Insoumis
Jean-Luc Mélenchon ou l'allergie à la démocratie libérale ?
Le leader de la France insoumise a su s'imposer en renouveau de la gauche, malgré sa position plus qu'ambiguë sur la démocratie libérale.
Arnaud Benedetti
Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).
Jean Luc Mélenchon a fait beaucoup parler de lui avec sa position sur la Chine et Taiwan. "Taïwan est un sujet tendu depuis la libération de la Chine. Mais, pour les Français depuis 1965 et le général de Gaulle, il n’y a qu’une seule Chine. Elle siège au Conseil de sécurité. Taïwan est une composante à part entière de la Chine". Le début août a aussi été marqué par les accusations d'antisémitisme contre la France insoumise. Que nous apprennent ces évènements de ce qu'est le logiciel politique de Jean Luc Mélenchon ?
Arnaud Benedetti : Tout d’abord il faut éviter de verser dans les manichéismes inhérents aux polémiques politiques. Pour ce qui concerne les propos de Jean-Luc Mélenchon concernant Taïwan , il n’a fait que rappeler sur le fond la position qui est celle de la France depuis le général de Gaulle. Il faut également souligner que très peu de pays ( moins d’une petite vingtaine) reconnaissent Taïwan sur la scène internationale. Par ailleurs il est légitime de s’interroger sur l’opportunité dans le contexte actuel de la visite de Madame Pelosi à Taipei, visite qui y compris dans les cercles du pouvoir à Washington a été diversement appréciée. Alors la vraie question est de savoir pourquoi les déclarations du leader de LFI ont créé cette controverse. Trois paramètres me semblent être à l’origine de cet émoi politico-médiatique : le premier est le soutien explicite, une sorte de baiser de la mort, via Twitter, de l’ambassade de Chine à Paris aux déclarations de l’ancien candidat à la présidentielle; le second est lié à un écosystème du moment, amplement entretenu au demeurant par les cadres de LFI notamment depuis leur progression en sièges au parlement où ces derniers ont manifestement opté pour une stratégie de tension et de sursaturation médiatique qui finit par potentiellement diaboliser toutes les expressions qu’ils peuvent délivrer, y compris lorsque celles-ci, comme c’est le cas avec ce post de Jean-Luc Mélenchon, en viennent à reproduire une position officielle - à moins que le quai d’Orsay ne nous disent qu’il ne s’agit plus de la position française; le troisième enfin est indissociable en effet de toutes les ambiguïtés que peuvent entretenir les insoumis et leur leader sur un certain nombre d’enjeux internationaux mais aussi plus domestiques comme la lutte contre le séparatisme islamiste ou le respect de la laïcité.
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Dans quelle mesure son logiciel politique fait-il primer le collectif et la communauté sur la liberté politique et les droits des individus?
Comment une personnalité hostile à la démocratie libérale a-t-elle réussi à se poser en renouveau de la gauche sociale démocrate ?
Mélenchon construit sa dynamique sur la faillite des dirigeants qui se réclament de la démocratie libérale. Il y a encore une fois un contresens à considérer ces derniers comme des libéraux : ils ne le sont plus vraiment car ils ont vassalisé le libéralisme en tant que philosophie politique à un techno-juridisme comptable et managérial. Jean-Luc Mélenchon s’est imposé à gauche parce que la gauche a été la première naufragée de cette reddition à la globalisation. En substituant les clientèles immigrées aux classes ouvrières et populaires qui avaient constitué leur socle sociologique, les caciques du PS ont opéré un tournant que Jean-Luc Mélenchon ne fait qu’accentuer et poursuivre , quand bien même entend-il reconquérir aussi les secondes qui votent cependant et désormais pour le Rassemblement national. Le terra-novisme fut en France le jeu de clous sur le cercueil de la social-démocratie. Qu’il soit anti-libéral, Mélenchon peut ainsi le revendiquer d’autant plus qu’il a compris que ceux qui devraient se faire les défenseurs du libéralisme ne le défendent plus en réalité, même s’ils prétendent en être les héritiers. Il s’engouffre ainsi dans un terrain laissé à découvert par la gauche qui a délaissé l’un de ses concepts historiques , la patrie, et il peut à satiété dénoncer la droite libérale qui ne l’est plus et qui en outre par son matérialisme à courte vue a totalement oublié que la politique ne se légitime sur la durée qu’en se conformant à ces structures profondes des peuples que constituent les imaginaires. La France n’est pas ordo-libérale dans ses profondeurs et Jean-Luc Mélenchon réactive un imaginaire de gauche qui pour le coup renoue partiellement avec le récit historique de cette dernière, nonobstant l’inaptitude des insoumis à intégrer la question de l’identité nationale dans leur projet.
Jean Luc Mélenchon se réfère souvent au "peuple", un peuple fantasmé. A quel point cherche-t-il à faire le bien du peuple malgré lui ? A quoi est-il prêt politiquement pour cela ?
Il est un tribun ambigu parce que post-moderne . Il n’attache aucune importance au roman national qu’il semble détester ou qu’il réduit à une historiographie fantasmée et déformée. En même temps il a une connaissance profonde des géologies de l’histoire, n’ignorant en rien la force tellurique des peuples, leur permanence également, mais ultra-progressiste il croit sincèrement que l’homme s’invente lui-même et ceci, sans aucune limite. D’où sa détestation de la tradition, son rejet des conservatismes, son ralliement au wokisme motivé aussi par des considérations électoralistes, son trotskisme sociétal qui lui fait embrasser bien des causes communautaires. Il en appelle au peuple certes mais le paradoxe est que son peuple est l’addition de parts de marchés, les minorités actives notamment, comme si ce pourfendeur du capitalisme procédait en usant néanmoins d’une forme de marketing. Mélenchon ira aussi loin dans son expression politique que le porte sa critique d’un système qu’il estime à bout de souffle et dont il juge les contradictions mortifères. Sans doute faut-il penser cette radicalité assumée comme le produit aussi d’une insatisfaction quant à la place qu’il estime lui revenir dans l’histoire dirigeante du pays et qui jusqu’à maintenant lui a échappé. Il y a sans doute chez le leader de LFI comme le sentiment d’un génie contrarié qui à proportion qu’il est contrarié dans son entreprise devient contrariant pour ses adversaires , voire même ses alliés politiques.
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