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Pourquoi la présence accrue de membres de l'Etat islamique en Europe pointée par le chef du renseignement américain pourrait correspondre au retour de djihadistes partis combattre en Syrie
©Reuters

Chair à canon

Le chef américain du renseignement, James Clapper, a récemment déclaré que l'Etat islamique se répand en Europe. Une menace de haut niveau pèserait sur les pays européens.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : James Clapper, chef du renseignement américain, a récemment déclaré que l'Etat islamique (EI) se répand en Europe. L'EI disposerait de cellules terroristes clandestines en Angleterre, en Allemagne et en Italie, similaires aux groupes qui ont attaqué Paris et Bruxelles. Quels sont les éléments dont il dispose pour l'affirmer ? 

Alain Rodier : Il semble que James R. Clapper Jr. se base sur trois sources : les déclarations de Daech qui dit ce qu’il prépare et, malheureusement, dans de nombreux cas, fait ce qu’il a dit ; des interceptions de conversations ou d’échanges mails et enfin sur des déclarations de suspects arrêtés.

Il est fort probable qu’il détienne d’autres renseignements dont il ne veut pas évoquer l’origine pour des raisons de sécurité. Je pense qu’il s’agit de sources européennes car ce sont les services de ces pays qui sont en première ligne et qui peuvent détenir des informations à ce sujet. Cela dit, M. Clapper critique les dysfonctionnements des services et de la justice européenne. Il affirme aussi que les Américains apportent un flot continu de renseignements depuis le début des attentats… vraisemblablement pour combler les "failles" constatées.

Il conviendrait peut-être de sortir de ces querelles de chapelles pour voir quel est l’intérêt commun. Nos amis américains se montrent parfois un peu condescendants mais il est certain qu’ils sont indispensables car, eux, ils ont les moyens… Ne voulant pas polémiquer dans ces temps difficiles où tous les efforts doivent être concentrés sur la protection de nos concitoyens, je ne ferai pas l’historique de la naissance des mouvements islamiques radicaux. En une phrase : nous n’avons pas de leçon de morale à recevoir même si, en sens inverse, il serait de bon ton que nous n’en donnions pas non plus.

Quel est le profil de ces terroristes "en attente" prêts à commettre des attentats dans les trois pays européens cités ? Peut-il s'agir d'individus tout à fait intégrés, vivant à l'européenne, ou plutôt de musulmans radicaux s'assumant comme tels ?

Depuis le début de l’apparition du terrorisme d’origine islamique, il a été tenté de faire un profil "type" du terroriste de cette obédience. Tous les analystes sont parvenus à cette conclusion : il n’en n’existe pas. Par contre, tous les auteurs occidentaux connus des actions terroristes menées en Europe présentaient quelques caractéristiques semblables : relativement jeunes (16/30 ans), ayant un passé lié au banditisme de droit commun et ayant eu des "problèmes" sociétaux.

Cependant, il ne faut pas en tirer des conclusions hâtives. D’abord, le phénomène des returnees semble s’accentuer et parmi ces volontaires partis guerroyer en Syrie et en Irak, on trouve de tout dont des personnes ayant un bon niveau d’études et parfaitement intégrées dans la société (si ce critère signifie qu’ils avaient un travail et une famille).

De plus, ils peuvent être accompagnés d’activistes étrangers qui viennent leur apporter de la "chair à canon" supplémentaire.

Ce qui est très inquiétant, c’est que le salafisme progresse dans les communautés musulmanes européennes. Bien que certains prétendent que la doctrine salafiste peut être "pacifique" (le "quiétisme"), il n’en reste pas moins que cette vision de l’islam est celle que revendique haut et fort Daech. Pour information, si les volontaires étrangers ne sont pas très calés en islam, ce n’est pas le cas des dirigeants du mouvement qui ont étudié les textes sacrés dans le détail. D’ailleurs, ils y font systématiquement référence dans toutes leurs déclarations et leur propagande. Il suffit de lire la dernière parution de son vecteur de propagande en français, Dar Al Islam n°9 tombé le 26 avril. Les références aux textes religieux de base sont nombreuses.

Il est donc aisé pour les activistes d’aller recruter de nouveaux adeptes dans ce vivier salafiste dont la masse est de plus en plus importante. Il semble que le flot de réfugiés constitue aussi un"cheptel" intéressant car on y trouve beaucoup de "déçus de l’exil". Des recruteurs auraient été repérés dans divers centres de regroupement.

Pour quelles raisons ces trois pays pourraient-ils constituer des cibles privilégiées pour l'EI ? Sont-ils désormais plus menacés que d'autres ? Pourquoi ?

Tous les pays européens sont visés. James Clapper n’a pas évoqué la Suède alors qu’une menace de haut niveau pèserait sur ce pays.Dans le Dar Al Islam n°9 évoquée précédemment, Daech appelle a frapper des autorités religieuses musulmanes en France. Pour les autres, le fait de participer à la lutte contre le terrorisme est, certes important, mais il n’est pas fondamental. Ce sont surtout des États"impies" qu’il faudra un jour conquérir. Pour l’instant, l’objectif est de pousser les populations dans la crainte en menant des opérations terroristes de grande envergure. Le temps de la conquête n’est pas encore venu.

Daech, comme Al-Qaida "canal historique", se battent d’abord en terres musulmanes pour chasser les dirigeants "apostats" et y établir le salafisme. Les fronts sont multiples et ardus. Les pertes y sont élevées, surtout au sein des populations civiles. Les attentats en Occident ne sont considérés que comme des objectifs secondaires destinés à tenter de desserrer l’étau qui pèse sur les fronts prioritaires : la Syrie et l’Irak, l’Egypte, l’Afghanistan, le Pakistan, la Somalie, le Yémen, le Nigeria, la Libye et plus globalement le Maghreb et le Sahel. Le Liban et la Jordanie sont aussi des pays visés prioritairement mais actuellement trop bien défendus.

Viennent ensuite des seconds objectifs : le Caucase, l’Extrême-Orient (où un malheureux otage canadien vient de se faire décapiter par le groupe Abou Sayyaf), le Bangladesh ou des activistes gay ont été assassinés par Al-Qaida "canal historique" via sa branche Al-Qaida dans le Sous-Continent Indien et des bloggers par Daech…

La menace d’attentat est donc grande en Europe et aux États-Unis, mais, elle n’arrive qu’en troisième priorité pour les salafistes-djihadistes. Elle n’est pas réellement vitale pour les sociétés occidentales même si des pertes en vies humaines sont à craindre car elle ne menace pas directement le fonctionnement des États, ce qui n’est pas le cas dans les pays précédemment cités.

Enfin, le fait que le départ vers le berceau syro-irakien soit de plus en plus difficile risque de pousser des aspirants au djihad à passer à l'action sur place comme cela a souvent été le cas par le passé aux États-Unis et au Canada. A noter que, selon Washington, le nombre de volontaires étrangers rejoignant aujourd'hui le califat aurait diminué de 90%, chiffre vraisemblablement un peu exagéré (cela fait partie de la guerre psychologique) mais la tendance est bien réelle. Elle a été engagée en 2015. 

Il convient donc de ne pas baisser la garde mais aussi de se garder de toute panique. La vigilance et la résilience doivent être les règles à suivre.

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