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Khashoggi : le roi Salman ET la famille royale saoudienne soutiennent-ils encore MBS ?
©FAYEZ NURELDINE / AFP

Prince déshérité ?

Le Roi Salman s'est exprimé hier sur la politique intérieure et extérieure de l'Arabie saoudite. Le clan de MBS est dans la tourmente après l'assassinat de Khashoggi. Lors du discours du Roi, pas un mot sur ces événements.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Camille Lons

Camille Lons

Camille Lons est chercheuse (pays du Golfe) et coordinatrice du programme Moyen-Orient à l’European Council on Foreign Relations (ECFR)

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Atlantico: Comment doit-on interpréter ce silence de la part du Roi Salman ? Le soutien du Roi pour son fils ?

Ardavan Amir-Aslani : En fait, le Roi s'est indirectement référé à cette affaire, sans mot dire sur Kashoggi, en vantant les qualités intrinsèques du système judiciaire saoudien, capable de rendre justice avec impartialité! Il a de surcroît prononcé un non-sens historique, celui de déclarer que le principe fondateur de l'Arabie Saoudite est la justice et l'équité, une véritable aberration pour ceux qui connaissent les raisons fondatrices véritables : l'association entre le glaive meurtrier du fondateur Ibn Saoud et de la version la plus intolérante de l'islam, le Wahhabisme.

En tout état de cause, le roi, sénile et souffrant de la maladie de Parkinson, n'est pas en état de remettre en question le comportement erratique de son fils. Ce dernier qui s'est attribué l'ensemble des attributs du pouvoir ne peut que très difficilement être contesté. Ministre de La Défense, Président du Conseil de Surveillance de l'Aramco, la vache à lait du pays, Président du Conseil de Développement économique et Directeur du Cabinet de son père, il maîtrise, à lui tout seul, l'ensemble des rouages du pouvoir.

Malgré tous les faux pas commis, allant du Kidnapping du Premier ministre Libanais, le blocus du Qatar, l'extorsion de fonds des élites au Ritz Carlton et la guerre meurtrière, véritable crime contre l'humanité, au Yémen, il a toujours réussi à s'en tirer. Il pensait pouvoir faire de même avec le meurtre commandité de Kashoggi mais il s'avère que c'était le pas de trop. Le rival sunnite turc, incarnation des frères musulmans, y a trouvé l'occasion idéale d'affaiblir le rival wahhabite et accessoirement remplir ses coffres avec l'argent saoudien.

Le Roi, face à son fils belliqueux, qui a même trouvé le moyen de le priver de sa femme en lui interdisant de la voir par peur que cette dernière influe sur ses décisions, ne pouvait grand-chose. Son silence pendant toute la durée de cette affaire Kashoggi, si besoin était, est un facteur révélateur de son impuissance.

Camille Lons : Le roi a fait le choix très tôt d’investir dans son fils, de le faire accéder rapidement a des postes à responsabilités alors qu’il était encore très jeune et manquait de légitimité auprès non seulement de la famille royale, mais aussi des partenaires occidentaux de l’Arabie saoudite, qui n’avaient jamais entendu parler de MbS (alors que par exemple Mohammed ben Nayef, le prince héritier précédent, était très proche des Americains, avait beaucoup coopéré avec les Occidentaux sur les questions de lutte antiterroriste etc.). Désavouer son fils reviendrait a reconnaître une erreur de jugement. Ce n’est pas possible pour Salman. De plus, le roi appartient a cette génération plus ancienne de leaders saoudiens pour qui les coups d'éclats et les désaveux publics sont a éviter a tout prix. Les problèmes doivent se régler en interne, discrètement, éventuellement en faisant entrer en jeu d’autres membres de la famille qui pourraient contrebalancer la fougue de MbS sur certains dossiers (certains évoquent les noms du frère de MbS, Khaled bin Salman, ambassadeur a Washington), mais clairement pas en ecartant de manière brutale et publique un fils qu’il a autant mis en avant depuis plus d’un an. De plus, le roi est vieux, certains disent qu’il n’a plus forcement toute sa lucidité. Dans les jours qui ont suivi le déclenchement de la crise Khashoggi, des témoins affirment que MbS limitait accès des visiteurs membres de la famille royale au roi Salman, et qu’il contrôlait les allers et venues. Nous ne sommes donc clairement pas dans une situation de remise en question du pouvoir de MbS.

Où en sont le Roi Salman et Mohammed Ben Salman aujourd'hui ? Dans quelle posture sont-ils ? (disgrâce, exil, riposte...)

Ardavan Amir-Aslani : Ils sont dans une situation particulièrement affaiblie.  Un ensemble de mauvais choix effectué par les deux a totalement bouleversé le système consensuel du pays. Il faut rappeler que la famille royale ne tenait debout que par un système d'échange permanent et de consensus entre les plus grands des princes. En concentrant tous les pouvoirs entre ses mains,  Mohammad bin Salmane, communément appelé "MbS", a mis un terme à ce système, par là même, se transformant lui-même en dictateur à l'instar de Saddam Hussein.

Par ailleurs, en cassant la dévolution du pouvoir telle qu'elle avait été décidé par le conseil royal à l'issue de son accession au pouvoir, le Roi Salmane a ouvert la boîte de Pandore. Le premier prince héritier, Mohammad Bin Naef, initialement désigné par le précédent Roi, Abdallah,  fut victime d'un coup d'Etat de palais organisé par le Roi Salmane et MBS qui occupait jusqu'alors seulement le rang de deuxième prince héritier.

MbS présenté initialement comme un Grand réformateur sous prétexte qu'il avait autorisé les salles de cinéma et la conduite des femmes (sic) se trouve particulièrement fragilisé. Il doit maintenant composer avec une plus grande prudence avec un clergé wahhabite hardi par les échecs successifs du prince. Le virage vers un modernisme tout relatif du pays est arrêté. L'aventurisme à l'étranger par le biais du financement des mouvements les plus radicaux comme Daech sera plus difficile à mettre en œuvre et à poursuivre. La guerre sanglante au Yémen, une véritable tragédie humaine, poussant 14 million de yéménites vers la famine ne passera plus inaperçue aux yeux de la communauté internationale. Le blocus du Qatar ne sera plus tenable.

En fait, les marges de manœuvre autant du Roi que de son fils sont particulièrement limitées. C'est la conséquence la plus immédiate de l'affaire Kashoggi.

Camille Lons : Pour le moment, la priorité pour le roi et MbS est de gérer la crise (notamment avec les Etats-Unis qui sont un partenaire crucial pour le royaume) et attendre que l’affaire se tasse. La plupart des pays occidentaux n’ont eux-mêmes pas intérêts a rompre leurs liens avec l’Arabie saoudite, donc tout le monde espère que l’affaire va se calmer au plus vite. Certains collaborateurs de MbS pourraient servir de fusibles utiles pour éviter d’incriminer MbS trop directement. Il est possible que 5 des personnes impliquées dans le meurtre soient condamnées a mort. Le prince héritier va cependant devoir être prudent de ne pas perdre la confiance de ses proches collaborateurs en éliminant ceux qui auraient pourtant suivi ses ordres. Il a par exemple mis un moment de cote son conseiller Saud Al Qahtani, mais il semblerait qu’en réalité celui-ci soit trop important pour être réellement évincé. Il s’agit plus de mesures pour répondre aux pressions extérieures, notamment occidentales, que pour réellement attaquer ceux qui constituent le ciment de son pouvoir, et dont il ne peut pas se passer.

Quel(s) cercle(s) près du pouvoir pourraient être amenés à profiter de ce trouble dans le Royaume et à promouvoir ses/leurs intérêts ?

Ardavan Amir-Aslani : La liste des ennemis qui se réjouissent de la situation est longue.  Ainsi, en premier, on peut faire mention des 400 personnalités,  liées au Roi précédent, arrêtées et torturées au Ritz-Carlton dans le cadre d'une véritable campagne d'extorsion de fonds. Des grands princes comme le fils aîné du Roi Abdallah, Mutaib, ou encore la personnalité saoudienne la plus connue, Walid bin Talal, ont ainsi été torturés et ont été délesté d'une partie conséquente de leur fortune.

On peut aussi mentionner le clergé wahhabite qui a vu son lustre réduit par MBS et qui voit, dans l'affaiblissement de ce dernier, l'occasion de récupérer son statut d'égal de la famille royale; position qui fut la leur, notamment pour la famille Asheikh, la famille du fondateur du wahhabisme, depuis la conquête de la péninsule par Ibn Saoud.

Les généraux de la garde, historiquement fidèle à la branche des Abdallahs, démobilisée au lendemain du sacre du Prince sont aussi aux aguets.  Eux qui dirigeaient la seule force militaire du pays, qui se tenait à peu près, rêvent de prendre leur revanche.

Ensuite, toutes les minorités, dont les chiites qui peuple la région pétrolière du pays, les provinces dites de l'est,  vont se sentir moins persécutés. Il en va de même pour la minorité ismaélienne du sud du pays, alliée aux Houthis du Yémen.

Enfin, il faut faire mention de la population civile Yemmenite et les Houthis du Yémen en general qui récoltent avec l'affaire Kashoggi un répit, notamment des bombardements aériens sur le port de Al-Hodeida, leur seul accès à la mer.

Camille Lons : De nombreuses personnes ont été touchées par les purges depuis plus d’un an. Au sein de la famille royale, la lignée Abdallah par exemple (descendants du roi Abdallah qui précédait Salman, et qui contrôlaient notamment l’appareil de sécurité du royaume) a particulièrement été touche. Ces purges ont certes créé des mécontentements, mais elles ont été appliquées avec une telle ampleur que pour le moment toute opposition au sein de la famille royale semble impossible pour le moment.

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