L’armée américaine décide d’intégrer les femmes dans toutes ses unités de combat... malgré les études qui montrent que la mixité nuit à l’efficacité : quel prix sommes-nous prêts à payer pour la lutte anti-discrimination ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’armée américaine a décidé d’intégrer les femmes dans toutes ses unités de combat.
L’armée américaine a décidé d’intégrer les femmes dans toutes ses unités de combat.
©Reuters

Politiquement (in)correct

Jeudi 3 décembre, le secrétaire à la Défense américain, Ashton Carter, a annoncé que l’armée américaine ouvrait aux femmes tous ses postes de combat "sans exception". Cette décision a été pourtant prise après qu'une étude ait été publiée en septembre par les US Marines, qui conclut que certaines équipes de combat seraient moins efficaces lorsqu’elles intègrent des femmes.

Patrick Chamorel

Patrick Chamorel

Patrick Chamorel est professeur à l'université de Stanford.

Il y enseigne les sciences politiques, à l'aulne des relations transatlantiques et des différences de systèmes politiques européens et français. Il collabore réguliérement au Wall Street Journal, Die Welt et CNN. Dans les années 90, il était conseiller politique dans plusieurs cabinets ministériels, à l'Industrie et auprès du Premier ministre.

 

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Antoine  de Gabrielli

Antoine de Gabrielli

Antoine de Gabrielli est dirigeant de Companieros, fondateur de l'association Mercredi-c-papa et initiateur du projet Happy Men. Blogueur sur la question de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes (www.mercredi-c-papa.com), il est également membre de la Commission égalité professionnelle du Medef, de la Charte de la Diversité, de l'Association Française des Managers de la Diversité (AFMD) et du Club XXIème siècle qui œuvre pour l'intégration républicaine. Suivez Antoine de Gabrielli sur Twitter : @happy_men_fr ou @adegabrielli 

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Atlantico : Début septembre, une étude publiée par les US Marines conclut que certaines équipes de combat seraient moins efficaces lorsqu’elles intègreraient des femmes. Pour autant, Jeudi 3 décembre, le secrétaire à la défense américain, Ashton Carter, a annoncé que l’armée américaine ouvrait aux femmes tous ses postes de combat « sans exception ». Comment expliquer une telle décision ? Quel mécanisme/motivation peut-être à l’origine de ce choix ?


Patrick Chamorel : Cette décision a été prise suite à une consultation générale qui a été faite dans les différents corps de l’armée, afin de comprendre l’impact de l’intégration des femmes sur les différentes forces de combats. Les U.S Marines sont les seules à y avoir émis une réticence sur certains postes particuliers. Ils ont conclu de leurs études que les équipes de combat étaient moins efficaces lorsqu’elles comprenaient des femmes. Si Ashton Carter est passé malgré tout outre l’avis de son général des Marines, cela peut s’expliquer par plusieurs raisons. Pour un nouveau Secretaire à la Defense, il n'est pas jamais inutile de rappeler que les civils dirigent les militaires, et pas l’inverse.

Cette décision n’est pas très surprenante. Elle intervient après qu’Obama ait autorisé les homosexuels à combattre au sein de l’armée et à moins d’un an des élections présidentielles. Il s’agit alors d’un moyen de rappeler que les démocrates sont favorables aux droits des femmes.  L'armée elle-meme pourrait profiter d'un soutien plus large des femmes a ses engagements.  Au moment ou les Etats-Unis se reengagent militairement au Moyen-Orient, l'armee a besoin de plus d'effectifs, plus de flexibilite, plus de competences et d'un maximum de soutien politique, y compris chez les femmes, traditionnellement plus sceptiques sur l'utilite des engagements militaires.

Dans le court terme, les primaires entrent aussi peut-etre en jeu.  Cette décision rend service a Hilary Clinton dans sa campagne pour la primaires démocrates. Il s’agit d’un combat qu’elle défendait et qui lui fait une sorte de publicité. Il apparaît évident qu’au sein du parti démocrate, certains se soient mobilisés en faveur de cette annonce.

N’y a t-il par une part de volonté politique de vouloir parvenir à une égalité homme-femme presque absolue, quitte à perdre en efficacité ? 

Antoine de Gabrielli : Pour Ashton Carter, l'ouverture de tous les postes aux femmes est considérée comme une règle générale, qui s'applique à l'ensemble du monde du travail, et donc à l'armée américaine, même si le métier de militaire est évidemment particulier. Cette règle n'oblige pas à un taux minimum de femmes, ou encore à la parité. L'armée américaine n'a pas reçu l'ordre d'intégrer des femmes à ses équipes de combat, mais de ne pas les refuser a priori. Chaque responsable reste libre de choisir les personnes à intégrer à son groupe de combat, rien de changé à cela. Par ailleurs attention à prendre avec un minimum de distance les d'études (notamment américaines) portant sur les performances comparées des hommes et des femmes. L'étude à laquelle vous faites allusion indique que "certaines" équipes "seraient" moins efficaces lorsqu'elle intègrent des femmes. Ce ne sont donc pas toutes les équipes qui sont en cause, et leur moindre efficacité est mise au conditionnel. Soyons clairs : dans quelque armée que ce soit, aucun chef ne serait assez fou pour intégrer une femme incompétente à un groupe de combat simplement parce qu'elle est une femme.

Comment trouver la juste limite entre l’égalité saine et productive et l’excessivité, voire l’obsession d’une égalité parfaite qui peut conduire à ne plus reconnaître une femme par ses compétences, mais par son sexe ? Dans quel piège peut-on alors tomber ?

Antoine de Gabrielli : L'obsession doit moins porter sur une égalité de principe que sur la traque de tout ce qui peut, pour de mauvaises raisons, limiter l'accès des femmes à des postes particuliers. Quand on y regarde de plus près, on peut découvrir par exemple que le frein principal à arrivée de femmes dans un environnement masculin est la mise à leur disposition de toilettes spécifiques. Ou de devoir enlever les affiches pornographiques des murs d'un atelier. Ou que la réunion annuelle d'une équipe dirigeante ne puisse plus se tenir dans un sauna de tradition nordique (c'est à dire où les participants sont habituellement totalement nus) : le cas est avéré ! On est souvent surpris par l'étonnante trivialité des vrais motifs d'exclusion des femmes. Le plus souvent l'enjeu est simplement de changer, un peu, des habitudes masculines non essentielles à l'exercice d'un métier ou l'occupation d'un poste.

L’égalité homme/femme est-elle de respecter intégralement une égalité totale entre les deux sexes - qui n’accepterait de reconnaitre aucune différence - ou est-ce lutter pour une équité entre l’homme et les femmes en tenant compte des différences naturelles ? 

Antoine de Gabrielli : Comme indiqué précédemment, l'enjeu de l'égalité est d'offrir autant de potentialités aux unes qu'aux autres. Il n'y a par exemple aucune obligation morale à ce qu'autant de filles que de garçons intègrent des écoles d'ingénieurs. En revanche il est intéressant de se demander pourquoi les filles se dirigent en priorité vers les sciences du vivant et les garçons vers les sciences physiques ou mécaniques. Est-ce en raison de stéréotypes? De la rareté de rôles modèles féminins dans les grandes entreprises d'ingénieurs ? Serait-ce un besoin d'identité qui pousserait filles et garçons à se diriger, selon les cas, soit vers un métier dit "de femmes", soit vers un métier dit "d'hommes" ? Est-ce que notre nature sexuée, masculine ou féminine, nous ouvre prioritairement à un certain type de rapport au monde et donc, possiblement, de travail ? Le débat n'est pas tranché. 

En se basant sur l’étude qui a été publiée par les U.S Marines et si l’on accepte de partir du postulat que les hommes et les femmes sont différents sur certains points, quelles seraient les différences qui justifient qu’elles n’étaient jusque-là pas intégrées dans certains corps ?

Antoine de Gabrielli : C'est la force physique qui peut en premier lieu venir à l'esprit. Les soldats modernes peuvent par exemple être amenés à se déplacer sur le champs de bataille avec des équipements extrêmement lourds. Dans le combat rapproché, la force pure peut aussi jouer un rôle déterminant. Mais, une fois encore, méfions-nous des stéréotypes : il y a quelques années, il semblait évident qu'une femme ne pouvait pas être pilote de chasse : Caroline Aigle a pourtant été en 1999 la première femme française pilote de chasse affectée à un escadron de combat. En 2009, le commandant Virginie Guyot a quant-à elle été la première femme leader de la Patrouille de France, qui réunit les meilleurs pilotes de chasse français. Très récemment des unités combattantes de femmes Peshmergas ont été engagées avec succès à Kobané face à l'Etat Islamique. Et il y a 60 ans les femmes étaient aussi très présentes dans l'infanterie ou l'armée de l'air soviétique.

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