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Angela Merkel s'exprime aux côtés du ministre allemand des Finances et vice-chancelier allemand Olaf Scholz lors d'une conférence de presse le 20 septembre 2019 à Berlin.
Angela Merkel s'exprime aux côtés du ministre allemand des Finances et vice-chancelier allemand Olaf Scholz lors d'une conférence de presse le 20 septembre 2019 à Berlin.
©AXEL SCHMIDT / AFP

Monde d’après Covid

Alors que l'Europe sort progressivement de la crise économique liée à la pandémie de Covid-19, l’Allemagne a des difficultés et ne parvient pas à retrouver sa croissance. Le FMI a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour le pays de 3,6% à 3,1%. Quelles mesures devraient prendre l’Allemagne pour rattraper son retard sur le reste de l’Europe ?

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard est économiste, conseiller de banque centrale. Il exprime ses vues personnelles dans Atlantico.

Twitter : @SebCochard_11

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Atlantico : Aujourd’hui, le continent européen sort de la torpeur économique, mais une économie est encore gravement touchée par la crise : l’Allemagne. Son économie, orientée vers l’exportation, a du mal à retrouver sa croissance et le FMI a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour le pays de 3,6% à 3,1%. Quels sont les problèmes que connaît l’économie allemande actuellement ? Y a-t-il spécifiquement un problème de la demande allemande ?

Sébastien Cochard : Je vais devoir infirmer votre diagnostic, au moins partiellement. Prenons les Etats-Unis et la Chine. Pour ces deux nations, leur PIB, en fin d'année 2021, non seulement sera supérieur au niveau atteint décembre 2019, mais il sera même supérieur aux prévisions de PIB à fin 2021 qui étaient faites fin 2019 ! Donc, les Etats-Unis et la Chine, non seulement ont pleinement rattrapé la perte de croissance due aux confinements Covid, mais l'on peut même observer, ex post, que la crise Covid a coïncidé de fait, pour les Etats-Unis et la Chine, à une accélération de leur croissance par rapport au rythme qui était prévu avant la crise !

A l'inverse, en Allemagne, en effet, à fin 2021, le PIB n'aura pas même retrouvé son niveau de fin 2019. Mais en cela l'Allemagne est logée à la même enseigne que le reste de la zone euro : selon le FMI, le retard par rapport au niveau d'il y a deux ans est de -1,5% pour l'Allemagne et de -1,3% pour la zone euro. Mais la France, elle, sera à -1,7%, l'Italie à -3,1% et l'Espagne à ... -5,1%. Vous comprenez que l'on ne peut pas dire que l'Allemagne s'en sort plus mal que ses grands voisins proches.
Quelle différence entre les Etats-Unis et la zone euro peut-elle expliquer cette divergence des trajectoires ? Alors que la politique monétaire s'est avérée un fort soutien pendant la crise de part et d'autre de l'Atlantique, c'est bien évidemment l'ampleur des soutiens budgétaires qui fait la différence entre les Etats-Unis et la zone euro, soutiens budgétaires qui ont été quasiment inexistants en Italie et en Espagne et n'ont pas atteint l'ampleur américaine en Allemagne et en France. Sans parler même bien sûr du plan européen "Next Generation EU", qui non seulement n'a rien à voir avec une relance post-crise (et tout à voir avec une transition forcée accélérée vers le "green" et le numérique), mais reste à ce jour parfaitement théorique et surtout de faible montant en proportion du PIB de l'UE (1,5% par an au mieux).

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La logique économique allemande est ordolibérale (austérité des politiques publiques) et mercantiliste (la croissance se fonde sur les exportations). L'idée est d'organiser un serrage de ceinture systémique du pays, de pressurer sa demande interne, afin d'accroître sa compétitivité à l'export. Cela se traduit par une politique délibérée de désinflation compétitive : pression maximale sur les salaires et rigueur budgétaire afin de réduire au maximum l'inflation et ainsi accroître la compétitivité-prix des produits allemands par rapport aux pays partenaires commerciaux, partenaires dont l'inflation et donc les coûts de production augmentent plus vite que ceux de l'Allemagne et voient ainsi leur compétitivité se dégrader vis-à-vis de l'Allemagne. Cette politique a été menée depuis trente ans, avec successivement la réunification (très bas salaires dans la partie Est du pays), l'entrée dans l'euro avec un taux de change négocié le plus favorable possible par rapport à la France et à l'Italie, réformes Hartz, obligation constitutionnelle d'équilibre budgétaire, etc.

Le résultat a été une prédation allemande sur le reste du monde, avec des excédents de la balance des paiements allemande de l'ordre de 9% du PIB, ce qui constitue l'un des principaux déséquilibres macroéconomiques mondiaux. Il ne faut pas perdre de vue que le commerce extérieur est un jeu à somme nulle : le surcroît de croissance allemand grâce à ses excédents correspond exactement à une réduction de la croissance de ses partenaires commerciaux du fait de leurs déficits. Cela ne serait pas forcément si gênant si l'une des principales victimes n'était pas la France, l'écart de compétitivité-prix croissant entre nos deux pays ne trouvant aucune "corde de rappel" du fait de l'union monétaire. Nous serions en changes flottants avec l'Allemagne, les excédents allemands se traduiraient mécaniquement par une appréciation du DM par rapport au FRF, ce qui contribuerait à rééquilibrer les échanges et est bien évidemment impossible quand nous partageons la même monnaie.

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Pour finalement répondre à votre question, en effet, alors que le redémarrage économique aux Etats-Unis se fonde essentiellement sur le rebond de la demande interne, bien évidemment en particulier de la consommation des ménages mais également des investissements publics, cet effet est beaucoup plus faible en Allemagne où 30 ans de politique de désinflation compétitive, de pression à la baisse des salaires etc, ont maintenu et rendu la population allemande relativement pauvre par rapport à ses grands voisins. Je ne citerai qu'un seul chiffre : alors que la richesse médiane d'un adulte français est de 135.000 euros, elle n'est que de 65.000 euros pour un adulte allemand, et l'Allemagne est en cela de loin le dernier des grands pays de la zone euro. Tout le profit financier de cette prédation du reste du monde que constituent les excédents externes allemands, réalisés en compressant la rémunération du travail, sont allés principalement dans les poches des actionnaires des grandes sociétés exportatrices allemandes (dont une bonne partie sont d'ailleurs américains). En résumé, le succès mercantiliste de l'Allemagne a laissé le citoyen moyen allemand pauvre, et qui n'est pas en mesure de soutenir la reprise économique post-Covid de son pays.

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Encore une fois, les échanges extérieurs sont un jeu à somme nulle, et les excédents extérieurs allemands réalisés avec les pays de l'UE se sont traduits par une réduction de la croissance pour ces derniers. La croissance allemande plus rapide était donc l'effet visuel d'une phagocytation, plus que d'un soi-disant "effet locomotive" de l'Allemagne. 

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Au-delà même de ce constat statistique, le mercantilisme allemand est bien sûr une faiblesse, non seulement économique mais également géo-stratégique, faiblesse que l'Allemagne impose à toute l'UE. Par exemple, à l'époque de l'administration Trump, l'Allemagne imposait à l'UE de tout céder aux Etats-Unis sur tous les sujets pour éviter que les Etats-Unis n'imposent des tarifs de 25% sur leurs importations d'automobiles allemandes (industrie qui représente 9% du PIB allemand). La même situation se reproduit avec la Chine, où les intérêts exportateurs allemands sont tels que rien ne sera jamais fait par l'UE qui irriterait Pékin et risquerait de se traduire par des mesures de rétorsion sur les échanges avec l'Allemagne. 

Quelles mesures devraient prendre l’Allemagne pour rattraper son retard sur le reste de l’Europe ?

L'Allemagne pourrait, en théorie, faire ce qu'a fait la Chine au cours de la décennie 2010 : opérer un grand "rebalancement" de son économie qui ne serait plus tirée par les exportations mais reposerait sur la croissance de la demande interne, et en particulier la consommation des ménages et l'investissement public, dont l'absence depuis trente ans fait maintenant cruellement défaut au pays. 

Mais cela ne se produira pas. A la fois Olaf Scholz et le pressenti ministre des finances, le FDP Christian Lindner, sont des austéritaires budgétaires, et la compétitivité industrielle allemande à l'export est un objectif central pour Scholz. Non seulement le modèle de croissance allemand ne va pas changer, mais l'Allemagne va continuer à chercher à imposer son obsession de la compétitivité externe à l'ensemble de l'UE, via leur relais qu'est la Commission européenne. C'est d'autant plus dommage que le marché intérieur de l'UE pourrait totalement se suffire à lui-même, pourrait être protégé des exportations du reste du monde et axer sa croissance sur la stimulation de la demande interne, notamment en assurant une croissance soutenue du revenu disponible réel net des ménages. Cela restera a priori de la politique fiction: les allemands sont entêtés et nous entraîneront toujours plus profondément dans la désinflation compétitive, qui rend notre croissance exsangue depuis les années 1990.

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