Indemnité de représentation des parents d'élèves : la "proposition suspecte de clientélisme et de formatage" de Najat Vallaud-Belkacem<!-- --> | Atlantico.fr
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Najat Vallaud-Belkacem veut élargir le droit aux indemnités pour les parents d'élèves qui siègent dans les instances départementales, académiques, et au sein du conseil supérieur de l’éducation.
Najat Vallaud-Belkacem veut élargir le droit aux indemnités pour les parents d'élèves qui siègent dans les instances départementales, académiques, et au sein du conseil supérieur de l’éducation.
©Reuters

Tableau noir

La députée Les Républicains du Doubs, Annie Genevard, dénonce une professionnalisation de la relation entre parents d'élèves et représentants de l'Education nationale suite à la proposition par la ministre de l'Education nationale d'élargir l'indemnité allouée à une partie des représentants des parents d'élèves.

Annie Genevard

Annie Genevard

Annie Genevard est députée Les Républicains du Doubs. 

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Mardi 15 décembre, Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’Education nationale, a annoncé la volonté du gouvernement d'élargir le "congé de représentation"  à la rentrée scolaire 2016. Il s'agit d'ajouter au versement d'une indemnité de 7,10 euros de l'heure passée en réunion une autre indemnité, équivalente à "entre 10 et 15% de la réunion" pour dédommager son temps de préparation. Limité à neuf jours par an, ce "congé" ne concerne que les salariés du privé. 

Atlantico : Le projet porté par Najat Vallaud-Belkacem élargit ce droit aux personnes inactives, au chômage et indépendantes (artisans, professions libérales…). Vous dénoncez un clientélisme de la part du gouvernement, pourquoi ?

Annie Genevard: Le principe même de l'engagement des parents dans les fédérations de parents d'élèves, dans les instances dans lesquelles ils ont une voix, était généralement fondé sur le volontariat et sur le désintéressement. Dès lors que l'on passe à une formule rémunérée pour la préparation et la participation à ces réunions, il y a une forme, presque, de professionnalisation d'une fonction, jusqu'alors guidée par l'intérêt pour la chose éducative. Pour moi, introduire une relation d'argent revient à biaiser les choses.

Je pense que cette proposition est suspecte de clientélisme et de formatage. Les parents doivent conserver un regard libre de toute emprise politique ou idéologique et cela ne peut pas devenir un satellite du ministère de l'Education. (…) On n'a pas besoin de professionnels. Les parents ont à avoir un regard sur l'école qui n'est pas celui des professionnels et qui n'est pas celui des politiques.

Ceci dit, il s'agit d'une indemnité susceptible de concerner au maximum les 907 parents qui siègent dans les instances départementales, académiques, et au sein du conseil supérieur de l’éducation; et non les 292 129 parents participants aux conseils d'école du primaire, en collège et en lycée…

Tout à fait, la rémunération concerne cette partie des parents, qui sont dans les instances académiques, départementales et régionales, mais le droit à la formation concerne presque 300 000 personnes, cela n'est pas rien. D'après ce que l'on sait, cette formation fera l'objet d'un accord avec les entreprises qui s'engagerait volontairement à libérer leurs salariés pour suivre la formation. Mais on ne connaît pas les modalités de cette formation.

C'est quand même quelque chose qui peut être exigé par un salarié dès lors que le droit est créé. Je pense que les entreprises ont d'autres soucis à gérer, d'autres priorités. Cela rajoute encore des contraintes pour les entreprises, qui n'en peuvent plus des normes et des contraintes. Quand les choses se font de gré à gré il n'est pas toujours nécessaire que l'intervention publique codifie les choses, parce que dès lors qu'on les codifie on créé un droit, et de possibles revendications dans des champs qui ne sont pas spécifiquement celui de l'entreprise.

Le coût de cette mesure est estimé à  500 000 euros pour l'Etat. Vous jugez cette dépense peu à propos. Dans le champ de l'éducation, à quoi aurait-il mieux valu allouer cette somme selon vous? Concrètement, où ce demi-million devrait-il aller ?

Il y a quantités de choses… Le ministère de l'Education devrait concentrer ses efforts financiers sur la remédiation en matière d'apprentissage de la lecture par exemple. On sait qu'un enfant qui n'arrive pas à apprendre à lire a besoin quasiment d'une remédiation individualisée. Aujourd'hui, on a médicalisé à outrance le problème de l'illettrisme. Quand on ne sait pas lire c'est qu'on est dyslexique. Or, des expériences ont montré que 35 heures en face à face  avec un enfant suffisent à remédier à ses problèmes de lecture.

Faire de la politique c'est faire des choix et imprimer des priorités. Je trouve qu'il y a là quelque chose qui relève de l'écran de fumée, du gadget, alors qu'il y a tellement de problèmes à régler aujourd'hui dans l'Education nationale !

Dès lors, que pourrait-on régler grâce à cette enveloppe de 500 000 euros ?

On ne la règlera pas avec cette enveloppe de 500 000 euros mais je pense que dans les priorités, franchement, celle-là n'en était pas une. (…)  Ces sommes peuvent aller vers d'autres priorités: la remédiation à l'apprentissage de la lecture, la sécurité dans les établissements scolaires… en somme aux grandes questions qui aujourd'hui concernent l'école. On sait bien aujourd'hui que les élèves sont en panne d'apprentissage des savoirs fondamentaux, que l'école n'est plus un lieu de sécurité (je pense à la question du harcèlement), etc. De petites opérations pas très coûteuses contre ce harcèlement peuvent être mises en place, et seront extrêmement utiles, comme par exemple faire jouer des petites pièces de théâtre aux élèves dans lesquelles ils se placent tour à tour dans la situation du harceleur, du harcelé et du témoin.

Le gouvernement prône la mise en place de formations en ligne à proposer aux parents qui siègent dans des conseils d'école du primaire, en collège et en lycée. Ces parents éprouvent-il des difficultés pour se faire entendre et que proposez-vous ?

On fait face à un enjeu d'expression libre y compris au sein des générations de parents d'élèves qui, si on ne les entend pas convenablement, peuvent exprimer. On l'a vu lors des élections à la FCPE où la base s'est rebellée contre ses représentants.

(…) Mais la mise en place d'une formation pose question. C'est quand même quelque chose qui peut être exigé par un salarié dès lors que le droit est créé. Je pense que les entreprises ont d'autres soucis à gérer, d'autres priorités. Cela rajoute encore des contraintes pour les entreprises, qui n'en peuvent plus des normes et des contraintes. Quand les choses se font de gré à gré il n'est pas toujours nécessaire que l'intervention publique codifie les choses, parce que dès lors qu'on les codifie on créé un droit, et de possibles revendications dans des champs qui ne sont pas spécifiquement celui de l'entreprise.

Dans cette formation, je vois un risque de formatage. Or, la voix des parents est précieuse parce qu'elle est libre. Dès lors que l'on rémunère les parents, on créé une sorte d'obligation et je pense que ce n'est pas la bonne voie, c'est ce que j'ai voulu exprimer en employant le mot "clientélisme".

(…)J'ai assisté à quelques réunions académiques, et la voix qui se fait le plus entendre c'est celle des syndicats, plus que des fédérations de parents d'élèves. Je pense que ces dernières doivent prendre toute leur place, affranchies des postures des uns et des autres.

Le gouvernement a annoncé la création de 6 639 créations de postes d’enseignants (établissements primaires, collèges et lycées confondus) pour la rentrée 2016, qu'en pensez-vous ?

Le gouvernement a choisi de répondre aux défis posés à l'école par le quantitatif. On le voit bien puisque le nombre d'élèves n'augmente pas et le nombre de professeurs augmente. C'est une option que nous contestons chez les Républicains.

Dès lors, que proposeriez-vous si vous étiez au gouvernement ?

Il y a des réformes vraiment en profondeur à conduire. (…) Il faut une mise en responsabilité des équipes pédagogiques au sein des établissements, sous la houlette des chefs d'établissements qui deviendraient de véritables pilotes, avec des objectifs dont les professeurs doivent absolument rendre compte. Autre réforme de base: on a un système hyper centralisé dans la gestion des ressources humaines. C'est invraisemblable qu'une maison comme celle-là, aussi nombreuse en personnel, ait encore une gestion centralisée à outrance.  Il faut décentraliser, déconcentrer le système afin qu'il soit plus souple et plus adaptable.

La question de la formation des enseignants est une autre chose très importante. Les organismes de formation des futurs enseignants en France, les ESPE, sont très calqués sur les anciens IUFM avec une forte place donnée aux pédagogismes là où il faudrait se concentrer sur les savoirs fondamentaux, dont on voit bien que l'absence de la maîtrise est la première cause de décrochage scolaire. Or quand on exige à l'élève qu'il maîtrise un socle de connaissances et de culture, il faut aussi l'exiger des professeurs. Je tiens ce discours suite à la visite d'ESPE, où j'ai constaté que la formation des enseignants en sciences est un réel problème, avec beaucoup d'élèves professeurs venant de filières littéraires ayant une maîtrise très incertaine des sciences.

La formation des enseignants, la décentralisation du système, la mise en responsabilités des équipes pédagogiques… Tout cela interroge plutôt les façons de faire que le nombre d'enseignants.

La ministre de l'Education amuse la galerie avec des gadgets, du superficiel, quand l'essentiel n'est pas suffisamment et pas correctement traité.

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