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Interdiction des signes religieux ostensibles à l’Assemblée : la laïcité avait-elle vraiment besoin de ce mauvais coup porté à la liberté d’expression ?
©REUTERS/Jacky Naegelen

Dress code

Le Bureau de l'Assemblée nationale a modifié ce mercredi 24 janvier son "instruction générale" et prohibe dorénavant le port de tout signe religieux "ostensible".

Atlantico : Ce mercredi, le Bureau de l'Assemblée nationale a modifié son "instruction générale" et impose désormais le port d'une tenue "neutre" aux députés qui doit s'apparenter "à une tenue de ville". Il est ainsi notamment prohibé dorénavant le "port de tout signe religieux ostensible". Comment expliquer cette décision et le fait qu'elle englobe les symboles religieux ostensibles ?

Frédéric Rouvillois : Au fond la situation me paraît assez cocasse et manifeste une espèce de retournement ou une maladresse initiale. Une grande partie du problème vient d'une décision récente prise par le Bureau le 19 juillet 2017 qui avait été décidée sur un rapport du président (François de Rugy).  La décision stipulait que désormais il n'y avait plus lieu d'obliger les hommes, comme c'était le cas jusqu'alors, au port d'une veste et d'une cravate dans l'hémicycle. L'argument étant qu'aucune disposition réglementaire ne fixe la tenue des députés. Le résultat on le connait : les Insoumis qui font la photo de groupe sans cravates et François Ruffin qui vient avec un maillot de football.

Machine arrière donc maintenant, d'où l'obligation d'adopter une tenue "neutre" qui s'apparente à une "tenue de ville". Mais qu'est-ce qu'une tenue "neutre" qui s'apparente à une "tenue de ville"?  Le règlement de l'Assemblée nationale n'est pas plus disert sur la question.

La décision de 2017 pouvait donc poser de sérieux problèmes et cela remettait en cause le vieux principe selon lequel l'expression dans l'hémicycle est une expression orale qui ne doit pas se faire par le truchement d'objets, symboles, pancartes ou autres.

Sur les symboles religieux le texte dit prohiber le "port de tout signe religieux ostensible". Là encore on retombe dans des problématiques qui sont assez classiques mais qui suscitent des questions. D'abord qu'est-ce qu'un signe religieux ostensible ? Une dame qui porte une croix ou une médaille de baptême à son cou porte-t-elle un signe religieux ostensible ? Deuxième question : qu'est-ce qu'un signe religieux et qu'est-ce qu'un signe religieux dès lors que le politique et le religieux sont étroitement liés ? Est-ce qu'une croix de Lorraine à la boutonnière est un signe religieux ou politique ?

Est-ce que quelqu'un appartement à un mouvement explicitement chrétien-démocrate serait susceptible de faire l'objet de mesures particulières s'il lui arrivait de porter un signe qui serait considéré comme étant "à cheval" entre le politique et le religieux ?

Et au-delà, je pense au roman de Houellebecq "Soumission" que se passera-t-il lorsque l'on aura des démocrates-islamistes ou des républicains-islamistes qui viendront éventuellement avec un croissant à la boutonnière ? Est-ce que ce sera politique ou religieux ?

Dernier problème, ce qui est inquiétant c'est la généralité de la phrase. "La tenue", nous dit-on, "ne saurait être prétexte à l'expression d'une quelconque opinion". La phrase suivante : "…Est ainsi notamment prohibé le port de tout signe religieux…". Il est inquiétant que l'on puisse considérer que tel ou telle vêtement, est autorisé ou interdit. J'extrapole mais les systèmes politiques qui s'intéressent de près aux vêtements sont très souvent les systèmes totalitaires. Méfions-nous de toute volonté de réglementer, d'interdire ou de contraindre au port de certains types de vêtements.

Au total, en tant qu'observateur et conservateur, je dirais qu'au fond préciser dans le règlement de l'Assemblée nationale qu'une "tenue décente" était exigée me semblait suffisant.

Et qu'en est-il de la liberté d'expression surtout considérant que les vêtements religieux ont déjà jonché les travers de l'Assemblée nationale ?  Est-ce que cela trahit une peur du religieux ?

Ils n'ont certainement pas peur de cela et qu'est-ce que ça changerait au fond que quelqu'un vienne avec un signe religieux à la boutonnière ? Les signes religieux ont pu être arborés dans l'hémicycle, d'autant plus que des ecclésiastiques peuvent tout à fait être élus à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Allons-nous interdire à un prêtre de venir avec un col romain ou une croix à la boutonnière ?

Cela me paraît peu évident et surtout incompatible avec le principe de la liberté d'expression qui a une valeur juridique plus élevée que les instructions du Bureau de l'Assemblée nationale.

Au final est-ce que la laïcité ne pourrait pas survivre sans cette nouvelle disposition ?

La laïcité pourrait survivre sans cela. Clairement. Le problème, qui est toujours le même, c'est que l'on pousse de grands cris au nom de la laïcité alors que la laïcité on a du mal à la définir. Est-ce que la "bonne" laïcité est celle de Marlène Schiappa, c’est-à-dire quelque chose d'extrêmement rigide et contraignant ou est-ce la "laïcité positive" de Nicolas Sarkozy lors du discours du Latran selon laquelle le port d'un signe religieux ne semble poser aucun problème sérieux…

Il n'y a pas une laïcité mais des laïcités. On le sait très bien. En conséquence, je pense que sur l'ensemble de ces questions, il faut conserver une certaine mesure et l'idée de la décence à conserver est la seule exigence sérieuse que l'on puisse demander aux parlementaires.

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