L’Allemagne entre grogne et Merkel<!-- --> | Atlantico.fr
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La chancelière allemande Angela Merkel assiste à une réunion par vidéoconférence le 28 avril 2021.
La chancelière allemande Angela Merkel assiste à une réunion par vidéoconférence le 28 avril 2021.
©MICHELE TANTUSSI / POOL / AFP

Covid et élections

A quelques mois des élections législatives en Allemagne et alors que le mandat d'Angela Merkel va s'achever, les tensions politiques et sociales s'intensifient face aux conséquences des restrictions sanitaires pour le pays

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Les dirigeants français ne comprennent pas combien l'Allemagne a changé

Il y a quelques jours, le ministre Bruno Le Maire était fier de présenter en même temps que son homologue au sein du gouvernement allemand, Olaf Scholz, l'articulation entre les plans de relance nationaux de nos pays respectifs et le plan européen. Comme si rien n'avait changé dans l'espace carolingien durant les années Merkel. Peut-être croit-on sincèrement du côté français qu'il en est véritablement ainsi. Ou plutôt, on se dit que les changements de l'Allemagne sont pour le meilleur: à Berlin n'a-t-on pas accepté, pour la première fois, un emprunt au niveau européen et une mutualisation partielle des dettes? Ce que les dirigeants français ne voient pas, c'est le piège qui est en train de se refermer sur notre pays. Le plan de relance européen porte la dette française à plus de 120% du PIB. Et, sauf bouleversement économique majeur, la projection des courbes - entre l'incapacité française à réduire le train de vie de l'Etat et l'absurdité du Green Deal européen, qui bridera la croissance - montre que la dette publique française stagnera, vers 2020, entre 125 et 135% du PIB. Nous sommes couverts par la garantie de Berlin (qui restera à 65-70% du PIB); mais nous sommes de ce fait pieds et poings liés à une Allemagne qui tient désormais la France sous son contrôle. Nous sommes à la merci de notre grand voisin européen, qui est en train de changer profondément - et pas pour le meilleur, sur le plan politique. 

Calamity Angela

Il va falloir écrire un bilan de l'ère Merkel. Depuis plusieurs années, les français se refusent à voir la réalité en face. La Chancelière "qui venait du froid" est le plus médiocre titulaire du poste depuis les origines de la République Fédérale en 1949; et même depuis la réunification, en 1989. J'entends l'objection: mais les Allemands l'ont réélu trois fois! Certes, mais avec quasiment 30% d'abstention à chaque fois (sauf en 2017, où 5% de l'électorat s'est mobilisé en plus, pour aller voter AfD, Alternative für Deutschland, la parti de la droite conservatrice qui prospère sur la dérive progressiste de la CDU/CSU entreprise par Madame Merkel). Et précisément, sous la conduite de Madame Merkel, la CDU a perdu dix points: elle était à 35% des suffrages lors de sa première nomination à la Chancellerie, en 2005. Et elle devrait finir autour de 25% lors des élections générales de septembre 2021. Je résumerai le bilan de Madame Merkel en quelques points-clé: incapacité à lutter contre la crise de 2008-2010: c'est Mario Draghi qui a sauvé l'euro en 2012-2013 par la politique de "quantitative easing" de la BCE; sortie accélérée de l'industrie nucléaire, qui rend impossible une transition réussie vers l'énergie décarbonée; rupture avec la Russie en 2013-2014, au risque de rendre l'UE plus dépendante à la fois des USA et de la Chine; accueil insensé de deux millions de migrants en 2015-2016 qui n'a pu être arrêté qu'en plaçant l'Allemagne et l'UE entre les mains d'Erdogan; enfin, destruction du fédéralisme allemand à l'occasion de la crise du COVID 19: il y a quelques jours, un nouveau texte de la loi de lutte contre les épidémies a permis à la Fédération de diriger la politique sanitaire à la place des Länder. 

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Merkel a fait imploser la droite allemande

L'Allemagne de Madame Merkel, c'est un éparpillement des épargnants, jusque-là colonne vertébrale de la CDU-CSU, entre différents partis: ne cherchez pas les 10 à 15 points que les chrétiens-démocrates et chrétiens-sociaux ont perdus depuis l'ère Schröder. Ils se retrouvent chez les Libéraux, à l'Alternative für Deutschland ou dans des partis moins connus comme les "Freie Wähler". La droite allemande est aujourd'hui éclatée politiquement. Et François Stecher a sans doute raison de soutenir que cette évolution a été voulue par Madame Merkel, fille d'un pasteur compagnon de route du régime communiste de RDA et dont le credo politique est progressiste. Sous l'impulsion de la très "verte" Madame Merkel, l'Allemagne expérimente déjà une économie qui, pour se passer de l'uranium, a dû revenir en partie au charbon ! C'est cette même Allemagne qui se raidit dans une posture progressiste, au risque d'antagoniser  non seulement la Russie (non-respect par les Occidentaux des Accords de Minsk, mise en cause du projet d'oléoduc North Stream 2, montée en épingle de l'affaire Navalny sans aucune preuve) mais aussi les pays d'Europe centrale, ceux du groupe de Visegrad, qui ne respecteraient pas, selon Bruxelles et Berlin, les "valeurs européennes". Traduisez: le groupe de Visegrad est trop conservateur pour Madame Merkel et son clone bruxellois, Madame von der Leyen. A Budapest, à Prague, à Varsovie, on a résisté - avec succès - à la politique d'immigration forcée d'Angela Merkel. Et d'ailleurs, la population allemande donne aujourd'hui largement raison aux critiques de la politique migratoire de la Chancelière. A l'Est, l'AfD est solidement installée entre 20 et 30% des suffrages selon les Länder. Et même à l'Ouest, le parti semble disposer d'un socle électoral de 7 à 8%. Le prochain scrutin allemand devrait obliger la CDU à gouverner avec les Verts et le FDP libéral. Certes l'AfD ne fait pas grand effort pour être coalisable - en laissant prospérer chez ses cadres un discours sur l'Allemagne victime du nazisme ou en prônant la sortie de l'Union Européenn, le Dexit - mais la CDU elle-même finit la période Merkel de façon déboussolée, en particulier car le parti s'est fait le chantre d'un confinement  dur, ce qui fait fuir un certain nombre d'électeurs: dans certains sondages, les Verts sont passés au-dessus de 25% et les chrétiens-démocrates en-dessous , en termes d'intentions de vote. 

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Ordre sanitaire et révolte des Allemands

La première phase du Coronavirus avait amené les Français à s'extasier, une fois de plus, sur les performances allemandes. En fait, on avait un mélange de chance et d'avantage donné à la décentralisation. Pour des raisons qui n'ont pas été élucidées, l'Allemagne fut relativement moins touchée que la France ou l'Italie par le COVID 19 au printemps 2020. Si l'on ajoute que la politique sanitaire était, jusqu'à récemment, de la responsabilité des Länder, Madame Merkel fut, dans un premier temps, tenue dans une certaine impuissance par les acteurs de la lutte contre l'épidémie. On ne l'imagine pas expliquant "Nous sommes en guerre" comme Emmanuel Macron. Sauf que, lors de l'arrivée des mutants du virus sur le territoire, au début de l'hiver 2020, la Chancelière a réussi à "macroniser" la conduite de la politique sanitaire. Elle s'est mêlée de plus en plus de ce que faisaient les Länder. L'épidémie n'est finalement ni plus ni moins grave qu'ailleurs; mais la Chancelière a réussi à imposer un nouvel ordre sanitaire, en particulier en dépossédant les Länder de leurs prérogatives en termes de lutte contre les épidémies. Les bars et les restaurants ont été fermés, comme en France. Et les écoles aussi, pour de longues semaines, dans un grand nombre de Länder. Ce qui était inattendu, sans doute, pour des observateurs français, c'est la révolte croissante de la société allemande: les manifestations se multiplient, dans tous les Länder et un mouvement, les "Querdenker" s'est installé. Madame Merkel a beau avoir demandé au renseignement intérieur de surveiller et traquer "les complotistes", le mouvement ne faiblit pas. 500 recours ont été déposés devant le tribunal constitutionnel de Karlsruhe contre la nouvelle loi de lutte contre les épidémies. Là encore, Madame Merkel, qui retrouve ses réflexes de l'Allemagne communiste, où elle a passé plus de la moitié de sa vie sans jamais être dans l'opposition, a essayé de faire intimider un juge, à Weimar, qui avait donné raison à des plaignants qui refusaient le port du masque. Mais rien n'y fait: la CDU perd des intentions de vote, semaine après semaine. Elle a même subi deux défaites spectaculaires aux élections de Bade-Wurttemberg et de Rhénanie-Palatinat à la mi-mars. 

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La France doit remettre ses affaires en ordre sinon l'Allemagne lui imposera plus de fédéralisme européen

Les médias allemands ont commencé à se demander sérieusement si les Verts pouvaient arriver en tête lors des élections de septembre. Dans ce cas, la tête de liste, Annalena Baerbock, aurait vocation à être chancelière. Peut-être Emmanuel Macron se réjouit-il  de la perspective d'une Allemagne gouvernée au centre par une coalition entre les post-conservateurs de la CDU et les Verts. Mais ce sera une Allemagne profondément divisée entre l'Est et l'Ouest, où aucune force politique ne s'imposera vraiment et qui s'adonnera à des négociations sans fin sur tous les sujets la concernant. Tout en maintenant le cadre européen; et en faisant valoir à Paris que des changements au sein de l'UE ne pourront avoir lieu que dans deux cas de figure: si la France réduit son déficit et remet son économie en ordre; ou si elle accepte plus de fédéralisme européen. On sait bien quel choix Emmanuel Macron fera, faisant perdre de plus en plus d'autonomie à la politique française. 

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