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Idlib : les Russes à la manoeuvre sur le terrain… et  sur Internet
©Nazeer al-Khatib / AFP

Double front

L’assaut final sur Idlib se prépare. Depuis plusieurs semaines raids aériens et tirs d'artilleries s'y enchaînent à un rythme accéléré. Mais au-delà du terrain, les Russes, alliés du régime de Damas, mènent un autre assaut, plus discret, sur Internet.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Igor Delanoë

Igor Delanoë

Igor Delanoë est Docteur en histoire, Directeur-adjoint de l’Observatoire franco-russe (centre d’analyse de la CCI France-Russie, Moscou).

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Atlantico : L’assaut final sur Idlib se prépare. Depuis plusieurs semaines raids aériens et tirs d'artilleries s'y enchaînent à un rythme accéléré. Mais au-delà du terrain, les Russes, alliés du régime de Damas, mènent un autre assaut, plus discret, sur Internet. Depuis plusieurs semaines, les officiels de Moscou enchaînent les déclarations, largement reprise par leurs organes de "presse" en France. Ainsi, Sputnik, rapporte les paroles de "sources dans le gouvernorat d'Idlib" qui assurent qu'un "qu'un camion frigorifique avait amené d'étranges bouteilles de gaz". Un étrange convoi mené par "des étrangers parlant français et anglais" qui ferait craindre une attaque chimique orchestrée par les occidentaux sur place. Quel pourrait être l'intérêt des Russes dans la propagation de ces rumeurs avant un assaut qui, de toute façon, semble inévitable ?

Cyrille Bret : Le 29 août dernier, lors d’une conférence de presse avec son homologue saoudien, Sergueï Lavrov a indiqué qu’il redoutait l’organisation d’une fausse attaque chimique dans la région d’Idlib et a pointé ses responsables potentiels : le front Al-Nosra qui avait adhéré à Al-Qaida et, plus largement le Hayat Tahrir al-Cham qui constitue une alliance de plusieurs mouvements terroristes opposés au régime syrien. Quelle est la manœuvre redoutée par le chef de la diplomatie russe ? Que des armes chimiques soient acquises par ces mouvements, transportées dans la zone d’Idlib puis utilisées par les terroristes contre les populations civiles qu’ils côtoient et ensuite attribuées au régime syrien. En un mot, il s’agit de prévenir les accusations occidentales de crime de guerre contre le régime syrien. On le voit, la campagne contre l’enclave d’Idlib, qui jouxte la Turquie (au nord), Alep (à l’est), Lattaquié (à l’ouest) est en préparation. Il est possible qu’elle soit déclenchée par le régime syrien et ses alliés iraniens et russes après la réunion prévue le 7 septembre.

Igor Delanoë : Il s’agit de décrédibiliser d’avance une hypothétique riposte limitée euro-atlantique à l’opération sur Idlib, riposte qui serait menée en réponse à une toute aussi hypothétique « attaque chimique » de la part de Damas. On a assisté aux mêmes types de déclarations dans les semaines qui ont précédé la reprise de la Ghouta orientale ; les Russes ont à plusieurs reprises prévenu qu’une « provocation au chimique » se tramait. Après les frappes menées par les Britanniques, les Français et les Américains en avril dernier, il s’agit en outre pour Moscou de pointer du doigt l’inefficacité de leur approche punitive sélective. Autrement dit, si le régime syrien recourait à l’arme chimique à Idlib, cela signifierait que les frappes anglo-franco-américaines du printemps n’ont pas servi à grand-chose, et qu’il faudrait donc, toujours dans cette logique punitive, qu’ils mènent des frappes encore plus grandes. Ceci augmenterait alors le risque de collision avec les Russes sur le terrain, ce dont personne ne veut.

Sergueï Lavrov de son côté a déclaré espérer que "nos partenaires occidentaux ne vont pas favoriser des provocations et ne vont pas entraver l’opération antiterroriste" à Idlib. Mais concrètement que peuvent encore faire les occidentaux face à ce qui risque d'être un bain de sang ?

Cyrille Bret : il s’agit à nouveau de la « question maudite » des différences à faire ou à ne pas faire entre les différents mouvements terroristes eux-mêmes mais aussi de la distinction à faire (ou à ne pas faire) pendant les opérations entre les populations civiles et les combattants. Que savons nous de la situation dans la zone d’Idlib ? Suite aux défaites successives des mouvements d’opposition en Syrie au régime Al-Assad, les différentes organisations se sont regroupées dans la région d’Idlib accompagnées parfois des familles des combattants. A l’heure actuelle, on estime que plusieurs centaines de milliers de personnes sont concentrées là et que 50 000 à 100 000 combattants sunnites opposés au régime Al-Assad y sont. Certains sont ou ont été affiliés à Al-Qaida. D’autres ont été soutenus par la Turquie. D’autres encore sont issus de l’Armée syrienne libre. Les mouvements s’allient les uns aux autres selon les critères fluctuants et selon des objectifs qui évoluent avec la situation tactique. Mais, aujourd’hui, les Occidentaux comme les Russes et les régimes syriens tendent à s’interroger sur la nécessité de faire la différence entre ces différents mouvements et les regroupent tous sous l’étiquette « terroristes ». En somme, à  la veille d’une campagne militaire contre Idlib, ils renoncent à faire des distinctions politiques ou stratégiques. Toutefois, il ne faut pas renoncer à la distinction entre les civils et les combattants. Toutes les personnes présentes à Idlib ne sont pas des combattants et donc tous ne peuvent pas être légitimement prises pour cibles de bombardements (qu’ils soient conventionnels ou non). Durant la bataille qui s’annonce, comme durant la campagne contre la Ghouta et contre Alep, il convient de rappeler constamment que les civils doivent être explicitement épargnés par les violences.

Igor Delanoë : Les Russes envisagent toujours la possibilité que certains pays européens tentent une stratégie d’entrave, par exemple au niveau diplomatique, en convoquant une session extraordinaire du Conseil de sécurité de l’ONU. En y proposant une résolution qui condamne les violences à Idlib, contre laquelle la Russie apposera son veto, ils pourraient ainsi chercher à indigner un peu plus une opinion publique occidentale qui sera à nouveau « choquée » par les opérations militaires à Idlib. Autrement dit, à part taper encore sur l’image, largement écornée, de la Russie, certains pays européens n’ont guère d’autres options.

N'a-t-on pas tendance à surestimer les capacités d'influence de la Russie sur le territoire national? 

Cyrille Bret : Les médias russes d’expression française, principalement RT et Sputnik ont acquis dans l’opinion nationale un statut incontestable. Leur audience est significative. Leurs chroniqueurs (Madsen, Sapir, etc.) jouissent d’une certaine notoriété. Leur influence n’est pas surestimée car les pouvoirs publics français se disent régulièrement préoccupés par la nature des informations qu’ils diffusent, au point que le président français a évoqué la possibilité de poursuites pour « fausses nouvelles ». Dans un Etat où la liberté de la presse fait corps avec les principes républicains, c’est avant tout aux citoyens, aux journalistes, aux chroniqueurs et aux intellectuels de faire valoir leur point de vue et de répondre, s’ils le jugent nécessaires, aux thèses défendus par des médias dont l’origine étrangères est explicite.

Igor Delanoë : On a en tout cas tendance à sur réagir. Les médias dits « pro russe » ne dérangeraient pas autant, si leur message ne portait pas et ne rencontrait pas de public. S’ils diffusent des énormités ou des contre-vérités, laissons le public juger et ne plus les consulter. Chercher à interdire ces médias ou les stigmatiser leur fait une pub inespérée, surtout auprès de ceux qui sont en quête « d’informations alternatives ».

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