Monde d’après Covid
L’Allemagne, cette locomotive économique de la zone euro devenue boulet
Alors que l'Europe sort progressivement de la crise économique liée à la pandémie de Covid-19, l’Allemagne a des difficultés et ne parvient pas à retrouver sa croissance. Le FMI a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour le pays de 3,6% à 3,1%. Quelles mesures devraient prendre l’Allemagne pour rattraper son retard sur le reste de l’Europe ?
Atlantico : Aujourd’hui, le continent européen sort de la torpeur économique, mais une économie est encore gravement touchée par la crise : l’Allemagne. Son économie, orientée vers l’exportation, a du mal à retrouver sa croissance et le FMI a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour le pays de 3,6% à 3,1%. Quels sont les problèmes que connaît l’économie allemande actuellement ? Y a-t-il spécifiquement un problème de la demande allemande ?
Sébastien Cochard : Je vais devoir infirmer votre diagnostic, au moins partiellement. Prenons les Etats-Unis et la Chine. Pour ces deux nations, leur PIB, en fin d'année 2021, non seulement sera supérieur au niveau atteint décembre 2019, mais il sera même supérieur aux prévisions de PIB à fin 2021 qui étaient faites fin 2019 ! Donc, les Etats-Unis et la Chine, non seulement ont pleinement rattrapé la perte de croissance due aux confinements Covid, mais l'on peut même observer, ex post, que la crise Covid a coïncidé de fait, pour les Etats-Unis et la Chine, à une accélération de leur croissance par rapport au rythme qui était prévu avant la crise !
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La stratégie allemande de ces dernières décennies s’est-elle retournée contre elle ? Ces faiblesses structurelles sont-elles antérieures à la pandémie ?
La logique économique allemande est ordolibérale (austérité des politiques publiques) et mercantiliste (la croissance se fonde sur les exportations). L'idée est d'organiser un serrage de ceinture systémique du pays, de pressurer sa demande interne, afin d'accroître sa compétitivité à l'export. Cela se traduit par une politique délibérée de désinflation compétitive : pression maximale sur les salaires et rigueur budgétaire afin de réduire au maximum l'inflation et ainsi accroître la compétitivité-prix des produits allemands par rapport aux pays partenaires commerciaux, partenaires dont l'inflation et donc les coûts de production augmentent plus vite que ceux de l'Allemagne et voient ainsi leur compétitivité se dégrader vis-à-vis de l'Allemagne. Cette politique a été menée depuis trente ans, avec successivement la réunification (très bas salaires dans la partie Est du pays), l'entrée dans l'euro avec un taux de change négocié le plus favorable possible par rapport à la France et à l'Italie, réformes Hartz, obligation constitutionnelle d'équilibre budgétaire, etc.
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Pour finalement répondre à votre question, en effet, alors que le redémarrage économique aux Etats-Unis se fonde essentiellement sur le rebond de la demande interne, bien évidemment en particulier de la consommation des ménages mais également des investissements publics, cet effet est beaucoup plus faible en Allemagne où 30 ans de politique de désinflation compétitive, de pression à la baisse des salaires etc, ont maintenu et rendu la population allemande relativement pauvre par rapport à ses grands voisins. Je ne citerai qu'un seul chiffre : alors que la richesse médiane d'un adulte français est de 135.000 euros, elle n'est que de 65.000 euros pour un adulte allemand, et l'Allemagne est en cela de loin le dernier des grands pays de la zone euro. Tout le profit financier de cette prédation du reste du monde que constituent les excédents externes allemands, réalisés en compressant la rémunération du travail, sont allés principalement dans les poches des actionnaires des grandes sociétés exportatrices allemandes (dont une bonne partie sont d'ailleurs américains). En résumé, le succès mercantiliste de l'Allemagne a laissé le citoyen moyen allemand pauvre, et qui n'est pas en mesure de soutenir la reprise économique post-Covid de son pays.
La croissance de l’Union européenne s’est souvent appuyée sur celle de l’économie allemande. Aujourd’hui à la traîne, cela pourrait-il devenir un risque pour l’Union ?
Encore une fois, les échanges extérieurs sont un jeu à somme nulle, et les excédents extérieurs allemands réalisés avec les pays de l'UE se sont traduits par une réduction de la croissance pour ces derniers. La croissance allemande plus rapide était donc l'effet visuel d'une phagocytation, plus que d'un soi-disant "effet locomotive" de l'Allemagne.
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Quelles mesures devraient prendre l’Allemagne pour rattraper son retard sur le reste de l’Europe ?
Mais cela ne se produira pas. A la fois Olaf Scholz et le pressenti ministre des finances, le FDP Christian Lindner, sont des austéritaires budgétaires, et la compétitivité industrielle allemande à l'export est un objectif central pour Scholz. Non seulement le modèle de croissance allemand ne va pas changer, mais l'Allemagne va continuer à chercher à imposer son obsession de la compétitivité externe à l'ensemble de l'UE, via leur relais qu'est la Commission européenne. C'est d'autant plus dommage que le marché intérieur de l'UE pourrait totalement se suffire à lui-même, pourrait être protégé des exportations du reste du monde et axer sa croissance sur la stimulation de la demande interne, notamment en assurant une croissance soutenue du revenu disponible réel net des ménages. Cela restera a priori de la politique fiction: les allemands sont entêtés et nous entraîneront toujours plus profondément dans la désinflation compétitive, qui rend notre croissance exsangue depuis les années 1990.
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