Jean-Luc Mélenchon a été battu car il n'a pas compris qui sont les classes populaires aujourd'hui<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon en a fait un défi personnel, comme s’il avait voulu prendre sa revanche sur la présidentielle.
Jean-Luc Mélenchon en a fait un défi personnel, comme s’il avait voulu prendre sa revanche sur la présidentielle.
©Reuters

Erreur de diagnostic

Devancé par Marine Le Pen et le socialiste Philippe Kemel, Jean-Luc Mélenchon ne sera pas au second tour des législatives à Hénin-Beaumont. Retour sur un combat personnel qui s'achève sur un échec.

Laurent Bouvet

Laurent Bouvet

Laurent Bouvet est professeur de science politique à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il a publié Le sens du peuple : La gauche, la démocratie, le populisme (2012, Gallimard) et L'insécurité culturelle (2015, Fayard).

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A lire sur ce même thème : Duel des fronts : “Jean-Luc Mélenchon paie les conséquences de trente ans de rupture culturelle entre la gauche et le peuple”

Atlantico: Comme à l'élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon (21,48%) arrive derrière le socialiste Philippe Kemel (23,5%) et Marine Le Pen (42,36%) dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais. Une nouvelle fois, il a perdu son pari de faire revenir l'électorat populaire vers la gauche. Comment expliquez-vous cette défaite et l'importance de l'écart entre les candidats du Front de gauche et du FN ?

Laurent Bouvet : Jean-Luc Mélenchon en a fait un défi personnel, comme s’il avait voulu prendre sa revanche sur la présidentielle. Cela n’était pas une bonne idée compte tenu du fait qu’il n’a pas analysé correctement le résultat du 6 mai. Il a voulu refaire à Hénin-Beaumont ce qu’il avait fait pour la présidentielle à l’échelle nationale à la fois en personnalisant beaucoup le combat et en positionnant sa campagne comme une campagne qui renvoie à une évocation irréaliste, imaginaire du peuple, à l’image de ce qu’il était en 1936. On avait l’impression qu’il avait envie de faire revivre une histoire qui n’existe plus. Il se trompe sur le peuple auquel il entend s’adresser. Sa démarche  est honorable sur le fond, mais il fait une mauvaise analyse de ce que sont les catégories populaires et encore plus de celles qui sont basées à Hénin-Beaumont.

Vous pensez que Jean-Luc Mélenchon s’adresse plus aux "bobos" qu’aux classes populaires ?

Je n’aime pas que l’on parle de bobos car cette expression est très floue en termes sociologiques. Dans les faits,  son discours ne s’adresse pas à l'électorat populaire, mais à une frange beaucoup plus étroite de l’électorat : techniciens supérieurs, cadres moyens, salariés ou ouvriers supérieurs. L'électeur de Mélenchon appartient à la classe moyenne souvent venue du secteur public.  Les électeurs de Mélenchon ne vivent pas les effets de la mondialisation de la même manière que les catégories populaires qui se tournent elles beaucoup plus volontiers vers le Front National.

Sur le plan économique, Jean-Luc Mélenchon tient également un discours très critique sur la mondialisation. En revanche, il a une approche multiculturaliste de la question de l'immigration : droit de vote des étrangers, régularisation de tous les sans-papiers...

Quand Jean-Luc Mélenchon parle de la mondialisation, il y a des éléments qui apparaissent comme intellectuellement attractifs sur la manière de redonner le pouvoir au peuple, mais qui dans les mesures concrètes visent plutôt à renforcer les assurances de ceux qui sont déjà très bien protégés par des acquis sociaux et qui ne vont pas jusqu’à la protection de ce que j’ai appelé « l’insécurité culturelle ».

Le programme de protection du Front de Gauche s’adresse à un électorat déjà protégé sur le plan économico-social et ne propose pas  de protection contre l’immigration. C’est là que tout se joue.Marine Le Pen propose de protéger contre tout ce qu’elle définit comme des «menaces » : la mondialisation, l’Europe, l’immigration, l’Islam, la concurrence au travail et les délocalisations. Elle ferme la frontière à tout.

Pour Jean-Luc Mélenchon, la notion de frontière n’est pas vraiment définie, son idée européenne est encore floue. Par ailleurs, il est pour la régularisation des sans-papiers, pour le droit de vote des étrangers aux élections locales. Il a un discours laïque mais qui accepte les nouvelles conditions culturelles de l’Islam sans dire que le halal par exemple pose problème.

Ainsi on assiste à des positions radicalement opposées : là ou Marine Le Pen s’adresse à des gens  qui ne sont pas protégés et leur propose de les protéger de tout, Jean-Luc Mélenchon s’adresse à des gens qui le sont déjà et leur propose une protection simplement économique car ils ne vivent pas les mêmes insécurités et les mêmes inquiétudes.

Vous évoquiez les termes d'"insécurité culturelle". De quoi s'agit-il exactement ? 

L’insécurité culturelle associe la menace de l’insécurité économique et sociale et l’insécurité physique sur les modes de vies. Cette menace peut être aussi simplement fantasmée. Peu importe que cela soit réel ou non, elle détermine le vote. Il ne suffit pas de considérer les gens comme des « abrutis racistes » parce qu’ils n’ont pas su faire évoluer leur pensée. Il faut comprendre le sens de leurs actes.

Cela explique-t-il le fait que Marine Le Pen arrive en tête au premier tour à Hénin-Beaumont ?

Oui, car ce sont des électeurs qui vivent dans une situation d’insécurité économique et sociale et qui subissent un monde qui bouge et qu’ils ne comprennent plus dans lequel ils voient le 11 septembre, les révolutions arabes, l’immigration d'origine maghrébine. Plus localement, leurs préoccupations peuvent se figer sur une boucherie de viande halal ou un nombre trop important à leur goût de burka dans un quartier. Tous ces facteurs indiquent que ces électeurs vivent dans un monde où ils se sentent menacés par des éléments qu’ils ne maîtrisent pas et sur lesquels les hommes politiques ne veulent pas parler. Ainsi les électeurs de Marine Le Pen l’approuvent en grande partie parce qu’elle dit la réalité telle qu’ils la conçoivent.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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