Jusqu’où pourraient aller les Ukrainiens dans leur guerre des drones contre la Russie ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme tient un drone de frappe aérienne réutilisable appelé Punisher fabriqué par la société ukrainienne UA Dynamics lors d'un test dans la région de Kiev le 11 août 2023.
Un homme tient un drone de frappe aérienne réutilisable appelé Punisher fabriqué par la société ukrainienne UA Dynamics lors d'un test dans la région de Kiev le 11 août 2023.
©Sergueï SUPINSKY / AFP

Contre-offensive

Et que pourraient-ils obtenir comme résultat militaire ?

Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

Le Général Jérôme Pellistrandi est Rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.

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Atlantico : De plus en plus souvent, l’armée ukrainienne frappe la Russie à l’aide de drônes. C’est du moins ce qui ressort des déclarations de l’armée russe, laquelle affirme avoir abattu de plus en plus de ces appareils sur son sol. Que leur permet leur matériel et leur expérience en matière de combats de drônes ?

Jérôme Pellistrandi : Depuis le début de la guerre, les Ukrainiens ont fait appel à des drônes. Initialement, cependant, leur utilisation se limitait essentiellement à un usage défensif de cette technologie, alors déployée sur le champ de bataille. Depuis quelques semaines nous assistons à une volonté ukrainienne d’exporter le conflit directement sur le territoire russe. C’est pourquoi les drônes ukrainiens frappent maintenant des infrastructures militaires ou des quartiers à caractère économique, comme cela a pu être le cas à Moscou. Lors des différentes opérations, les forces ukrainiennes ont toujours tâché d’éviter les pertes civiles et les dommages collatéraux, parce qu’ils permettraient d’alimenter le narratif russe visant à présenter ces assauts comme des attaques terroristes.

La réalité des dégâts que peuvent infliger de tels drônes dépend bien évidemment de la taille de l’appareil, de sa propulsion, des charges qu’il emmène avec lui… Ceci étant dit, il ne faut pas perdre de vue que la fabrication d’un drône - qui est ici assurée par les forces ukrainiennes directement - est assez aisée. Il est donc possible d’en produire un certain nombre. 

Il faut aussi s’interroger sur la façon dont ces drônes sont utilisés : si certains d’entre eux peuvent aller jusqu’à Moscou, cela soulève forcément la question de leur point de décollage. S’ils partent depuis le territoire Ukrainien, il faut qu’il puisse voyager loin (ce qui implique des batteries ou des moteurs importants et des charges explosives moins conséquentes). C’est aussi pour cela que de telles armes font relativement peu de dégâts… quand bien même la récente frappe sur la base de Soltsy a permis à l’armée ukrainienne de détruire un bombardier russe Tupolev Tu-22M3.

Jusqu’où peut-on penser que les Ukrainiens puissent-ils aller, exactement ?

C’est effectivement la question qui se pose aujourd’hui. Ces drônes leur permettent de créer un climat anxiogène là où se situe l’élite décisionnelle russe, soit directement à Moscou. Avec de telles attaques, l’Ukraine fait d’une pierre deux coups : elle illustre sa capacité à riposter et endommager l’infrastructure ennemie en plus d’humilier son système militaire. Les autorités russes étaient convaincues que leur armée allait remporter un succès militaire rapide, foudroyant… mais elle doit désormais faire face à cette menace quotidienne. Pire encore : l’armée ne peut pas empêcher la guerre d’atteindre Moscou.

A certains égards, cette situation n’est pas sans rappeler les premiers bombardements alliés sur Berlin, pendant la Seconde Guerre mondiale. A l’époque, les Berlinois se pensaient à l’abri de telles opérations de la part des alliés. C’est pourquoi ils ont été frappés par une puissante stupeur.

A quels résultats les Ukrainiens peuvent-ils s’attendre, compte tenu de la pro-efficience de l’armée russe dès lors qu’il s’agit d’abattre des drônes ? S’agit-il d’un coup d’épée dans l’eau ou d’une opération militaire qui en vaut la peine, selon vous ?

S’il y a bien une certitude, c’est que les drônes employés par les forces ukrainiennes ne suffiront pas, à eux seuls, à changer le cours de la guerre. Ce ne sont pas des frappes qui ne font que quelques dégâts - parfois spectaculaires en termes d’image, certes - qui pourront briser le moral des Russes.

Pour autant, c’est l’occasion pour l’Ukraine de montrer à la population russe ce qu’elle subit depuis 18 mois, dans des proportions beaucoup plus importantes. Il y a une forme d’exaspération chez les Ukrainiens qui entendent faire subir aux Russes ce qu’ils doivent endurer depuis des mois de leur côté.

Quel est l’objectif exact de ces opérations ?

Pour être réellement efficace, nous l’avons dit, il faudrait utiliser des missiles à longue portée avec des charges explosives importantes. Puisque ce n’est pas le cas, je pense que l'objectif de telles missions, c’est précisément de causer une certaine stupeur au sein de la population russe. Il s’agit de créer un climat d’incertitude comparable à celui auquel l’Ukraine est elle même confrontée depuis plus d’un an et demi.

Faut-il craindre, à force d’humilier l’armée russe, de “piquer la bête” et la pousser à réagir violemment ? Quel est le risque d’une escalade ?

Le risque est réel, c’est certain. Pour autant, après 18 mois de conflits, le gouvernement ukrainien doit aussi donner des gages à sa propre opinion publique. Par ailleurs, ces opérations poussent la Russie à consacrer des moyens militaires conséquents pour se prémunir des attaques de drônes. Prenons un exemple simple à comprendre : la situation à laquelle est confronté l’ours russe est comparable à celle du dormeur coincé avec moustique dans sa chambre. Sans produit anti-moustique, sans tapette, on dépense beaucoup d’énergie pour se débarrasser de ce qui n’est guère qu’un insecte.

Le commandement russe est, en l’état, contraint de consacrer des moyens importants (tant en termes d’équipements anti-aérien que de soldats) pour protéger Moscou et d’autres cibles stratégiques. Ces hommes ne sont pas en Ukraine : ils restent sur le sol russe. 

Après 18 mois de guerre, les Ukrainiens n’ont plus rien à perdre. C’est pour cela que le risque d’escalade est à ce point assumé de leur côté, d’autant qu’il ampute la Russie d’une partie de ses outils.

Ne perdons pas de vue que la Russie n’est pas en mesure, en l’état actuel des choses, de protéger l’ensemble des cibles potentielles qui existent sur son territoire. Cela demanderait d’ailleurs des moyens particulièrement importants. Cela résulte aussi du fait que le système antiaérien russe (et c’est vrai aussi pour nos pays occidentaux) est pensé pour lutter contre des avions et des missiles, pas des drônes. Un moustique est plus difficile à identifier et à éliminer qu’un bourdon bruyant et facile à repérer.

Comment organiser une opération comparable ? L’Ukraine dispose-t-elle de moyens pour faire partir ses drônes depuis des positions plus avancées que son propre sol ? Quelles sont les différences avec des opérations plus traditionnelles ?

La problématique à laquelle est confrontée l’Ukraine c’est la possibilité de frapper en profondeur. Or, les pays occidentaux ont veillé à ne pas fournir d’armes ayant des portées suffisantes pour frapper la Russie à l’intérieur de ses terres. C’est pourquoi les Ukrainiens sont contraints de trouver d’autres moyens pour pallier ce problème. C’est précisément ce qu’ils font avec ces drônes, construits pour la plupart à l’aide de fibre de carbone (et, somme toute, assez simples à monter).

A quoi faut-il s’attendre pour la suite ?

Il est probable que la guerre des drônes aujourd’hui engagée se poursuive et s'amplifie, en particulier dans le courant de l’hiver. D’ici là, la ligne de front se sera figée et on devrait assister à de nouveaux bombardements russes sur des infrastructures telles que les centrales et il est probable que les ukrainiens répondent par du harcèlement à base de drône.

Il y a énormément de leçons à en tirer, y compris pour les armées occidentales : ce péril ne va cesser de croître dans les années à venir. Les drônes sont beaucoup moins complexes à concevoir,  à construire et à contrôler que ne peuvent l’être des avions de chasse. 

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