Imams de France : l’Etat peut-il réformer l’islam à la place des musulmans ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Gerald Darmanin rencontre des imams à son arrivée à la Grande Mosquée de Paris pour une cérémonie de dépôt de gerbes à la mémoire des soldats musulmans morts pour la France, à la Grande Mosquée de Paris, le 11 novembre 2023.
Gerald Darmanin rencontre des imams à son arrivée à la Grande Mosquée de Paris pour une cérémonie de dépôt de gerbes à la mémoire des soldats musulmans morts pour la France, à la Grande Mosquée de Paris, le 11 novembre 2023.
©Thomas SAMSON / AFP

Intention louable ?

A l’occasion du lancement de la deuxième session du Forum de l’Islam de France, Gérald Darmanin a annoncé qu’il y aura désormais un statut pour les imams.

Mohamed Sifaoui

Mohamed Sifaoui

Mohamed Sifaoui est journaliste, écrivain et réalisateur. Il est l'auteur de plusieurs reportages et ouvrages sur les milieux islamistes radicaux.

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Razika Adnani

Razika Adnani

Razika Adnani, membre du Conseil d'orientation de la Fondation de l'Islam de France, écrivaine, philosophe et islamologue, débute sa carrière en tant que professeur de philosophie. Elle publie en 2001 et 2003 deux précis de philosophie, El Kafi fi el Falsafa, sur l'art de disserter en philosophie suivis chacun d'un dictionnaire de philosophie. Ces ouvrages destinés aux lycéens sont des bestsellers.

En 2005, elle quitte l'enseignement pour se consacrer définitivement à la réflexion et à la recherche.

En 2011, elle publie un ouvrage en arabe intitulé Le blocage de la raison dans la pensée musulmane est-il bénéfique ou maléfique à l’islam. Paru chez Afrique Orient (Maroc), le livre connaît un vif succès dans tout le monde arabe et arabophone. 

Razika Adnani publie en 2013 La nécessaire réconciliation (Dalimen, Alger), brillant essai sur la question de la violence, la relation à l’autre, à soi et la relation avec l’histoire. À partir de l’étude de la société algérienne, elle forge sa propre théorie de « la moralisation de la violence ». Cette œuvre décisive paraît à nouveau en 2014 chez UPblisher, sous forme numérique et imprimée, afin de la rendre accessible au plus grand nombre. Elle est désormais disponible dans le monde entier.

À partir de 2014, elle est appelée comme expert sur des sujets relatifs à l’Islam. Elle anime de 2014 à 2016 un cycle de conférences à l'Université Populaire de Caen sur le thème « Penser l'islam » ; de 2015 à 2017, elle intervient lors du séminaire « Les nouveaux fondamentalistes » du Collège des Bernardins ; elle collabore avec le Ministère de la Justice dans le cadre de la formation des cadres qui prennent en charge des jeunes radicalisés ». En 2017, elle intègre la Fondation de l'islam de France.

En 2015, elle fonde, organise et anime les Journées Internationales de Philosophie d'Alger, évènement dont le succès est confirmé par une deuxième édition en 2017.

Elle est l’auteur de nombreux articles publiés par le journal algérien Liberté, Le Figaro ou L’Obs, et intervient fréquemment lors de conférences ou tables-rondes, tant en France qu’en Algérie.

Sa lucidité et son franc-parler font de Razika Adnani une philosophe ancrée dans son époque, un esprit libre, résolu et engagé.

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Atlantico : A l’occasion du lancement de la deuxième session du Forum de l’Islam de France, Gérald Darmanin a annoncé qu’il y aura désormais un statut pour les imams. Que faut-il penser de ce projet ?

Mohamed Sifaoui : L'intention est louable, sauf que la méthode, à mon sens, n'est pas bonne. Cette même idée revient quasiment à chaque gouvernement depuis l'époque où Jean-Pierre Chevènement était ministre de l'Intérieur. L'organisation de l'islam évolue pour essayer de trouver, surtout de la part des pouvoirs publics, des interlocuteurs à la fois représentatifs et capables de les aider à résoudre un certain nombre de problèmes et afin d'être les intermédiaires entre les Français de confession musulmane et les pouvoirs publics. L'objectif est d’enrayer la montée de l'islam politique et de la menace terroriste. Il faut saluer évidemment cette volonté. Cependant, il y a plusieurs problèmes dans cette organisation voulue de l'islam de France depuis une trentaine d'années. Il faut rappeler que l'islam sunnite, qui est majoritairement celui qui est pratiqué par les Français de confession musulmane, ne dispose pas de clergé et par conséquent il n'y a aucune autorité qui serait légitime pour représenter tous les musulmans. 

La deuxième difficulté est inhérente à la réalité de l'islam au niveau mondial. Les problèmes que nous subissons ne pas spécifiques à la France. Cela est dû à l’influence de pensées extrémistes, celle du salafisme, porté par l'Arabie Saoudite pendant plusieurs années, et celle des Frères musulmans et d'autres organisations qui sont venues s'y greffer comme l'islamisme turc qui est clairement soutenu par le pouvoir en place, celui de Recep Tayeep Erdogan.

L'islam aujourd'hui, en tant que religion, est largement phagocyté par toutes ces pensées extrémistes. Il y a un problème de méthode de la part du gouvernement. Il y a une contradiction flagrante : On cherche à enrayer l'islamisme alors qu’en parallèle les gouvernements successifs invitent des représentants de l'islam politique à la table de la République. Il faut changer de paradigme. L’Etat doit cesser, s’il veut agir sérieusement, de considérer, comme des partenaires, les adeptes du double-discours, ceux qui font avancer l’agenda islamiste, ceux qui roulent pour des intérêts étrangers pour pour des idéologies contraires à l’esprit de la République. 

La communication du gouvernement met l’accent sur certains États étrangers et c’est une bonne chose car ces puissances instrumentalisent l'islam non pas pour diffuser l'islamisme, non pas pour représenter une menace terroriste à laquelle ils font face eux-mêmes, mais bien pour instrumentaliser les musulmans de France pour faire avancer leurs propres pions et leur propre agenda. L’utilisation de l'islam est devenue une méthode pour faire du soft power, notamment pour la Turquie, le Maroc et l'Algérie. Les autorités souhaitent couper l’influence des puissances étrangères vis-à-vis de l’islam, mais continuent néanmoins de travailler avec les acteurs liés à ces mêmes puissances étrangères.

Permettez-moi l’expression, il y a un grand ménagé à faire : Certains interlocuteurs ne sont pas coupés des puissances étrangères et d’autres ne sont pas coupés des lectures islamistes. Certains acteurs ne sont pas forcément sérieux. Il n’est pas possible de compter sur eux pour défendre la République puisqu'ils sont sur d'autres agendas. Je pense surtout à ceux qui sont proches des Frères musulmans. 

Posons-nous des questions : combien de ces acteurs qui sont régulièrement invités à la table de la République pour discutailler ont pris position contre le voile islamiste et en faveur de la laïcité ? Combien d’entre eux dénoncent la montée de l’antisémitisme observée depuis le 7 octobre 2023 ? Combien d’entre eux ont manifesté avec nous contre l’antisémitisme ? Combien d’entre eux enfin osent-ils assumer clairement leurs responsabilités face à la toxicité que représentent les Frères musulmans et autres salafistes ? Finalement donc, à quoi servent-ils ? A fixer le début du ramadan et à entretenir un discours victimaire ? Ils se plaignent de l’amalgame, mais je pense malheureusement qu’ils sont la source des amalgames en raison de leur lâcheté. Beaucoup de Français ne sont ni racistes ni hostiles aux musulmans - bien au contraire - et pourtant, ils s’interrogent légitimement sur le rôle joué par leurs « représentants » pour faire baisser les tensions, pour délivrer un message courageux et volontariste en direction de la jeunesse, pour prendre des positions fermes quand cela est nécessaire. Je suis convaincu que ces « représentants » qui ne représentent pour beaucoup que leurs intérêts personnels ou idéologiques ont favorisé par leur triple jeu et leur cynisme la rupture du lien de confiance entre la société et les musulmans. 

Le deuxième problème est que les acteurs les plus sérieux, lorsqu'ils sont institutionnalisés et lorsqu'ils deviennent des interlocuteurs des pouvoirs publics, sont coupés de la base. Presque de façon automatique. 

Mes principales réserves sur ce projet sont liées à l'inefficacité d'une telle organisation et sur le fait que l’on n'arrive pas à véritablement tirer les enseignements des échecs passés depuis notamment le CFCM, une organisation à laquelle tenait particulièrement Nicolas Sarkozy qui pensait que cela allait régler tous les problèmes. Or, cela n’en a réglé aucun. Le CFCM pendant vingt ans n'a finalement été d'aucune utilité sur la question de l'avancée de l'islam politique en France. Ce qui me pose problème concernant la légitime de ce type d'organisation est que l'on observe qu’ils ne prennent jamais vraiment position en faveur de l'Etat face aux mouvements islamistes. Évidemment, ils condamnent le terrorisme mais le problème n'est pas uniquement le terrorisme, il s’agit de l'avancée idéologique de l'islam politique dans ce pays. Sur les questions relatives au strict respect de la laïcité, sur l'état des lieux à faire au sujet de la littérature islamiste qui continue d'être diffusée en France, que ce soit à travers les librairies ou à travers Internet et les réseaux sociaux, on ne les voit jamais prendre véritablement une position en faveur de la République.

Une vraie représentation serait capable de générer de la pensée, de produire du texte, d’adapter la doctrine à son environnement, de faire ce qui est appelé l’Ijtihad, l’effort interprétatif, pas uniquement pérorer pour ne rien dire sur des sujets secondaires. C’est aussi l’autre souci majeur : la qualité de beaucoup de ceux qui « représentent » les musulmans. Combien d’entre eux connaissent vraiment l’islam ? Combien d’entre eux ne sont pas les produits de l’école des Frères musulmans ? Combien d’entre eux ont une formation théologique et académique solide ? Très peu en vérité. 

Razika Adnani : C’est une annonce qui concerne le statut administratif des imams. Elle ne constitue en rien une solution aux problèmes que pose l'islam en France. Elle ne répond pas aux préoccupations des Français ni à leur inquiétude vis-à-vis de l’islamisme et du fondamentalisme islamique qui montent dans leur pays notamment après les propos très choquants de l’imam Mahjoubi. 

L’État multiplie les annonces au sujet de l’islam qui prouvent qu’il n’arrive pas à résoudre les problèmes qui se posent. Ce sont tout d’abord des annonces qui concernent la gestion de l’islam en France et non l’islam alors que ce sont des problèmes qui concernent l’islam en tant que religion. Ensuite, il y a le fait que l’État ne peut pas s’immiscer dans la religion musulmane. Parce qu’il est laïc d’une part et, d’autre part cela serait vu par les musulmans comme une intrusion dans les affaires de leur religion et une nouvelle offensive de l'Occident contre l’islam, ce qui provoquerait des tensions et accentuerait les crispations.

En France, il y a un grand problème avec des imams qui tiennent un discours très rétrograde et qui est à l’antipode de la culture et des valeurs de la France. Même ceux qui prétendent être des républicains, quand on aborde avec eux des questions telles que l’égalité entre les hommes et les femmes ou la liberté de conscience, on réalise qu’ils ne les admettent pas. Ils défendent par exemple « l’équité » pour justifier les inégalités qui existent en islam entre les hommes et les femmes. L’équité est l’argument qui revient dans le discours de tous les conservateurs qui refusent de mettre fin aux discriminations à l’égard des femmes en islam et dans les sociétés musulmanes. Les imams en France sont des imams de France uniquement sur le plan géographique et c’est là que se situe le problème. Mais créer un statut de l’imam, comme je viens de le dire, ne résoudra ce problème.

Est-ce vraiment le rôle de l'Etat ou du gouvernement de réguler la religion musulmane et le rôle des imams ? En quoi n'est-ce pas la bonne approche ?

Razika Adnani : Toutes ces annones concernent la gestion du culte musulman. S’occuper de l’organisation du culte c’est le rôle de l’État tant que cela reste dans le domaine de la gestion du culte et non du culte lui-même et sa pratique. Les religions font partie de la société que l’État administre et les religieux sont des citoyens comme les autres notamment quand ils sont dans l’espace public. Que l’État rappelle à la religion le devoir respecter les lois de la République quand elle s’exprime dans l’espace public non seulement cela ne se heurte pas à la laïcité, mais fait partie de son rôle.

Concernant l’islam, ce qui pose problème c’est la charia, autrement dit le droit musulman mis en place entre le VIIIe siècle et le Xe siècle pour administrer les sociétés musulmanes, qui veut s’imposer dans l’espace public.  Donc face à la charia, l’État est confrontée davantage à un système social et politique qu’à une religion.

Que l’État intervienne pour protéger la République n’est pas une entorse à la laïcité ; car il n’agit pas dans le domaine de la religion mais dans celui de la politique. Le rôle de l’État est de protéger la République de tout ce qui ne peut la menacer sans s’immiscer dans le culte et sa pratique.

Ce qui est une mauvaise approche, c’est le fait que l’État se plie aux exigences des islamistes et aborde le voile comme une pratique religieuse comme c’est le cas de la loi de 2004.  Alors que le voile est une pratique qui discrimine les femmes et déshumanise les hommes. Quand il s’invite dans l’espace public, il piétine les valeurs de la République, l’égalité et l’humanisme. D’autant plus que sur le plan religieux aucun texte coranique ne recommande à la femme de couvrir sa chevelure.

Mohamed Sifaoui :Il n'appartient pas à l'Etat d'organiser une religion qui vit de sa désorganisation, si j'ose dire. Pendant quatorze siècles, il y a eu une seule autorité qui a réussi à organiser l'islam, et encore ce sont les empires musulmans. Le califat et le calife peuvent organiser l'islam. 

L'organisation de l'islam dans un cadre laïque est véritablement impossible pour les raisons que j'ai évoquées. Pour organiser l'islam, encore faut-il faire un état des lieux sur la base doctrinale qui anime chacun des interlocuteurs. Et on a énormément d'acteurs qui sont dans ce débat et qui portent un islam qui n'est pas compatible avec la République. Le problème de la République est qu'elle a toujours vu la dangerosité de l'islam politique exclusivement à travers le prisme de la sécurité, du terrorisme. En élargissant un peu la perspective, il y a un autre danger. Il s’agit du danger idéologique et le terrorisme n'est in fine qu'au service de cette idéologie. 

Les Frères musulmans, alors qu'ils sont combattus et en perte d'influence dans la plupart des pays arabo-musulmans, ont quand même le vent en poupe en Europe et en France. Ils représentent un poids. La n'arrive pas à prendre une décision courageuse qui préciserait clairement que tout ce qui a trait aux Frères musulmans, sa littérature, ses organisations, ses associations, devrait être d'une certaine façon criminalisé parce qu'il s’agit d’un mouvement totalitaire extrémiste. Même un pays comme l'Arabie Saoudite qui a financé la propagation du salafisme est en train de se rendre compte que le salafisme est mauvais pour lui et décide de faire marche arrière. Or, en France, le salafisme continue de prospérer. Certes il y a eu une avancée considérable dans les mentalités au sein du ministère de l’Intérieur. Il y a quelques années personne n’aurait pensé que des acteurs toxiques comme le CCIF ou Baraka City pourraient être dissous ou qu’un prédicateur comme Hassan Iquioussen pouvait être expulsé. Il est vrai de ce point de vue, il y a des avancées. Mais vous savez, il existe en réalité des freins, y compris au sein de l’administration. Je suis par exemple pour que l’on prenne pour préfecture témoin ce qui se fait au sein de la préfecture du Nord en matière de lutte contre l’islam politique et qu’on l’étende à l’ensemble du territoire. J’observe que d’autres préfets - je ne vais pas les citer ici - ne sont pas sur des dynamiques identiques. Or, la politique de l’Etat est, en théorie, une lutte volontariste contre l’islamisme, ce qui est appelé le séparatisme dans le discours officiel. Malheureusement ce n’est pas le cas partout. 

Cela me pose problème lorsque j'entends que l'Etat ou la République veulent organiser l’islam et le rôle des imams. Mais sur quelle base établir cette organisation ? Personne ne répond à cette question, personne ne dit sur quelle base. Je pense qu'il n'y a pas à organiser tout ça. Il suffit juste de dire à tous les croyants, quels qu'ils soient, de respecter les lois et les règles de la République. Point à la ligne. Il leur appartient de créer des associations et de se représenter, d'être représentés localement pourquoi pas. Mais il n'appartient pas à l'Etat de s'immiscer dans cette organisation. L'Etat peut créer le cadre et offrir ce cadre, c’est déjà le cas avec la loi de 1901, de 1905, la loi sur les séparatisme notamment. Mais je ne vois pas au nom de quoi, il faut aller plus loin. 

En résumé, il faut un cadre clair. Celui qui ne le respecte pas est soumis à des mesures coercitives.

Il appartient aux musulmans qui veulent s'organiser en associations de faire en sorte d’être à la fois représentatifs conformément aux lois sur les associations et sur les regroupements. Mais vouloir à tout prix créer une sorte de « clergé » n’est pas la bonne stratégie. C'est ce que souhaitent les autorités françaises depuis longtemps. Elles lisent tout par rapport à ce qui existait déjà, étant donné qu'il y a une représentation des catholiques, des juifs et des protestants, il faudrait qu'il y ait une représentation des musulmans. Il se trouve que fondamentalement, les musulmans ne sont pas organisés de la même manière et on veut les organiser d'une manière que ne permet pas en vérité leur dogme. A chaque fois que l'islam a été “institutionnalisé”, cela s’est produit dans les pays musulmans. Les pays musulmans institutionnalisent l'islam pour l'instrumentaliser, pour avoir une sorte de de représentant officiel qui va dire le dogme. Cela est possible dans des pays musulmans mais cela est impossible en France.

Cette mesure sur le statut des imams annoncée et proposée par Gérald Darmanin n'est-elle pas un simple effet d'annonce? Est-ce que des mesures sont officiellement prises ? 

Razika Adnani : Moi je parlerais de mesures efficaces qui doivent être prises et celles-ci, c’est aux musulmans de les prendre. Ils doivent commencer par en finir avec l’habitude de répéter que le problème n’est pas l’islam mais l’islamisme, ou que c’est juste une mauvaise compréhension de l’islam.

Ils doivent reconnaître les problèmes que l’islam pose dans notre société et à l’époque actuelle. Ainsi seulement ils se pencheront sur leur religion pour les résoudre cela revient à changer l’islam de l’intérieur, autrement dit le réformer.

Réformer l’islam consiste à le débarrasser de l’emprise des anciens et le libérer de la politique afin qu’il soit une religion et non une politique. Comme je l’ai toujours précisé dans mon ouvrage Islam : quel problème ? Les défis de la réforme et dans plusieurs occasions, c’est une « réforme est orientée vers l’avenir » et qui a comme objectif de créer du nouveau en islam et non une réforme qui cherche à retrouver l’islam pur des premiers musulmans.

Une autre mesure efficace dont je voudrais parler concerne la formation des imams dont l’État parle beaucoup. Elle doit avoir comme objectif de leur transmettre les moyens intellectuels et les principes nécessaires qui leur permettent de s’émanciper de l’islam des anciens, de leur théologie et de leur conception de la société, de l’autre, de la femme. Une formation qui transmet le discours religieux que tous les musulmans répètent ne fera que perpétuer les problèmes.

Mohamed Sifaoui :Je n'enlève pas la bonne intention qui est derrière ce projet. Je pense qu'il y a de l'incompréhension et de la méconnaissance des nuances et des subtilités du monde musulman et de la réalité de l'islam. Le projet de créer un cadre pour former des imams interroge sur le profil des formateurs. Quelle sera la doctrine avec laquelle ils vont être formés ? Est-ce qu’il seront formés avec l'islam qui est porté par les Turcs, avec un islam des Frères musulmans, avec un islam salafiste ou à travers des enseignants qui seraient eux-mêmes importés de l'étranger ? De quelles ressources dispose aujourd'hui l'Etat pour permettre la formation des imams ? De quelles ressources républicaines et laïques dispose l’Etat ? L'enjeu n'est pas juste de former des imams. L'attente de la société est d'avoir des imams qui enseignent un islam anti-islamiste en vérité.

Je connais énormément d'imams en France qui disent connaître l'islam ou qui sont des imams autoproclamés, mais ils sont pour la plupart abreuvés d'une lecture spécieuse qui est à l'origine de tous les problèmes que nous vivons. Beaucoup d'aumôniers dans les prisons diffusent souvent un islam qui n'est pas compatible avec la République. Pourtant, ils sont dans les petits papiers de l’administration parce qu’ils lui assurent la paix civile. Ce que nous n’avons pas compris encore dans ce pays, c’est que parfois la paix civile n’est pas synonyme d’absence de problèmes. En vérité, le prosélytisme islamiste avant souvent et mieux dans un contexte de paix civile. En silence. Et un jour vous vous réveillez et vous découvrez une multitude de problèmes. 

L’erreur qui est faite est de voir cette incompatibilité entre islamisme et République exclusivement à travers le prisme de la menace de la violence, qui arrive en bout de chaîne. Qu’est-ce qui fait qu'aujourd'hui qu’un proviseur de lycée soit menacé de mort parce qu’il exige le respect de la laïcité dans son école, dans son lycée. Qu’est-ce qui fait qu'un enseignant soit assassiné, que des élèves refusent un certain type d'enseignement ? Qu'est-ce qui fait qu’aujourd'hui, des enseignants ont peur de d'enseigner la Shoah ou d'évoquer l'homosexualité. Qu'est-ce qui fait tout ça ? Ce n'est pas uniquement le terrorisme, il s’agit de l'état d'esprit de beaucoup de musulmans, de ceux qui ont une parole dans les mosquées, qui ont diffusé un message qui n'est pas compatible une fois de plus avec la République.

Si les imams qui sont formés ne sont pas formés pour diffuser un islam anti-islamistes cela ne servirait absolument à rien. Or, combien d’imams aujourd’hui enseignent un islam contraire à l’idéologie islamiste ? Combien d’imams dénoncent le Hamas comme organisation terroriste ou même les attentats du 7 octobre 2023 ? Combien d’imams refusent véritablement l’antisémitisme ? Combien d’imams vont expliquer qu’on ne menace pas des personnes de culture musulmane parce qu’ils assument leur athéisme ? Combien d’imam va rappeler qu’en période de ramadan rien n’interdit à une personne, fusse-t-elle musulmane de manger dans un lieu public ? Si chaque année, à chaque début de ramadan par exemple, nous devons avoir de nouvelles polémiques sur tel ou tel sujet, c’est parce qu’il y a des imams qui au lieu d’éduquer, excitent les plus jeunes, les plus vulnérables en entretenant dans leurs prêches tout le champ lexical islamiste : apostat, mécréant, ennemi d’Allah, des mots qui sèment la haine dans certains esprits et qui orientent le rapport à l’Autre, à tout ce qui est décrit comme « différent ». 

Observez d’ailleurs dès que les médias donnent la parole à un imam qui critique la pensée islamiste il se retrouve décrié, délégitimé, voire attaqué et menacé. Et ce, dans l’indifférence. Voilà pourquoi à cause de tous ces gens-là l’islam passe, y compris aux yeux de beaucoup de ceux qui ne sont même pas proche des courants xénophobes, pour être une religion de haine et d’intolérance. Je dis souvent, heureusement que j’ai eu l’occasion, au cours de ma carrière, de connaitre des musulmans avant de travailler sur les énergumènes qui prétendent représenter l’islam aujourd’hui. 

L'enjeu donc n'est pas de former des imams. L'enjeu est de former des imams anti-islamistes. Essayons de prendre cela comme un objectif, une ligne stratégique. 

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