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Injustice fiscale : pourquoi il est urgent de mettre à jour les traités fondateurs de la fiscalité internationale
©LUDOVIC MARIN / AFP

Taxe sur les multinationales

L’harmonisation des taux de l’impôt sur les sociétés et du mode de calcul du bénéfice imposable sera difficile. Mais pas impossible.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : En quoi l’évolution de l’économie mondiale, et l’importance prise par les géants du numérique, devrait-elle engendrer une refonte des principes de la fiscalité internationale ?

Jacques Bichot : Deux grandes évolutions relatives aux échanges ont marqué les dernières décennies, et sont encore en cours : 
- premièrement, l’accroissement massif des échanges internationaux, lié à la diminution des coûts de transport des marchandises et des informations, ainsi qu’à la rapidité. Les câbles transatlantiques permettent de transmettre des quantités incroyables d’information entre Londres et New-York de façon quasiment instantanée. Et 90 000 navires de commerce, parmi lesquels les géants des mers sont de plus en plus nombreux, transportent chaque année plus de dix milliards de tonnes de marchandises – en émettant d’ailleurs des quantités de gaz carbonique et de polluants qui rendent assez ridicule la concentration sur les automobiles des efforts de réduction de telles émissions.
- deuxièmement, l’existence de grandes sociétés qui sont planétaires, et non plus nationales. Si les raisonnements d’Adam Smith sur les avantages de la division internationale du travail sont toujours valables, en revanche il n’envisageait pas les sociétés multinationales qui dominent certains secteurs, par exemple les GAFA pour certaines applications de l’informatique.
La fiscalité des entreprises a été conçue pour des organismes nationaux, produisant très majoritairement dans leur propre pays, et exportant plus ou moins dans le reste du monde. L’avènement des multinationales fait échapper les très grandes entreprises à cette limitation : certaines d’entre elles peuvent assez rapidement modifier la localisation de leurs centres de fabrication et de profit (qui peuvent différer). Il n’a fallu que quelques années aux deux groupes automobiles français pour passer du « made in France » au « made somewhere in the world ». Les Etats ne peuvent plus empêcher les multinationales de faire apparaître leurs bénéfices prioritairement dans les pays où les salaires sont modestes ou la fiscalité des sociétés accommodante. 
Songeons au commerce maritime : pourquoi le Panama, dont on parle ces jours-ci parce que les jeunes y affluent du monde entier pour les JMJ, immatricule-t-il 20 % de la capacité mondiale de transport maritime ? Parce que la fiscalité y est aussi douce que les exigences en toutes sortes de domaines, y compris la sécurité, qui ont une influence notable sur le coût du transport. Pourquoi les Îles Marschall, peuplées d’environ 50 000 habitants, accordent-elles leur pavillon à des navires qui transportent 10 % du tonnage mondial de marchandises, soit 20 00O tonnes de marchandises par an et par habitant ?
Les règles fiscales internationales devraient évidemment être profondément modifiées pour rendre impossible cette concurrence fiscale déloyale. Mais quand on songe qu’à l’intérieur même de l’Union européenne il n’y a pas d’uniformisation de la fiscalité des sociétés, on peut douter de la possibilité de faire de grands progrès au niveau mondial. Quant à la probabilité de progresser en Europe, il est permis de s’interroger : l’UE a confié la direction de la Commission européenne à un homme qui était le chef d’un Etat-membre dont la richesse (la plus forte de l’UE par tête d’habitant) tient pour une bonne part à son attractivité fiscale pour les grandes entreprises.
Il y a donc un énorme besoin d’unification de la fiscalité des sociétés au niveau mondial, et subsidiairement au niveau européen, mais hélas la probabilité d’une réponse vraiment efficace apportée à ce besoin est modeste au niveau européen et microscopique au niveau mondial.

Quels seraient les moyens de parvenir à une certaine forme d’équité fiscale pour les entreprises ?

Il existe un organisme international, l’OMC (Organisation mondiale du commerce) dont la vocation est de s’attaquer aux problèmes du genre de ceux qui viennent d’être évoqués. Héla, l’OMC n’a pas le pouvoir de contraindre les Etats. Les trois qui ont été « épinglés » ci-dessus, le Panama, les Îles Marschall et le Luxembourg, ne sont pas de grandes puissances, et pourtant ils continuent sans être autrement inquiétés. Alors qui va prendre le risque de demander à la Chine et aux Etats-Unis de, par exemple, s’aligner sur un mode de calcul et un barème d’impôt sur les sociétés destiné à devenir la norme mondiale ? 
L’impôt sur les sociétés n’est pas seul en cause. Les droits de douane sont également très importants, et ils méritent une analyse spécifique. En effet, il n’est bon pour aucun pays d’être fortement excédentaire, ou lourdement déficitaire : la première situation conduit à accumuler des créances sur le reste du monde qui, dès lors qu’elles dépassent les capacités de redressement des pays déficitaires, deviennent de moins en moins recouvrables. Accumuler des créances de ce type est se conduire comme le Businessman du Petit Prince, qui se croit riche parce qu’il a inscrit sur un carnet toutes sortes d’étoiles qu’il dit posséder. L’humour d’Antoine de Saint-Exupéry nous en apprend plus en quelques mots et un dessin qu’un gros traité de commerce international !  Les Etats, et les hommes, auraient avantage à ne pas accumules des dettes et créances notoirement irrecouvrables. Et dans ce but, il serait logique de se mettre d’accord sur des droits de douane élevés prélevés par les pays trop importateurs, et des droits modestes quand le pays importateur est en fort excédent de sa balance des paiements. 

Un telle refonte est-elle imaginable, ou une telle réforme n’est-elle qu’une illusion au regard des rapports de force actuels ?

Il a été indiqué plus haut que progresser sera difficile pour l’harmonisation des taux de l’impôt sur les sociétés et du mode de calcul du bénéfice imposable. Ce le sera aussi en ce qui concerne l’adoption d’un ajustement des droits de douane en fonction de la situation des échanges extérieurs de chaque pays. Ce sont des domaines où il faut songer au dicton « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».
Les enjeux sont colossaux, et les difficultés à surmonter sont gigantesques. Mais nous pourrions commencer par donner l’exemple en Europe, l’UE constituant un cadre à l’intérieur duquel les chances de succès seraient, non pas très grandes, mais pas non plus infinitésimales comme au niveau mondial. 
L’humanité fait de plus en plus un tout, et il va falloir adapter nos règles de « vivre-ensemble ». De même que l’accueil de l’étranger ne peut pas s’effectuer de la même manière quand il s’agit de millions de personnes que lorsqu’il s’agissait de cas particuliers, de même les règles relatives aux échanges internationaux doivent être adaptées à la croissance formidable de ces échanges. Il y a, comme on dit, du pain sur la planche ! 

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