Joe Biden, un an après : deux doigts de réussites et une bonne dose de déceptions<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président américain Joe Biden prend la parole lors d'une conférence de presse à la veille de sa première année au pouvoir, à Washington, Le 19 janvier 2022.
Le président américain Joe Biden prend la parole lors d'une conférence de presse à la veille de sa première année au pouvoir, à Washington, Le 19 janvier 2022.
©MANDEL NGAN / AFP

Etats-Unis

Si le président américain a réussi quelques avancées majeures, les Américains eux n’ont pas l’impression d’une amélioration extraordinaire depuis le départ de Donald Trump.

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

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Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Joe Biden a été investi le 20 janvier dernier, il y a un an jour pour jour. Aujourd’hui seuls 42% des Américains ont une opinion favorable de son mandat. Comment expliquer ce désaveu ? 

Barthélémy Courmont : Il convient d’abord de rappeler que l’opinion favorable à l’égard du président est traditionnellement, aux Etats-Unis, assez forte, beaucoup plus qu’en France par exemple, et que 42% est un chiffre faible et donc inquiétant pour le locataire actuel de la Maison Blanche. Donald Trump fut confronté au même déficit de popularité pendant quatre ans, ce qui semble indiquer que la polarisation de la vie politique américaine est devenue telle que le président en exercice ne parvient pas à rassembler des soutiens au-delà de son camp. C’est fâcheux quand on sait que Joe Biden avait fait de la réconciliation le grand thème de sa campagne, fustigeant les divisions incarnées par Trump. Un an après son arrivée à la Maison Blanche, on constate que ces divisions restent très fortes, et si le président ne peut être considéré comme le seul responsable, il s’est également montré incapable de les réduire. Joe Biden a donc échoué dans cette quête à la réconciliation, et son bilan est décevant sur ce point, jusqu’à donner l’impression que l’administration reste obsédée par la précédente et la volonté de déconstruire l’héritage de Donald Trump, plutôt que de se focaliser sur les nombreux défis actuels. Ajoutez à cela un bilan économique en demi-teinte, une diplomatie maladroite et un leadership souvent critiqué, plus l’activisme de Donald Trump et son influence chez les conservateurs et vous avez tous les ingrédients d’une présidence en manque de légitimité. Les élections mi mandat, en novembre prochain, confirmeront si rien ne change d’ici là les profondes divisions partisanes, mais aussi l’échec de la réconciliation promise par Biden.

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Quel bilan le président Joe Biden a-t-il après un an au pouvoir ?

Jean-Eric Branaa : Joe Biden s’est présenté pour transformer l’Amérique et il s’est passé pas mal de choses cette année. Mais si on regarde l’impression qui en sort aujourd’hui, elle est assez négative. D’abord, sa côte de popularité est très basse, 42%. La Covid pèse très fort chez les Américains qui en veulent à leur président qui avait promis de les en débarrasser. De plus, la désunion est toujours très forte aux Etats-Unis, alors que Joe Biden a fait campagne sur l’union et la volonté que démocrates et républicains travaillent ensemble. Pire que cela, ce sont les démocrates qui ne s’entendent pas entre eux. Ce mardi, avait lieu un débat sur la réforme électorale et les démocrates n’ont pas été capables de se mettre d’accord, ce qui constitue la première défaite législative de Biden, la veille de ses un an. Symboliquement, c’est très fort. Mais c’est aussi l’arbre qui cache la forêt.

Le Covid pèse en effet lourdement. On a beaucoup critiqué Trump sur le sujet mais Biden a-t-il fait mieux ?

Jean-Eric Branaa : Le tout début de son mandat a été très bon sur ce plan, car il a semblé apporter une réponse fédérale quand Donald Trump expliquait que ce n’était pas du ressort du président. Biden a débloqué 200 millions de doses de vaccin et mobilisé la FEMA et l’armée pour vacciner. Très rapidement, les Etats-Unis ont rattrapé et dépassé les autres pays. Ce, jusqu’à fin avril, Joe Biden déclare alors que tous les Américains seraient vaccinés le 4 juillet, pour la Fête d’indépendance. A ce moment-là, tout s’est arrêté car les Républicains, mais pas qu’eux, ont décidé d’arrêter de se faire vacciner et ont repoussé toutes les mesures. Cela a entraîné un blocage qui persiste encore car seulement 71% de la population est vaccinée. Biden essaie encore, il a annoncé donner des autotests et des masques FFP2 gratuitement.

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Est-ce le signe aussi d’un pays qu’il n’a pas réussi à réconcilier ?

Jean-Eric Branaa : Très clairement. Le problème de la réconciliation est une vraie question politique. Biden est un homme de compromis, je l’ai expliqué dans ma biographie. Il a toujours fonctionné ainsi, mais lors de sa campagne il en a joué de manière très maladroite en rappelant avoir travaillé avec des ségrégationnistes, ce qui avait été très mal reçu. Le compromis est sa marque de fabrique mais je pense qu’aujourd’hui il n’apprécie pas suffisamment l’état de l’Amérique après Trump. L’élection de 2022 a été pour certains l’espoir de remettre le balancier politique le plus à gauche possible après que Trump l’ait amené le plus à droite possible. Il y a donc un désir de revanche très fort aux Etats-Unis. Et en même temps, 62 % des Américains ne veulent plus de violences dans la société. Biden est un centriste, il considère qu’en mettant la balle au centre, il règle le problème. Ce n’est pas le cas. Les progressistes veulent aller bien plus loin, ils demandent à Biden d’agir par décret, ce qu’il se refuse à faire pour restaurer l’autorité du Congrès.

Qu’en est-il de son bilan en termes de politique extérieure ? Le désastre Afghan est-il sa plus grande erreur ? 

Jean-Eric Branaa : On le caricature souvent à deux choses, la crise des sous-marins en Australie et la débandade en Afghanistan. C’est important, mais sur l’Aukus, l’opposition était véritablement entre la France et l’Australie plutôt que les Etats-Unis, Biden a dit qu’il ne savait pas et Macron a dit le croire. L’Afghanistan, c’est un vrai pataquès. Trump avait enclenché le processus, Biden l’avait promis. Le départ était fixé au 11 septembre, et Joe Biden a décidé de le faire plus tôt. Il aurait peut-être fallu que les autres forces anticipent mieux ce retrait mais il est certain que les Américains sont pleinement responsables - ils contrôlaient l’aéroport -. C’est un raté monumental mais pouvait-on éviter un raté monumental dans ce contexte, je n’en sais rien.

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Par ailleurs, il faut réaliser, ce qui n'est pas rien, que les Etats-Unis ne sont plus impliqués dans aucune guerre dans le monde, ce qui a été possible au Moyen-Orient grâce aux accords d'Abraham poussés par Trump. Il a continué la réorientation vers l’indo-pacifique engagée sous Obama. Les Américains se sont aussi positionnés en Afrique et Amérique du Sud. Il y a aussi une reconsidération des européens comme partenaires, il y a des négociations sur l’acier, sur la taxe GAFA, sur l’Europe de la Défense. Il y a aussi une volonté de rester proche de l’Europe via l’Otan. Cela passe par une remise à niveau des relations avec la Russie. Biden a qualifié Poutine de tueur, Blinken est actuellement en Ukraine.

Barthélémy Courmont : La politique étrangère de Joe Biden, qui a la particularité d’être un fin spécialiste de ces questions, le plus expérimenté à ce poste depuis George Bush père, donne l’impression d’une multiplication d’hésitations et de maladresses. Le dossier afghan est ici intéressant, pas parce qu’il s’agirait d’un désastre pour lequel blâmer Biden (ses deux prédécesseurs avaient pris l’engagement d’un retrait avant lui), mais plutôt dans la méthode. Des alliés peu consultés, l’absence de perspectives, et la fin confirmée d’un exceptionnalisme américain qui avait placé, depuis la fin de la Guerre froide, ce pays en position de force dans la résolution des conflits. La question la plus importante reste cependant celle-ci: le monde est-il plus sécurisé aujourd’hui qu’il y a un an? La réponse est malheureusement non, et si les Etats-Unis n’en sont pas les seuls responsables, l’administration Biden porte une lourde responsabilité. Tensions avec la Chine, création de l’Aukus au mépris des règles les plus élémentaires de la diplomatie et du respect des alliés, une gestion de la question ukrainienne qui nous ramène quarante ans en arrière… le bilan n’est pas bon, et les tensions internationales sont très fortes. Biden était attendu dans son rôle de diplomate et de pacificateur, il doit encore prouver que son administration est à la hauteur.

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En 2021, les prix ont grimpé d’environ 7% aux États-Unis, la pire inflation depuis 1982. Peut-on l’attribuer à la politique de Joe Biden ?

Jean-Eric Branaa : Je crois qu’on doit lui tenir rigueur de la situation puisqu’il est le président. On peut se demander pourquoi il n’a pas agi quand l’inflation était à 4%. Mais il agit, sur l’agriculture, sur l’essence – avec le recours à la réserve nationale – mais l’on atteint des records. 7% c’est le pire taux depuis 1989. Certes la croissance est aussi à 7% et le chômage est descendu à 3,9 % et certains disent que l’inflation est conjoncturelle en raison de la sortie de crise mais d’autres estiment que cela pourrait s’installer pour longtemps et mener à une crise mondiale. Il est clair que Biden doit parler aux Américains sur ce sujet car c’est une crise majeure. Les signes sont contradictoires mais il pourrait y avoir des conséquences graves si l’inflation dure.

Le nombre de migrants a fortement augmenté à la frontière mexicaine pour s’établir à presque 250 000 contre 50 000 sous Trump (avec un pic à 150 000 en 2019). C’est aussi à mettre au bilan de Joe Biden ?

Jean-Eric Branaa : Il y a eu un appel d’air lors de son élection car il y a eu une illusion selon laquelle il était possible pour les habitants d’Amérique du Sud de se rendre aux USA. Il a dépêché Kamala Harris pour dire « ne venez pas ». Cela a été moqué mais c’est une parole forte. Les chiffres montrent notamment une hausse du nombre d’enfants isolés. Il n’y a toutefois plus les images des caravanes de migrants qu’il y avait sous Trump. Les chiffres sont plus élevés mais ce n’est pas non plus le million que les Républicains annoncent. Pour l’instant, le pays est fermé aux migrants mais il est possible qu’il se rouvre à la main-d'œuvre nonqualifiée pour maintenir leur croissance.

Le président Joe Biden est-il toujours pris aux sérieux aux États-Unis et dans le monde ? 

Barthélémy Courmont : Les Etats-Unis sont et resteront pris au sérieux dans le monde, quel qu’en soit le dirigeant. Mais le monde a-t-il confiance dans les Etats-Unis? Sans doute

Moins aujourd’hui qu’il y a une vingtaine d’années. Là encore, Biden n’est pas à blâmer, mais il n’est jusqu’à présent pas parvenu à restaurer la nécessaire confiance en un leadership américain fort. Les récentes rencontres entre Wang Yi, ministre chinois des affaires étrangères et des responsables des pays du Golfe indique que même dans cette région du monde, où le leadership américain était hier encore une évidence, Washington doit désormais accepter la compétition et donc un déclin relatif mais réel. En Asie, le positionnement américain questionne plus qu’il ne rassure. En Afrique, Washington n’existe quasiment plus sur la scène diplomatique, et en Amérique latine les crispations se maintiennent. En Europe enfin, les espoirs accompagnant l’arrivée au pouvoir de Biden, après une présidence Trump qualifiée de méprisante pour les Européens, laissent place à la désillusion. Ici comme ailleurs, Joe Biden est pris au sérieux, comme l’était Donald Trump, en raison de la puissance du pays qu’il dirige. Mais cela ne veut pas nécessairement dire que le monde lui fait confiance.

Par ailleurs, quelles sont les réussites que l'on peut attribuer au président Joe Biden ? Quels sont les bons points du début de mandat de Joe Biden ?

Jean-Eric Branaa : On se focalise beaucoup sur les mauvais points, et cela me surprend car il y aussi un certain nombre de sujets sur lesquels il a fait des choses et qui sont très peu évoquées dans les médias. On peut commencer par l’environnement et son retour dans l’accord de Paris, qui a aussi envoyé un signal sur le retour du multilatéralisme. Il a aussi mis à l’arrêt l’oléoduc Keystone XL, les forages dans une zone protégée de l'Arctique. Il a aussi fixé de nouveaux objectifs sur la planète : neutralité carbone, arrêt progressif du charbon, etc. Biden a aussi acté le retour dans l’OMS, ce qui est important dans le contexte Covid. A cela il faut ajouter l’abrogation du Muslim Ban, dans l’indifférence la plus totale, l’arrêt de la construction du mur et de l’argent supplémentaire pour le contrôle aux frontières. Néanmoins, toutes ses lois sur l’immigration sont bloquées au congrès. Il a fait voter des lois sur la police attribuant du budget supplémentaire pour la formation et l’équipement. Il a également fait passer des lois contre le racisme dans l’administration, abrogé l’interdiction des transgenres dans l’armée, favorisé la diversité dans les postes (ce dont les anti-Biden ont beaucoup parlé au début du mandat). Il a nommé 83 juges fédéraux dont la moitié sont des femmes et peut être, s’il elle est confirmée, la première femme musulmane juge fédérale.  

Surtout, il faut mettre à son crédit le plan de relance de 1900 milliards de dollars. De quoi financer les politiques de tests, d’encouragements à la vaccination, etc. Il a également fait passer une loi historique sur les infrastructures de plus de 1750 milliards de dollars. C’est une question fondamentale car aux Etats-Unis on ne peut même pas boire l’eau du robinet car les tuyaux sont en plomb. 50 milliards sont déjà débloqués sur les canalisations. C’est un projet qui a été proposé par tous les présidents depuis Clinton. Donald Trump qui répétait à l’envie que la semaine prochaine, c’est la « semaine des infrastructures », n’a jamais réussi à le faire passer, comme ses prédécesseurs. A son actif, il y a aussi un moratoire sur les hypothèques, sur les dettes étudiantes. Il a aussi passé une loi contre les conglomérats agricoles pour lutter contre l’inflation.

Barthélémy Courmont : Les intentions du président américain restent bonnes sur plusieurs sujets dont l’importance est évidente. D’abord le retour de Washington dans les instances internationales, qui contraste avec la vacance du multilateralisme des années Trump. Mais surtout l’engagement des États-Unis dans la lutte contre le réchauffement climatique, qui contraste là aussi avec l’administration Trump. Cela confirme l’idée selon laquelle c’est la maladresse plus que les intentions qui doit être tenue responsable du bilan en demi-teinte de la première année de l’administration Biden.

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