Iran : ce que réserve la vraie fausse élection comme président du féroce Ebrahim Raïssi<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme tient une photo du président iranien élu Ebrahim Raïssi alors que ses partisans célèbrent sa victoire place Imam Hussein dans la capitale Téhéran le 19 juin 2021.
Une femme tient une photo du président iranien élu Ebrahim Raïssi alors que ses partisans célèbrent sa victoire place Imam Hussein dans la capitale Téhéran le 19 juin 2021.
©ATTA KENARE / AFP

Scrutin joué d'avance ?

L’ultraconservateur Ebrahim Raïssi a été élu le samedi 19 juin dans le cadre de l'élection présidentielle en Iran. Les candidatures des prin­cipales figures réformatrices du pays avaient été invalidées en amont par le Conseil des gardiens de la Constitution.

Clément Therme

Clément Therme

Clément Therme est chercheur associé à l'Institut universitaire européen de Florence. Il a notamment dirigé l’ouvrage L'Iran et ses rivaux. Entre nation et révolution aux éditions Passés composés (2020).

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Atlantico : L’élection de vendredi a, comme prévu, consacré la victoire de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi. Pourquoi cette élection était-elle à ce point jouée d’avance ?

Clément Therme : Il s'agit de la mutation du responsable du pouvoir judiciaire Ebrahim Raïssi vers la présidence de la République islamique. Il ne s'agit plus seulement d'une sélection, terme habituellement utilisé pour qualifier "les élections" en République islamique, mais d'une nomination directe par le Guide suprême, véritable chef de l'Etat. 

Selon Le Monde, les sondages donnaient une abstention de 57 %. Qu’en est-il réellement ? Que signifie ce chiffre ?

Il y a un débat sur la nécessité pour la légitimité du processus électoral de limiter l’ampleur de l’abstention. Chaque faction défend une participation massive et les critiques des réformistes et des modérés contre la « sélection » du Conseil des Gardiens qui ont assumé le fait de présenter une « sélection » favorisant l’abstention, se fonde sur l'héritage idéologique khomeyniste : le fondateur de la République islamique appelait lors des premières années de la Révolution à une participation massive lors des premières élections. Cette acceptation d’un faible taux de participation signifie-t-elle pour autant la fin du réformisme ou leur rejet hors du système (nezam) tout en préservant la possibilité d’une alternance de cycles ouverture limitée – fermeture de la République islamique ? La décision d’appeler au boycott des élections par une partie des réformateurs s'explique par leur refus d'accepter la sélection des « ingénieurs électoraux » (le Conseil des Gardiens de la Constitution). L'ingénierie électorale, dans le discours politique iranien, crée les conditions pour que les électeurs votent uniquement pour le candidat préféré par le Guide. Il s’agit de s’assurer que le résultat de l'élection puisse être autant que faire se peut déterminé avant le vote ce qui a bien fonctionné avec l'élimination en amont des potentiels rivaux de Raïssi. 

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Le taux de participation évoqué par les chiffres officiels est de l'ordre de 48%. D’autres sources mentionnent à partir d’un sondage indépendant, une participation réelle de l’ordre de 18,2% (Voir ce sondage). Selon cette enquête, 75,5% des électeurs affirment de pas avoir l’intention de voter et 6,4% hésitent à aller voter. Cette abstention record s’explique notamment par la faillite du modèle économique proposé par les modérés qui vise à intégrer la République islamique au sein de la globalisation économique et au respect des règles financières internationales (Convention de Palerme et celle de la lutte contre le terrorisme, règlement du GAFI). Ce projet semble impossible à réaliser dans le cadre d'un régime politique révolutionnaire qui n'est pas prêt à une refonte politique pour permettre une amélioration économique. Autrement dit l'électorat a préféré s'abstenir ou voter nul ou blanc (16% des votes selon les chiffres officiels) plutôt que de cautionner un débat présidentiel qui traite des symptomes dont souffrent l'Iran mais pas des causes expliquant la situation économique du pays à savoir la politique étrangèren de la République islamique et son l'hostilité institutionnalisée vis-à-vis de Washington. 

Quels sont les autres éléments notables de cette élection ? 

Le schéma qui détermine depuis les années 1990 le vote d’une partie significative de l’électorat iranien est celui d’un choix entre le mauvais et le pire (bad-o badtar). Du point de vue de l’électeur iranien mécontent, cela signifie que pour éviter que la situation du pays se détériore plus encore, il n’a pas d'autre choix que de venir voter pour le moins mauvais. Cela n'a pas fonctionné à cette élection en raison de la prise de conscience de la majorité de l'électorat de la faiblesse de la fonction de président de la République islamique. Sur le plan international, cette stratégie du « modéré » et du « conservateur » vise à répondre à la politique de la carotte et du bâton de l’Occident. Lors des négociations internationales, le gouvernement « modéré » qui ne détient pas la réalité du pouvoir à Téhéran peut faire valoir à ces interlocuteurs occidentaux l’impérieuse nécessité pour les intérêts de son pays de traiter avec sa faction ; sinon le négociateur iranien modéré exerce une forme de chantage sur son interlocuteur occidental indiquant qu’en cas d’échec diplomatique cela favoriserait le retour des plus conservateurs (osulgarayan, principalistes) au pouvoir. Le piège modéré se referme ainsi sur la stratégie de la carotte et du bâton occidentale tout en divisant le camp ennemi (doshman) et ce de plusieurs manières : en jouant Bruxelles contre Washington d’abord ce qui fonctionne désormais très mal du fait de l’extraterritorialité des sanctions économiques unilatérales américaines mais qui était le cœur cette stratégie dans les années 1990 jusqu’en 2005 ; ensuite il s’agit de diviser les de chancelleries occidentales entre partisans du dialogue avec la République islamique, une puissance régionale incontournable, et les soutiens occidentaux de la ligne dure contre Téhéran.
Cette élection marque la fin de cette alternance factice entre "modérés" et "conservateurs". C'est désormais l’alliance pasdaran - président qui sera au plus haut comme lors du premier mandat d’Ahmadinejad (2005-2009) avec une répression massive et une ligne dure sur les droits humains, le programme balistique et le dossier nucléaire. Ce sont donc les préférences stratégiques des pasdaran qui s’imposeront à l'agenda  présidentiel du fait de la certitude du système (nezam) selon laquelle l’économie iranienne ne peut plus dépendre à ce point des changements d’administrations à Washington. C’est donc la fin de l’intérêt économique de l’alternance conservateurs – modérés pour le régime.

Que signifie la victoire d’Ebrahim Raïssi pour l’Iran ? et pour la communauté internationale ?

Cette clarification autoritaire du régime iranien conduira probablement au rapprochement entre Bruxelles et Washington tant les perspectives d’une relance des relations économiques entre les entreprises européennes et l'Iran s'éloignent encore. Cependant, même si un accord est trouvé à Vienne sur le nucléaire dans les prochaines semaines, il est peu probable que l'on assiste à un retour au statu quo ante d’avant 2018 et le retrait de Washington de l'Accord sur le nucléaire. En effet, le système (nezam) ne miserait probablement pas à nouveau sur un rapprochement économique avec les Etats européens du fait de leur dépendance stratégique vis-à-vis des Etats-Unis ou du fait de l’indépendance des décisions d’affaires du secteur privé européen. Le système iranien va donc durablement inscrire sa stratégie économique dans l’orientation vers l’Est (Chine et Russie notamment) sur le plan international et dans l’insertion au sein de ses réseaux informels au niveau régional. Ces nouvelles perspectives économiques de la République islamique rendent la possibilité d’un retour de la diplomatie économique européenne improbable. La dimension pro-russe et pro-chinoise voulue par les pasdaran s’imposera donc au nouveau président. 

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