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Jean-Pierre Raffarin : " Sur le plan de la recomposition du paysage politique, je ne pense pas que l'avenir soit au mélange "
©Reuters

Interview politique

Deux jours après la publication des règles devant régir la primaire de la droite et du centre, Jean-Pierre Raffarin s'exprime sur l'importance de cette élection en vue de l'alternance, absolument indispensable pour résorber le problème de l'emploi que le PS n'a pas été capable de régler. Sans oublier l'enjeu majeur pour la droite et le centre qui consiste à empêcher l'arrivée au second tour de Marine Le Pen.

Jean-Pierre Raffarin

Jean-Pierre Raffarin

Jean-Pierre Raffarin est président de la commission des Affaires étrangères et de La Défense. Il a été Premier ministre de Jacques Chirac de 2002 à 2005.

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Atlantico : Ce vendredi, Anne Levade, la présidente de la Haute autorité pour la primaire à droite, présentait le guide réglementant la primaire à droite qui aura lieu en novembre prochain. Parmi ces règles, il y a celles relatives à la validation des candidatures qui nécessiteront les parrainages de 250 élus, dont 20 parlementaires issus de 30 départements, et de 2 500 adhérents. Ces règles particulièrement strictes- dignes d'une présidentielle - ne risquent-elles pas de limiter le nombre de candidatures, et donc l'émergence de nouvelles figures à un moment où la société demande précisément l'émergence de ces nouvelles figures ? 

Jean-Pierre RaffarinCette primaire prend une gravité particulière compte tenu de la situation dans laquelle se trouvent actuellement l'exécutif et le PS.  Il est probable que l'élection aux primaires désigne le prochain président, il y a donc là un  enjeu exceptionnel. Il faut donc que les candidats répondent aux critères qui sont ceux du niveau de l'élection présidentielle. 

Considérant le nombre d'élus de la famille de la droite et du centre, mais également le niveau de mobilisation que les Républicains ont engagé sur le sujet, je pense qu'un grand nombre de candidats pourront répondre à ces conditions de participation à la primaire. Une sélection était nécessaire sans que les conditions fixées ne la rendent trop sévère. Je ne pense donc pas que ces règles puissent limiter les chances de voir émerger de nouvelles figures. 

Vous évoquez dans votre question le besoin de renouvellement qui est réel dans la société. C'est exact mais les élections précédentes nous ont montré qu'à un an de l'élection présidentielle, la demande de renouvellement est très forte. Mais plus l'on se rapproche de l'échéance, plus les enjeux gagnent en gravité, et plus l'expérience, le projet, et les capacités personnelles l'emportent parmi les critères de sélection.

Alors que les candidatures se multiplient au sein des Républicains, de nouvelles apparaissent à l'extérieur du parti comme celle de Rama Yade par exemple, ou bien encore la candidature hypothétique de Jean-Christophe Lagarde dans le cas où un accord avec les Républicains au sujet de la primaire ne serait pas conclu. Cette multiplication des candidatures, aussi bien au sein du parti qu'en dehors, n'affaiblit-elle pas la légitimité du candidat qui sortira vainqueur de la primaire de la droite et du centre ? 

Le nombre de candidatures ne fragilise pas la primaire, au contraire : plus l'offre sera large, plus sa légitimité sera grande. Les Français ont bien compris que le risque de voir Marine Le Pen au second tour est très fort. L'enjeu de ces primaires consiste en l'organisation du débat de façon à ce que la droite et le centre aient un candidat présent au second tour. 

Le risque est celui de l'élimination au 1er tour, comme cela fut le cas de Lionel Jospin en 2002. C'est cela qu'il faut éviter, et c'est à ce titre que la primaire est décisive. Ceux qui joueront contre les primaires apparaîtront comme jouant des aventures personnelles, et seront sanctionnée par l'opinion. En effet, la primaire est une nécessité pour qu'un candidat de la droite et du centre puisse porter l'espoir de l'alternance. La solidité l'emportera sur le marketing .

Dans une étude récemment publiée par le Cevipof, le politologue Jérôme Jaffré montre que l'électorat potentiel de la primaire de la droite et du centre serait bien plus âgé et plus aisé que celui de la présidentielle de 2017. Cette sociologie électorale ne fait-elle pas craindre un retour à un suffrage censitaire ? Au regard des potentialités sociologiques de l'étude, ne convient-il pas, là encore, d'interroger la légitimité du candidat qui sortira vainqueur de la primaire de la droite et du centre, qui serait donc soutenu que par une partie restreinte des Français ? Comment éviter l'exclusion des autres catégories de la population, notamment les plus défavorisés, qui ne se politisent qu'au moment de la présidentielle ? 

Je ne pense pas du tout à un retour du suffrage censitaire. Je crains que  la situation de la France en 2017  soit encore plus difficile qu'aujourd'hui : les indicateurs économiques seront dégradés, l'insécurité restera une menace permanente, tandis que les tensions internationales feront peser sur nos équilibres des risques importants. Dans ce contexte-là, je suis convaincu que la sociologie électorale sera effacée par la conscience de la gravité. Pour moi, le premier critère de sélection du prochain président sera sa solidité. La solidité  est surtout une attente populaire. Cela ne correspond pas à des critères économiques, idéologiques ou partisans. Il s'agira de choisir un programme et la solidité du président capable de le mettre en œuvre, fermement et rapidement  . 

A mon sens, c'est la pédagogie nationale qui démontrera que les couches défavorisées sont les premières victimes du socialisme. En fait, les Français en marge de l'emploi font aujourd'hui les frais d'une politique qui créé des murs dès l'entrée dans l'activité économique. L'emploi reste la clé de l'intégration sociale. Les classes les plus défavorisées aujourd'hui ont tout à gagner d'une alternance qui fera de l'emploi la priorité nationale. 

Un article de France Info affirme que vous avez été désigné comme "casque bleu" dans le camp d'Alain Juppé, au cas où les échanges pendant la primaire seraient trop virulents. Le camp de Nicolas Sarkozy et de François Fillon en auraient un également. Est-ce qu'il y a un vrai risque pour que la primaire prenne une mauvaise tournure ? Qu'est-ce qu'il est raisonnable de redouter ?

Compte tenu de l'enjeu de cette élection, il faut être en effet vigilant. L'éthique de la primaire consiste  à se rassembler derrière celui qui aura été désigné. Auquel cas, il convient d'éviter les fractures irréductibles. Pour cela, il est nécessaire de modérer le débat de manière à ce qu'à chaque instant, le rassemblement soit possible. Les campagnes électorales échauffent les esprits. Nos adversaires de l'extrême-droite et de l'extrême-gauche peuvent tirer profit de nos divisions. Il est donc nécessaire d'avoir "une éthique du débat" qui nous permette l'expression des différences mais qui, à chaque instant, rende possible le rassemblement pour l'alternance. Il ne faut pas oublier que nous avons quatre tours à franchir, et que ce n'est qu'à l'issue de ce quatrième tour que le vainqueur sera désigné. 

Le risque que vous évoquez existe donc, d'autant plus que les candidats se connaissent bien. Alain Juppé et Nicolas Sarkozy notamment ont cheminé côte à côte depuis longtemps. Chacun connaît les atouts et les faiblesses de l'autre. On peut toujours craindre dans ce type de concurrence que les coups soient rudes, notamment à cause de la nervosité des entourages . De ce fait, il convient de veiller à la protection de l'essentiel : le rassemblement final . Ce sera notre sagesse. Dans le camp Juppé, nos choix sont suffisamment fermes pour que nos attitudes soient détendues . 

On remarque une véritable résignation politique quant à la présence de Marine Le Pen au second tour la présidentielle de 2017. Pour quelles raisons ? N'y-a-t-il tout de même pas une bataille à livrer face au FN, notamment pour les Républicains ? 

Il y a effectivement une bataille farouche à mener contre les idées du FN. Si aujourd'hui le pronostic Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2017 est probable, cela s'explique par le fait que l'exécutif n'a tenu aucun compte des résultats des élections régionales. Nous avons, à plusieurs reprises, alerté l'exécutif sur la priorité qui doit être accordée à la lutte contre le chômage, facteur majeur de cohésion sociale. Or, le gouvernement  s'est enfermé dans des tactiques telles que la réforme constitutionnelle pour la déchéance de nationalité ; elles se sont non seulement avérées sans issue, mais elles ont surtout donné le sentiment à l'opinion publique que l'on ne tenait pas compte de ses alertes . L'impuissance de la politique favorise les extrêmes. Le FN n'apparaît pas comme l'adversaire désigné du PS qui semble aujourd'hui obsédé par ses querelles internes et ses approches tactiques. 

Le fond de l'affaire, c'est la bataille contre les idées du FN. Autour d'Alain Juppé, certains talents  de sa campagne "jeunes" comme Mael de Calan effectuent un travail concret contre le programme du FN. Cela passe par l'étude approfondie des propositions faites par ce parti sur des questions comme la situation européenne, la situation monétaire,l'immigration, etc. Nous voulons montrer que ce n'est pas au moment où le monde s'organise autour de pays-continents comme les Etats-Unis, la Chine ou la Russie - sans oublier le rôle de l'Iran et des émergeants d'Amérique du sud ou d'Afrique - que l'Europe doit détruire son organisation continentale. Des changements doivent être accomplis mais le processus de déconstruction de l'Europe serait tragique. 

Il ne faut pas considérer la multiplication des candidatures pour la primaire de la droite et du centre comme une stratégie contre Marine Le Pen. Ce sont les sensibilités politiques et les ambitions personnelles qui sont la source de ce foisonnement d'ambitionS. Néanmoins, tout ce qui peut éviter au pays l'aventure du FN me paraît responsable. 

Au-delà des considérations sur leurs personnes, de quelle offre politique Alain Juppé est-il porteur ? Qu'est-ce qui différencie cette offre de celles formulées par Nicolas Sarkozy, François Fillon et Bruno Lemaire ? 

Il y a, chez Alain Juppé, une solidité fondée sur un vrai courage de l'action et sur une forte éthique de l'Etat. Ces deux valeurs sont consubstantielles à sa personne. A mon sens, il incarne "l'équilibre français", un équilibre entre fermeté et responsabilité. Cette solidité résulte de son expérience, à tous les échelons politiques, et de sa conviction que c'est dans un seul quinquennat que les ruptures doivent être menées. Cette forme de désintéressement fait  d'Alain Juppé une force, une solution pertinente. 

Concrètement, je pense qu'Alain Juppé sera le mieux-disant en matière d'emploi. Il fait de ce dossier la clé de voûte de la dynamique économique, mais également de l'intégration sociale. Cette mobilisation autour de l'emploi, c'est-à-dire pour une politique de l'offre, de soutien aux entreprises, de propositions concrètes (code du travail, politique de fiscalité, apprentissage, etc ) fait que cette axe stratégique me paraît être l'expression d'une juste analyse. Quand le président Hollande dit "mon combat, c'est d'abord la précarité plus que l'emploi", c'est véritablement une faute de pensée. Si la précarité existe aujourd'hui, c'est parce que nous sommes en déficit d'emplois. Il convient d'agir sur la cause, c'est-à-dire l'emploi, plus que sur les conséquences. Ne pas reconnaître que la situation de l'emploi est un problème ayant autant d'impacts sociaux qu'économiques, c'est vraiment ne pas comprendre la situation française à la veille de la "révolution digitale".

Des sujets comme ceux qui ont déjà été votés par le Sénat, à l'instar de l'augmentation des seuils, l'orientation de l'épargne vers les entreprises, la réforme du code du travail, celle de l'apprentissage, la régionalisation de la politique de l'emploi, etc. sont d'ores et déjà intégrés dans un contexte stratégique qui sera précisé par Alain Juppé lors de la présentation officielle de son projet économique le 10 mai. 

Alain Juppé a cette ambition pour l'emploi, il est le mieux-disant sur ce dossier essentiel par rapport aux autres candidats à la primaire de la droite et du centre. Cette priorité-là est volontariste et responsable. Et sa proposition d'un "Etat fort" équilibre son projet sur le plan régalien. 

Vous avez déclaré être d'accord à 99% avec Emmanuel Macron, auquel vous avez, à plusieurs reprises, tendu la main dans le cadre d'une éventuelle alliance avec Alain Juppé (lorsque vous avez par exemple dit qu'il n'y avait pas d'incompatibilité entre lui et le maire de Bordeaux par exemple). Au regard du fort clivage qui existe encore la droite et la gauche sur certains sujets comme la GPA-PMA ou le regroupement familial (cf. dernier sondage Ifop pour Valeurs actuelles publié ce jeudi : 73% des sympathisants LR y sont opposés Vs. 64% des sympathisants PS qui y sont favorables), comment percevez-vous le "ni gauche, ni droite" d'Emmanuel Macron ? Cela vous parait-il évident ? A ce titre, quelle recomposition du paysage politique seriez-vous prêt à accepter ? 

Je suis particulièrement conscient des tactiques qui se cachent derrière l'offensive Macron. J'ai déjà eu l'occasion de dire que je regrettais beaucoup que certains de ses propos ne soient pas traduits par son action. Quand il s'affiche libéral, pro-business, ou comme étant favorable à une réforme fiscale significative en faveur de l'investissement, je constate que ses propos sont positifs, mais qu'hélas, il appartient à un gouvernement qui fait le contraire. Cela dit, l'intérêt de la France est qu'une partie majeure de la gauche abandonne les vieilles lunes de la révolution marxiste, et que sa modernisation soit engagée en France comme l'Allemagne l'a déjà fait. Je constate que la faiblesse de l'exécutif nourrit un retour de l'extrême-gauche . Sur ce plan, François Hollande fait de l'anti-Mitterrand, l'un affaiblissait  le PC, l'autre génère Mélanchon, de nouvelles formes de contestations, une certaine violence de rue , l'évolution gauchisante de l'écologie... Visiblement la vieille gauche reste fortement présente au sein de la gauche française, sa modernisation n'est pas gagnée. La France a pourtant tout intérêt à avoir une gauche moderne, une gauche qui regarde le monde tel qu'il est, une gauche qui soit réellement réformatrice plus que conservatrice, une gauche qui accepte des changements importants y compris dans sa doctrine notamment quant au dialogue social, au rôle des syndicats, à la politique de l'offre, etc. Le pays a trop souffert des archaïsmes inspirés par une pensée encore trop marquée par le XIXème siècle. 

Sur le plan de la recomposition du paysage politique, je ne pense pas que l'avenir soit au mélange. La démocratie , c'est le débat. A ce titre, je souhaite pour le pays un débat entre une vision humaniste et libérale et un socialisme enfin modernisé. 

Sur plusieurs dossiers, Emmanuel Macron affiche une attitude de défi face au gouvernement. En tant qu'ancien Premier ministre, auriez-vous accepté une telle attitude de la part d'un de vos ministres ? 

Le diagnostic d'Emmanuel Macron sur l'état de la gauche est juste. Mais je suis effectivement étonné par la diversité des opinions exprimées à l'intérieur de l'actuelle majorité. Je constate que l'audace d'Emmanuel Macron grandit. Je ne sais pas si cela pourra aller très loin car la rupture n'est l'intérêt de personne au gouvernement. La gauche est passée de la diversité à la division . Depuis un certain temps déjà, certaines lignes de responsabilités ont été franchies, notamment par la majorité parlementaire à l'occasion du débat constitutionnel. La division est naturellement l'ennemi de tout exécutif .

Jeudi dernier, cela faisait 14 ans que la France avait vécu le 21 avril 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen a accédé au second tour de l'élection présidentielle, à l'issue de laquelle vous étiez nommé Premier ministre. A l'époque qualifié d'"accident", l'épisode semble plutôt avoir marqué l'ouverture d'une nouvelle séquence dans la vie politique française. Avec le recul, comment analysez-vous cette rupture avec le recul ? Qu'est-ce que vous pensez que vous auriez pu faire avec l'ancien président Jacques Chirac ? 

A l'époque, l'hypothèse de l'élimination de Lionel Jospin n'avait pas été envisagée par le camp chiraquien, à l'exception de Madame Chirac. Le président Chirac croyait que les législatives pouvaient être gagnées par la gauche ; elle avait bien appliqué le rassemblement républicain, il pouvait donc être légitime aux yeux des Français qu'elle participe au pouvoir. L'attitude noble de Lionel Jospin participait à ce pronostic selon lequel l'opinion publique renverrait "une forme de gratitude" à l'occasion des élections législatives. J'avais pour mission de gagner ces élections. Elles l'ont été avec une telle marge que le paysage politique a été fixé pour cinq ans. Depuis, le FN a connu des hauts et des bas ; il est aujourd'hui le premier bénéficiaire des échecs du socialisme hollandais. Les efforts intellectuels ont été insuffisants pour riposter aux thèses simplistes et brutales du FN concernant l'Europe, la crise, la mondialisation ou les réfugiés. L'élection de 2017 doit nous donner l'occasion d'opposer au FN une pensée humaniste, ferme, et responsable appliquée à nos deux priorités nationales : l'emploi et le sécurité .

Propos recueillis par Thomas Sila

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