L’AfD est-elle sur une trajectoire pour devenir un parti de gouvernement en Allemagne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La co-dirigeante du parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) Alice Weidel lors d'un débat sur le budget fédéral 2023 au Bundestag, le 7 septembre 2022, à Berlin.
La co-dirigeante du parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) Alice Weidel lors d'un débat sur le budget fédéral 2023 au Bundestag, le 7 septembre 2022, à Berlin.
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Extrême-droite, le retour

Au regard des sondages, il semble impossible de construire une future coalition sans alliance entre le SPD et la CDU CSU, or ni l’un ni l’autre ne le souhaite. De quoi rendre envisageable le recours au parti d’extrême-droite pour sortir du blocage ?

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues est un politologue européen, Directeur des programmes de l’International Republican Institute pour l’Europe et l’Euro-Med, auteur de La Quadrature des classes (2018, Marque belge) et Europe Champ de Bataille (2021, Le Bord de l'Eau). 

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Atlantico : L’AfD fête ses dix ans, où en est le parti, électoralement et idéologiquement ? 

Thibault Muzergues : L’Alternativ für Deutschland a été fondée au départ par des intellectuels comme un parti conservateur aux tendances libertaires pour offrir une alternative eurosceptique mais pro-marchés à la politique d’Angela Merkel, qui elle-même présentait sa gouvernance comme “alternativloss”, c’est à dire sans alternative. Mais le parti a vite suivi la tendance générale de l’époque vers le populisme, a abandonné son côté intellectuel et a s’est installé comme le parti représentant les oubliés de la croissance allemande : communautés rurales et post-industrielles en Allemagne de l’Est, régions du centre de l’Allemagne peu ouvertes aux bénéfices qu’a tire le pays de la mondialisation, etc.

Depuis, le parti est resté fidèle à sa ligne populiste : à gauche sur les questions économiques, à droite sur les questions sociales, et un tropisme pro-russe dont le parti n’a que peu souffert au moment de l’invasion russe de l’Ukraine, notamment du fait de son soutien en Allemagne de l’Ouest et des russes-allemands (en fait, des Allemands russifiés après-guerre qui ont profité du droit du sang pour aller s’installer en Allemagne dans les années 90). Aujourd’hui, avec une coalition gouvernementale très divisée et des questions qui se posent quant à l’avenir du modèle économique allemand, le part a revient à ses scores record de 2018, autour de 15-16%. Cela ne veut pas dire qu’il y restera, mais on peut dire que l’AfD fête son anniversaire dans de bonnes conditions.

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La campagne électorale allemande, un modèle de dignité. Vraiment ?

Un récent sondage Yougov sur la situation en Allemagne montre que le paysage politique est très contrasté. A ce stade difficile d’imaginer des coalitions “raisonnables” susceptibles d’avoir une majorité. Pourrait-on se retrouver dans une situation ou l’AfD se retrouve être indispensable à la formation d’un gouvernement ?

Cela paraît encore très difficile à envisager. L’AfD a atteint à nouveau un pic de popularité cette année, mais sociologiquement, cela ressemble plus à un plafond de verre qu’à une nouvelle étape : l’AfD fait le plein dans des communautés très spécifiques (ouvriers, Allemands de l’Est ou Ossies des anciennes génération, populations des périphéries, russes-allemands), mais ce qui fait sa force mobilisatrice tend à l’isoler du reste de l’électorat – à l’heure de la guerre en Ukraine, son positionnement très pro-russe, bien que populaire dans certains segments de la société allemande, est néanmoins très minoritaire en Allemagne, où l’opinion pousse le gouvernement à faire plus pour aider Kyiv. 

Avec une CDU qui est en train de se re-définir plus clairement comme un parti de droite, il sera difficile pour l’AfD de franchir le cap des 20%, et la tendance des autres partis à travailler entre eux avec des combinaisons diverses et variées, de la grande coalition (sociaux-démocrates + chrétiens-démocrates) à la coalition actuelle en feu tricolore (sociaux-démocrates + libéraux + verts) ou encore coalition Jamaïque (chrétiens-démocrates + libéraux + verts), il sera difficile à l’AfD pour s’imposer, au-delà de son offre d’une « alternative » radicale au statu quo.


Cela pourrait-il mener l’AfD à être un parti de gouvernement dans les prochains mois où années ? A quel point le rejet est-il encore fort aujourd’hui?

C’est très difficile à envisager. Du fait de son positionnement encore très populiste, et étant donné le passé de l’Allemagne, l’AfD reste complètement radioactif en Allemagne, et il est impensable aujourd’hui de voir des partis allemands envisager une coalition avec eux. On a bien sûr eu un exemple de coopération locale en 2020 en Thuringe (NB : en Allemagne de l’Est), où un candidat libéral s’est fait élire Ministre-Président du Land avec les voix de l’AfD et des Chrétiens-démocrates pour barrer la route au président sortant d’extrême-gauche Bodo Ramelow, mais l’expérience a duré deux jours seulement, car les instances nationales de la CDU ont obligé leurs ouailles au niveau locales à se retirer d’une telle coalition. Cela montre bien à quel point l’AfD est isolée aujourd’hui dans le paysage politique allemand. 

Bien sûr, il ne faut jamais dire jamais en politique, et l’exemple des Démocrates de Suède ou des Vrais Finlandais montre bien que des partis d’extrême-droite peuvent rentrer au gouvernement, mais pour cela ils doivent abandonner au moins une partie de leur bagage populiste, devenir « post-populistes », ce qui comporte en soi des risques au niveau électoral par ailleurs. Or l’AfD a fait le choix de rester fidèle à son ancrage populiste, et même si elle l’abandonnait, le chemin vers la respectabilité serait très long. Dans ces conditions, difficile de les voir courtisés par la CDU par exemple pour former un gouvernement, dans ce cyle électoral ou le prochain.

Quel est l’état actuel de la situation politique en Allemagne ? Quels sont les prochains enjeux électoraux ?

Depuis le depart d’Angela Merkel, la situation en Allemagne est beaucoup plus instable, et les politiques regardent plus en-dedans qu’en dehors : les Chrétiens-démocrates ont un nouveau leadership avec Friedrich Merz et celui-ci doit gérer l’après-Merkel en repositionnant le parti à droite tout en la gardant ouvert pour les Merkelistes centristes (un difficile numéro d’équilibriste), et les membres de la coalition sont occupés à tenir leur alliance et gouverner un moment de changement profond en Allemagne, le fameux Zeitenwende dont parle le Chancelier Scholz depuis plus d’un, et qui tarde à produire des effets tant les processus politiques sont lents en Allemagne. Dans cette atmosphère de changement et d’incertitude, il n’est pas surprenant de voir l’AfD retrouver ses niveaux de soutien de 2018. 

Ces niveaux de popularités ne veulent néanmoins pas forcément dire que l’AfD sera plus fort dans le prochain Bundestag : les prochaines élections fédérales auront lieu fin 2025, une éternité dans le calendrier électoral. Par contre, comme les Allemands sont toujours en campagne électorale, on pourra jauger des évolutions des soutiens des uns et des autres assez régulièrement, dans un contexte local néanmoins. Les élections en Bavière en Octobre auront valeur de test pour les chrétiens-démocrates de la CSU (séparés de la CDU et qui ont un leadership propre, plus à droite qu’à Berlin), mais 2024 sera un vrai moment de vérité pour l’AfD, avec des élections dans ses fiefs du Brandebourg (printemps, avant l’élection européenne) et surtout en Saxe et en Thuringe à l’automne – sans oublier bien sûr les élections européennes du mois de mai, qui permettront de jauger la capacité de chaque parti à mobiliser ses troupes. Autant dire que le calendrier électoral allemand sera riche dans les prochains mois.

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