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L'année où le politique s’est masqué
©Thomas COEX / AFP

Bilan 2020

De la Convention citoyenne pour le climat au Conseil de défense, l'année 2020 a été marquée par des subterfuges du pouvoir politique pour masquer sa dérive autocratique.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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On retiendra sans doute de l'année 2020 qu’elle a été celle où un pouvoir politique en pleine dérive autocratique a décidé d'avancer masqué pour mieux imposer ses normes.

La dérive autocratique semble difficilement contestable. En 2020, le pouvoir en France est en effet plus que jamais à l’Élysée, le gouvernement suivant docilement les consignes données par les conseillers du Château et le Parlement ne servant guère que de chambre d'enregistrement – quand on ne le contourne pas simplement par le biais des ordonnances. À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle dira-t-on ? Pas seulement, de même que la continuité supposée avec les principes de la Ve république « revivifiée » par le quinquennat n’explique pas une telle diminution des contre-pouvoirs politiques ou juridiques. Bénéficiant – malgré lui, mais sachant fort bien en tirer profit – des avantages de la situation exceptionnelle causée par la crise sanitaire, le pouvoir macronien semble lancé dans une fuite en avant pour réaliser « quoi qu’il en coûte » les réformes qui avaient mis les Français dans la rue en 2018 et 2019.

Mais 2020 restera l'année où ce pouvoir aura choisi d'avancer masqué pour mieux diluer la responsabilité de ses choix. Face aux à ces urgences sanitaire et climatique, au nom desquelles nos concitoyens sont sommés de se projeter plus encore dans cet avenir dont la majorité d’entre eux ne veut pas, le pouvoir politique se cache en effet derrière les masques de l’expertise et du consentement collectif.

Dans la gestion de la crise sanitaire, le politique avance d’abord masqué en prenant ses décisions en Conseil de défense. Or, si effectivement il est parfois nécessaire de pouvoir décider librement et rapidement, et pour cela de le faire en petit comité, l’usage nouveau du Conseil de défense semble relever autant de l'efficacité proclamée que, par le secret qui l’entoure, de la protection de ses membres contre une éventuelle mise en jeu de leur responsabilité.

Mais c’est surtout la création d’un Conseil scientifique spécialisé dans la gestion de la crise Covid-19 qui a joué un rôle essentiel de masque. Nombre de décisions sont ainsi présentées, comme étant « scientifiquement » nécessaires, après de longues expertises et de non moins longs débats sur les différents choix – quand, pourtant, d'autres experts, de qualité, ont pu exprimer des avis divergents que l’on ne souhaite visiblement pas entendre. Le pouvoir politique semble ainsi se défausser de sa fonction de choix : comment pourrait-il aller à l’encontre de cette Science et de cette parole savante dont le Président, dans son dernier entretien à L’Express, regrettait qu’on ose les mettre en doute ? L’expert estampillé officiel parle et le politique se contente d’exécuter l’indispensable mise en oeuvre, telle est l’image affichée. Reste cependant un choix du politique, mais déguisé, ici celui de faire primer telle parole sur tel autre, et, plus encore, de privilégier le risque sanitaire sur les risques économiques ou sociaux. Si le principe de précaution pouvait et devait conduire de manière légitime l'État à prendre des mesures proportionnées pour éviter la propagation de l’épidémie, s’il devait pour cela s’informer auprès d’experts, rien ne lui imposait de se masquer derrière des derniers.

Dans la gestion des crises environnementales ensuite, avec cette notion « d'urgence climatique » devenue scie lancinante des discours, le pouvoir a choisi de continuer à passer en force alors que la fronde se généralise en France face aux mesures induites - on le voit par exemple autour de l’énergie éolienne. L’expertise proclamée existe bien aussi dans ce domaine, avec là encore la possibilité pour le politique de s’abriter derrière, mais les scénarios environnementaux apocalyptiques n’engendrent pas les mêmes craintes que la pandémie et donc la même révérence devant les décisions des experts  - la révolte des Gilets jaunes a eu pour origine une mesure réclamée par les « experts » et a du être matée par la violence. Pour éviter cela, le pouvoir a usé en 2020 d’un autre masque, celui d’un pseudo consentement populaire aux mesures qu’il préconisait, grâce à la « démocratie participative ». La Convention citoyenne pour le climat a été cet instrument, avec ses membres sélectionnés pour censément représenter « la France en petit », ses experts là encore dûment triés, ses mesures prémâchées (on peut se reporter sur son fonctionnement à la note publiée par la Fondation du Pont-Neuf, Un trou noir démocratique). Même si la manipulation n’a pas entièrement réussi, et si certains anciens membres de la Convention, qui ont cru aux promesses du début, expriment aujourd’hui leur déception, nous sommes bien ici devant une expérience inédite en France de validation de choix gouvernementaux par un panel de citoyens non-élus - et non pas, comme c’est pourtant l’usage dans une démocratie, par le vote de parlementaires élus à cet effet, ou, mieux encore, par un vote direct des citoyens lors d’un référendum. Cette manière de se masquer en faisant porter ses choix par quelques idiots utiles a en tout cas tellement plu au pouvoir que l’on parle d’autres conférences de ce type, y compris pour ce qui est des mesures de vaccination à prendre dans le cadre de la crise sanitaire.

D’où l’on voit comment le progressisme impose aujourd’hui ses choix en France. Des experts sélectionnés dessinent d’abord la seule voie possible, la seule raisonnable, le politique feignant d’oublier qu’ils ne connaissent que leur domaine de spécialité, contrairement à lui qui est censé agir pour le Bien commun en recherchant un équilibre. De pseudos consensus ensuite, plus faciles à obtenir avec des structures qui ne peuvent jamais devenir des contre-pouvoirs, tendent à valider les solutions retenues bien plus qu’à en proposer de nouvelles. Et contester l’une ou l’autre méthode fera accuser le téméraire qui s’y risque de « complotisme » par un pourvoir politique qui en rit encore… derrière ses masques.

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