L’affaire Maffesoli : est-il possible d’être de droite dans le monde universitaire français ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
L'université française
L'université française
©Wikimedia/Tungsten

Maccarthysme

La revue de sociologie Sociétés a été victime d’un canular par deux chercheurs dont l’objectif était de dénoncer le caractère "non-scientifique" des travaux de son fondateur, Michel Maffesoli. Ce n'est pas la première attaque contre ce professeur, souvent accusé de liens avec le pouvoir de droite.

William Genieys

William Genieys

William Genieys est politologue et sociologue. Il est directeur de recherche CNRS à Science-Po.

Il est l'auteur de Sociologie politique des élites (Armand Colin, 2011), de L'élite politique de l'Etat (Les Presses de Science Po, 2008) et de The new custodians of the State : programmatic elites in french society (Transaction publishers, 2010). William Genieys est l’auteur de Gouverner à l’abri des regards. Les ressorts caché de la réussite de l’Obamacare (Presses de Sciences Po [septembre 2020])

Il a reçu le prix d’Excellence Scientifique de la Fondation Mattéi Dogan et  Association Française de Science Politique 2013.

Voir la bio »

Atlantico : Deux chercheurs ont réussi à faire passer une étude "bidon" dans la revue "Sociétés" dirigée par le sociologue Michel Maffesoli. Leur objectif était de démontrer le peu de rigueur de la revue et, plus largement, du "maffesolisme". Les reproches qui lui sont faits par la communauté universitaire portent principalement sur ses méthodes et sur ses liens avec le "le sarkozysme". Au fond, que lui fait-on payer ? Ses méthodes discutables au regard des règles établies en sociologie, ou le fait qu'il est de droite ? Ou est-ce les deux ?

William Genieys :  La polémique actuelle qui agite le microcosme des sociologues autour du cas de Michel Maffesoli soulève plusieurs questions et autant de problèmes dont l’amalgame nuit à leur bonne compréhension. Laissons de côté dans un premier temps, pour mieux y revenir plus loin, la question de son positionnement politique. Mettons alors à nu la discussion complexe pour les profanes sur la rigueur scientifique du ‘Maffesolisme’. Ce dernier, alors directeur éditorial d’une revue de sociologie, a laissé publier un article qui s’est avéré être ‘faux scientifiquement’. Il est clair que dans ce cadre-là, il a engagé sa responsabilité scientifique, et que la critique est en droit de remettre en question le sérieux du fondement de son école. Cela révèle surtout les limites du ‘Mandarinat’ au service d’une école de pensée, où les fondateurs d’une revue restent attachés à des fonctions qui dans la pratique ne sont plus exercées avec le sérieux professionnel aujourd’hui requis.

Lire la réaction de Michel Maffesoli dans Atlantico : Michel Maffesoli : "L"hystérie collective autour de mon cas témoigne d'un divertissement d'impuissants"

Au fond, la pratique n’est pas nouvelle, comme l’avait révélé en 1994 l’affaire Sokal qui avait vu la publication dans une revue américaine de sociologie alors considérée comme très sérieuse et scientifique, ‘Social text’, un article qui n’était rien d’autre qu'une parodie scientifique. Mais le but initial était le même : il s’agissait de dénoncer la légèreté scientifique de certains sous-courants disciplinaires pourtant outillés de toute une batterie de concepts irréprochables. Mais dans ce cas de figure, la relation au pouvoir politique des auteurs et de la revue n’était pas en cause.

Néanmoins, dans le cas de Michel Maffesoli, cette dernière polémique s’inscrit dans le prolongement d’une carrière universitaire jalonnée de multiples controverses dont la soutenance de la thèse d'Elizabeth Teissier, éphémère astrologue du Président Mitterrand, fut la plus médiatisée. Or, derrière cette peopolisation dont on ne sait si elle est malencontreuse ou stratégique, se cache une trajectoire professionnelle "réussie" au sein des organisations professionnelles telle que le Conseil national des universités (2007), le Conseil d’administration du CNRS (2005) ou encore l’Institut Universitaire de France (2008). Ces nominations fondées sur la qualité scientifique des travaux de recherche, mais effectuées par des gouvernements de droite, ont toujours été jalonnées de nombreuses protestations du milieu des sociologues réfutant tout autant le procédé de nomination (présomption d’accointance politique) que l’inconsistance de l’œuvre scientifique. La polémique actuelle semble aujourd’hui valider la seconde assertion.

Par quoi se manifeste le rejet de toute proximité politique avec la droite dans le monde universitaire ? Quels sont les exemples révélateurs ?

William Genieys : Ici la question dépasse largement le cas de Monsieur Maffesoli, car elle renvoie au rapport du positionnement politique des "professionnels de sciences sociales". Et sur ce point, il est nécessaire de rappeler les principes et ensuite de s’arrêter sur les pratiques concrètes, notamment en France. Max Weber, sociologue allemand, reconnu comme père fondateur des sciences sociales, a expliqué dans une très belle conférence sur l’exercice du métier de savant que les sociologues devaient laisser leur jugement de valeur et leurs idées personnelles dans les "vestiaires" afin de développer une science détachée de prises de position politiques. Ainsi, lui-même plutôt de sensibilité politique conservatrice, montra l’exemple en son temps en prenant fait et cause pour la défense d'un jeune sociologue d’origine juive et proche de la gauche allemande, Roberto Michel, à qui avait été refusé un poste académique en raison de ses idées politiques.

Dans le cas de la France, il est clair que les professionnels des sciences sociales sont en grande majorité de sensibilité de gauche. Cela s’explique pour des raisons historiques, telles que le lien entre le développement de la sociologie et les républicains dans le combat contre les "contre-révolutionnaires". Cela s’explique aussi par la nature même de la discipline, où la question de la recherche du progrès social et du mieux vivre ensemble est centrale. Cela renvoie à des valeurs politiques qui en France ont longtemps été portées par la gauche. Mais ce qui compte au fond, ce n’est pas d’être de droite ou de gauche, ce qui n’a pas de fondement si on se prétend wébérien, mais c’est le respect du pluralisme intellectuel. Sur ce point, il est clair que certains chercheurs pensant à contre-courant ont fait l’objet d’une délégitimation en étant qualifiés comme de "droite". Le cas le plus exemplaire est certainement celui du grand philosophe et sociologue, Raymond Aron.

En effet, ce dernier, qui osa devenir éditorialiste au Figaro, fut méprisé par la gauche et apprécié par une droite dont lui-même désapprouvait les orientations politiques. Dans une moindre mesure, les sociologues Raymond Boudon et Michel Crozier, alors considérés comme proches d’une pensée libérale, firent l’objet de disqualification. Toutefois, dans ces cas de figures particuliers, cela relève plus de conflits internes à la discipline que d’un engagement politique manifeste.

Comment expliquer qu'aux yeux de bon nombre de chercheurs universitaires, ce qui touche à la droite n'ait pas droit de cité dans le domaine des sciences humaines ?

William Genieys : L’explication renvoie à certains facteurs évoqués plus haut qu’il convient de préciser. Il est faux de dire que tout ce qui touche à la droite n’a pas droit de cité. Si l’on prend le cas de la science politique et de la sociologie politique, il y a énormément de travaux de recherche sur le Front National, mais également sur l’extrême gauche et les mouvements "alternatifs". L’explication est très simple : ce sont des objets de recherche d’actualité, et les jeunes entrant dans la profession y portent un fort intérêt. Par contre, il est clair que "l’intérêt" des travaux sur les partis politiques de gauche est plus fort que celui sur les partis politiques du centre et de droite.

Dans la pratique de la recherche en social, cela est souvent plus pernicieux car certains considèrent qu’il y des "causes nobles" et d’autres "moins nobles" et par voie de conséquence un positionnement politique implicite à travers les objets que l’on étudie. Je peux citer ici un exemple que je connais bien : la sociologie des élites. Quand j’ai commencé à travailler sur la question, j’ai dû répondre aux critiques suivantes : travailler sur les élites, c’est forcement renforcer le point de vue des puissants et c’est également s’inscrire dans une tradition intellectuelle réactionnaire liée aux origines politiques de ces lointains pères fondateurs. J’ai dû batailler pour montrer que ce n’était pas un objet de recherche de "droite" et ensuite montrer que c’était un sujet qui pouvait et surtout devait être traité sociologiquement.

La science n'étant pas censée être politique de quelque manière que ce soit, cet ostracisme ne soulève-t-il pas une contradiction essentielle ? Les chercheurs qui rejettent leurs homologues dits "de droite" dévoient-ils ainsi leur propre domaine ?

William Genieys : Il n’y a pas dans les sciences sociales françaises de Maccarthysme inversé jouant contre la droite. L’ostracisme que vous évoquez ne joue pas dans une ligne de fracture suivant l’opposition politique droite-gauche, mais à travers un conflit qui oppose à l’intérieur des différentes sous-disciplines des sciences sociales entre les pensées "hérissons" et les pensées "renard". C’est à dire les défenseurs d’écoles disciplinaires fermées et les partisans du pluralisme intellectuel. En effet, le pluralisme disciplinaire est souvent remis en question par des pratiques propres au milieu académique. Sur ce point, il est nécessaire d’être vigilant parce que malheureusement la plupart des disciplines de sciences sociales fonctionnent autour "d’Ecoles". Celles-ci ont deux caractéristiques structurelles néfastes : d’une part, d’incliner forcément vers le conservatisme du point de vue des idées défendues et, d’autre part conquérir le système en abusant de la reproduction de ces émules. C’est en raison de ces pratiques que les sciences sociales s’appauvrissent intellectuellement et décrochent d’une réalité sociétale où, aujourd’hui encore plus qu’hier, elles ont pourtant des choses à apporter.

Propos recueillis par Gilles Boutin

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !