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L’amitié franco-allemande a-t-elle encore un sens ?
©Reuters

"T'es plus mon pote"

Le président de la République et la chancelière allemande ont commémoré ensemble, ce dimanche 29 mai, le carnage de Verdun lors de la première guerre mondiale.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Pour illustrer l’amitié franco-allemande à Verdun, François Hollande a prononcé un discours d’une platitude qui en dit long sur l’essoufflement de la construction européenne. On en retiendra seulement le fructueux (mais mal exploité et probablement incompris par le Président) rappel du traité de Verdun de 843, qui façonna le visage de l’Europe Occidentale pour plusieurs siècles.


Discours lors de la cérémonie à l’Hôtel de…par elysee

De Verdun à Verdun, le contre-sens de Hollande

En 843, les héritiers de Charlemagne reçurent chacun une portion de l’empire que leur grand-père carolingien avait forgé cinquante ans plus tôt, notamment à l’issue de plusieurs opérations militaires. La scission durable de l’empire explique largement l’instabilité territoriale qui sévira jusqu’au dix-septième siècle sur les terres occupées par les Francs.

Voici la carte de l’Europe à l’issue du traité de Verdun:

franco-allemande

Si l’on admet l’hypothèse que cette carte dessine les frontières historiques naturelles des Francs, dont la France devrait être la digne successeur, alors on comprend quelques vérités qui ont échappé à François Hollande.

Première vérité: ce territoire n’inclut pas l’équivalent contemporain de l’Allemagne de l’Est, longtemps appelé Prusse, dont la capitale est Berlin.

Deuxième vérité: les frontières naturelles de la France débordent largement le Rhin et incluent une grande partie du territoire allemand actuel.

Autrement dit, la portée du geste de réconciliation entre Helmut Kohl (dont la capitale était Bonn) et François Mitterrand en 1984 est de nature très différente de la venue d’Angela Merkel à Verdun. En 1984, la France se réconciliait avec un territoire naturellement français et qui aurait dû rester dans notre sphère d’influence. Après la chute du Mur en 1989, la France a sottement accepté que Berlin redevienne capitale de la grande Allemagne, et c’est une représentante de cet espace politique inventé de toutes pièces en 1870 que la France a reçue ce dimanche.

D’un côté, un renouement pacifique avec notre sphère naturelle d’influence, de l’autre des mamours à un monstre géopolitique qui nous est hostile.

La Prusse, cet ennemi historique de l’influence française

Tous ceux qui acceptent de dépasser les apparences de l’actualité pour gratter un peu le sens de l’Histoire ne peuvent l’ignorer: tant que les frontières de la construction européenne se sont limitées à celles de l’empire carolingien (qui recouvrent bien ici une réalité historique durable), l’Europe a produit de la prospérité et de la concorde. Du jour où la Communauté Européenne a voulu s’étendre à de nouveaux territoires (la Grèce, au sud, la Prusse et les pays d’Europe de l’Est), sa mécanique s’est grippée et le continent est devenu un espace politique de conflit.

Cet enrayement a une explication historique et politique: le centre de gravité de l’Union a quitté l’espace traditionnel de l’Empire (qu’on pourrait d’ailleurs élargir à la notion d’Empire romain d’Occident) pour se déplacer vers la Prusse, dont la rivalité avec le monde infra-rhénan est millénaire.

En somme, l’erreur de l’Europe et, au premier chef, de la France est d’avoir méconnu l’histoire de l’Allemagne et d’avoir cru que l’Allemagne dont Berlin est la capitale pouvait être aussi coopérative que l’Allemagne limitée à l’espace carolingien.

L’histoire de l’Europe depuis 1991 montre toute l’absurdité de ce calcul. Il était possible de bâtir une paix juste et durable avec les héritiers de Louis le Germanique. Cette possibilité est beaucoup plus limitée avec les tribus tudesques qui habitent au-delà de l’Elbe.

L’ultime commémoration franco-allemande?

Depuis 1991, l’Europe est entrée dans un compte à rebours négatif. L’Allemagne prussienne est une puissance continentale et ne peut durablement appartenir à un espace océanique. Pour le comprendre, on relira avec gourmandise les Falaises de Marbre d’Ernst Jünger, qui soulignait brillamment l’incapacité du « Grand Forestier » à comprendre les peuples de la mer, et même les peuples de l’agriculture.

On peut prendre les paris: la commémoration de centenaire de Verdun est probablement la dernière fête bisounoursienne du couple franco-allemand. Il nous faut évoquer les monstruosités de l’histoire, désormais, pour ramener les Allemands à un semblant de raison.

Le siècle qui vient annonce malheureusement autant de rivalités, d’incompréhensions, d’incapacité à les résoudre que durant les cent dernières années, parce que notre espace politique est si large qu’il n’a plus de sens. Le seul creuset européen durable est celui qui fût bâti il y a deux mille ans par les légions de César et d’Auguste, éventuellement accru de l’espace conquis par Hadrien et Trajan. Seul cet espace-là partage une culture, un horizon, des valeurs communes. Lui seul est capable de rester cohérent.

Croire avec la plus grande des naïvetés que l’Europe puisse s’abstraire de ses racines, des veines qui la parcourent, qu’elle puisse se construire au-delà de son Histoire est une erreur qui se paiera très cher. Encore une fois.

Article originellement publié sur le site d'Eric Verhaeghe

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