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Iran, Irak et le reste : les marchés financiers ou les progrès de la myopie
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Vent de panique ?

La crise entre l'Iran et les Etats-Unis après la mort du général Soleimani laissait craindre un emballement des marchés financiers. Jean-Paul Betbeze revient sur le contexte financier et économique lié à la tension entre les deux nations.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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1 – Tous aux abris : évidemment, les marchés financiers ont été surpris, c’est le moins qu’on peut dire, par l’élimination en Irak, le 3 janvier, par les États-Unis du Général Soleimani, haut responsable des forces iraniennes hors des frontières du pays. Immédiatement après, le prix du baril de pétrole (brent) monte de 66 à 69,6$ : c’est la peur de l’escalade, des deux côtés du détroit d’Ormuz. Les taux longs américains baissent de 1,91 à  1,81% : c’est la recherche d’un lieu sûr. Le Dow Jones baisse de 28 600 à 28 450 : c’est la crainte du ralentissement. Tout ceci dure quelques heures, en attendant que se « formule » la riposte iranienne. C’est alors l’assaut de communiqués de part et d’autre, avec de multiples scénarios envisagés côté iranien contre les États-Unis et, côté américain, près de 50 cibles (économiques ou culturelles) projetées contre l’Iran.

2 – Soleimani vengé ? Puis deux bases américaines sont visées, tandis que le Parlement irakien demande au gouvernement (démissionnaire) irakien de faire partir du pays les troupes américaines. On ne sait pas si les troupes s’en iront : elles pourraient au contraire être plus nombreuses, si les États-Unis le décident. On sait qu’il n’y a pas eu de victimes américaines : un miracle aidé par un avertissement iranien selon les uns, par des prouesses d’ « intelligence », selon d’autres… Très vite, le Président Trump semble serein («All is well! Missiles launched from Iran at two military bases located in Iraq. Assessment of casualties & damages taking place now. So far, so good! », 8 janvier). Mais pas le « guide suprême » iranien. Il estime que « les actions militaires du genre n'étaient pas suffisantes » et attend que « la présence corrompue des Etats-Unis dans la région cesse ». Le chef de la diplomatie, Mohammad Javad Zarif est bien plus modéré, disant que la république islamique ne cherchait pas « l'escalade ou la guerre ». Pour lui, les représailles « proportionnées » de la nuit étaient « terminées ». 

3 - Nouvel équilibre ? Sans être sur place, ni spécialistes, les marchés financiers (comme nous), se disent alors qu’un nouvel équilibre est peut-être atteint, chacun ayant montré l’efficacité et la précision de ses armes. Alors le pétrole repasse à 65$ le baril de brent, le niveau de mi-décembre. Le Dow Jones remonte à 28 830, plus haut que jamais, et le dix ans américain à 1,8%, presque comme avant. Tout cela pour rien, ou pour ces deux actes de « guerre contrôlée » ? Pas vraiment, car on ne voit pas encore comment les rapports de force dans la région sont modifiés en faveur de l’Iran et en défaveur des États-Unis. L’Iran va pouvoir exporter plus de pétrole vers la Chine (bien plus qu’autorisé) et renforcer son emprise et ses alliances régionales. En même temps, le ressentiment social contre les autorités iraniennes s’apaise et peut se détourner plus contre les États-Unis. 

4 – L’or se calme de nouveau : après un saut à 1 575$ l’once le 6 janvier contre 1 477 auparavant, il repasse vers 1 547$. Israël, pourtant en première ligne, ne semble pas (pour l’heure) inquiété : sa bourse « tient ». L’Arabie saoudite paraît en revanche plus exposée par l’intermédiaire de sa société pétrolière Aramco : introduite à 32 riyals le 11 décembre, elle grimpe (semi-spontanément) à 38 le 16, puis revient à 35. Après une capitalisation qui a culminé à 2 000 milliards de dollars, la voilà à 1 800, tandis que les autres valeurs boursières grimpent partout ailleurs.

5 – Et après : revirement incroyable ! Le Boeing 737 s’écrase près de Téhéran, atteint par un missile iranien, change la donne. Il fait grimper à nouveau les réactions hostiles aux autorités et… « ajoute » du calme financier. Le Dow Jones monte vers 29 000 et le brent baisse vars 64$ le baril. C’est presque mieux qu’avant !

6 – Et ici ? L’Allemagne a plus joué son rôle de refuge pour l’épargne que la France avec un taux à 10 ans qui chute à -0,3 puis revient à -0,2% : il faut toujours payer pour prêter à l’Allemagne, mais moins. Les taux français restent positifs, à 0,09% et la bourse française reste bien orientée, grâce au luxe.

Bref, pour les marchés financiers, ce qui s’est passé ces derniers jours est simple : il y a eu une hausse inquiète du pétrole, cette inquiétude a fait acheter les valeurs sûres, le bon du trésor américain et le dollar. Puis les représailles iraniennes paraissent maîtrisées et un certain calme semble revenir entre belligérants. Puis la destruction de l’avion ukrainien par l’Iran affaiblit l’Iran ! Puis l’économie américaine est toujours en bonne forme, comme le montre l’emploi. Les États-Unis se préparent même à signer un début de protocole d’accord avec la Chine. L’instabilité s’oublie, la question de l’influence américaine dans la région ne semble pas un problème. Donald Trump devient un maître des attaques ciblées, et chanceux ! On range les références historiques, notamment l’assassinat de Sarajevo et l’engrenage qui mena à la première guerre mondiale. 

Et voilà que les États-Unis avancent de nouvelles sanctions contre l’Iran, des sociétés (acier notamment) et diverses personnalités. Et ils ne semblent pas prêts à quitter l’Irak. Les marchés ont eu très peur, puis passent à autre chose : la croissance américaine, l’emploi, l’inflation. C’est plus simple : leur perspicacité stratégique fait plaisir à voir.

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