et l’attention du spectateur, vers une autre action pendant qu’il opère son tour, à notre insu. Ce sont les sens qui sont mobilisés

Alors que le spectateur recherche à "coincer" le magicien et découvrir son tour, en observant ses mains, le magicien va soudain, de manière inattendue, créer un effet de surprise (par exemple lever sa main droite et sortir une fleur, ou encore lui enjoignant brutalement de ne pas quitter des yeux le jeu de carte) ce qui force par réflexe le spectateur à perdre en une fraction de seconde l’attention sur le jeu de carte afin de le diriger ailleurs (dans ces exemples : la main libre, ou le regard ou la bouche du prestidigitateur), lui laissant le temps nécessaire à retourner dans le jeu la carte choisie et la repérer facilement.

Le cerveau ne peut pas, sur un plan cognitif traiter deux informations simultanées avec la même intensité. Il ne peut pas se concentrer sur deux tâches simultanées..

Qu'est-ce que cela dit de notre capacité à se manipuler les uns les autres ?

Ces manipulations ont pour but d’amener nos processus psychiques à diriger notre attention là où tout est normal, où rien ne se passe d’anormal, alors qu’autre chose se passe, sans nous en rendre compte.

D’où le nom d’illusion. En effet, notre système cognitif a tendance à relier effets et causes. C’est ce que l’on dénomme le système perception-attention-sensation. Plus précisément notre système sensoriel via un réseau neuronal reçoit un stimulus (visuel, auditif, tactile…) que le cerveau va traiter avant de nous en faire ressentir une sensation. Mais c’est le degré d’attention qui, s’il est manipulé, transformé, perturbé, intensifié… joue sur la sensation finale.

On se fait avoir sans s’en rendre compte.

Quels autres subterfuges peuvent favoriser le mécanisme de persuasion ?

Le but du jeu est de perturber l’attention et la vigilance de la personne. Parce qu’un grand nombre de nos conduites sont acquises depuis notre enfance et notre vigilance renforcée par notre socle éducatif plus ou moins méfiant, nous ne sommes pas équipés des mêmes radars. Par exemple, on se méfiera d’une personne qui porte une couleur étrange ou qui nous semble agressive (rouge, vert…) ou au contraire nous serons davantage attirés par une personne exubérante, divertissante. D’où l’attitude et le look des magiciens.

92% des participants à cette expérience pensaient que leur choix était délibéré et n'avaient donc pas conscience qu'il était orienté par le chercheur de McGill. Est –ce que cela veut dire qu'une grande partie de nos décisions sont potentiellement sous influence extérieure ?

Nombre de nos comportements sont conditionnés par le traitement de l’information multisensorielle via notre cerveau. C’est seulement ensuite que le cerveau décide de l’action. En brouillant les émotions et nos sens, on perturbe également notre conscience d’avoir été libres de nos choix et actes.

Une étude de l'université de Leicester au Royaume-Uni (lire ici) montre que diffuser des chansons en français ou en allemand dans un magasin favorisait la vente de vin provenant de ces pays. En quoi la persuasion peut-elle servir le marketing ? Comment cela peut-il se concrétiser dans les activités humaines en général ?

Le neuromarketing utilise les travaux neuroscientifiques issus de l’IRM fonctionnelle depuis la fin des années 1990. L’activité du cerveau, et des régions spécifiques, sont étudiées afin de mieux comprendre, par exemple lorsqu’on associe un stimulus sensoriel (principalement visuel et auditif) si l’action, demandée en même temps au sujet, est perturbée, inhibée ou amplifiée…

Ces études servent aux choix de consommateurs via la réalisation de spots publicitaires commerciaux ou encore politiques dans les pays qui l’autorisent, comme les USA (la France l’interdit).

Est-ce une pratique de plus en plus utilisée par l'homme ? Les nouvelles technologies ont-elles favorisé cette pratique ?

C’est depuis les années 1960-1970 que les travaux sur l’attention ont émergé. Les chercheurs s’intéressaient aux mécanismes de vigilance et d’attention.

Ces recherches ont permis de réaliser de gros progrès par exemple dans les phénomènes de mémorisation. Certains stimuli auditifs très brefs vont faciliter la mémorisation (et la restitution de données) alors qu’un stimulus visuel (flash lumineux), au contraire, rendra une restitution plus médiocre que la normale.

Comment contrer ce genre de manipulations ? Est-ce un danger ou une habitude humaine tout à fait normale ?

Il faut partir du principe que nous sommes tous sensibles à ces "orientations de l’esprit".

La sémiologie (l’étude des signes) sert aux supermarchés ou autres magasins qui étudient par exemple le degré de lumière dirigé sur certains produits ou la couleur des murs, les publicités avec leur contenu symbolique, suggestif ou inconscient, le packaging dont la forme, les noms de produits…sont travaillés par de nombreuses disciplines.

Tout est étudié en fonction de notre perception, afin que notre attention capte le produit recherché et ne "perçoive" pas les autres. Le plus dangereux reste la manipulation de l’esprit, les messages subliminaux, la propagande et la soumission.

La mesure du danger repose sur la perte de contrôle de notre liberté fondamentale : rester un être humain, un sujet capable de prendre conscience de la manipulation. Afin de ne pas devenir l’objet d’un autre.

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