Hypocrisie sur la fin de vie : les Français en faveur de l'euthanasie au nom de la dignité mais indifférents à notre retard en matière de soins palliatifs<!-- --> | Atlantico.fr
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L'euthanasie ne concerne que quelques milliers de personnes par an.
L'euthanasie ne concerne que quelques milliers de personnes par an.
©Reuters

Question de priorités

Alors que des dizaines de milliers de personnes meurent mal en France, les débats sont monopolisés par un sujet qui ne concerne que quelques milliers de cas.

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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L’euthanasie ne réglera rien. Tout le monde le sait. Les vrais sujets sont ailleurs. Et pourtant, certains pourraient vouloir imposer l’euthanasie pour masquer leurs impuissances à réformer en profondeur l’accompagnement en fin de vie.

I – Un débat est sur la table depuis des années : est-on pour ou contre l’euthanasie ? Des groupes de pression s’agitent. Les politiques s’en mêlent. Il s’agirait (enfin !) de « mourir dans la dignité » - ce qui laisse à supposer que les autres manières de mourir ne sont pas « dignes ». Il faudrait (enfin !) s’accorder une  liberté « suprême » - celle de choisir sa mort. Et depuis deux ans (alors que l’euthanasie n’est pas une promesse du candidat Hollande), des avis, des rapports ont été demandées, des consultations ont été faites pour « faire avancer la cause » de l’euthanasie. Mais, à chaque fois, qu’il s’agisse du rapport SICARD de décembre 2012 et même de l’avis du CCNE du 1 juillet 2013, la porte que le gouvernement voulait ouvrir s’est refermée. A chaque fois il est apparu que la question de l’euthanasie n’était pas la plus urgente, la plus importante, la plus prioritaire de celles posées dans les situations de fin de vie.  

Alors, même si tous ont convenus qu’il ne fallait pas insister, ne pas pratiquer une forme d’acharnement euthanasique dans les débats publics, une inquiétude demeure. Les professionnels des soins palliatifs sont redevenus inquiets. Ils ne savent plus à quoi s’en tenir. Que penser de l’encouragement à demi-mots, du flou complice, de l’ambiguïté formulée, sur ces questions, dans une lettre, en date du 16 octobre dernier, par Manuel Vals, Premier Ministre, à Jean-Michel Baylet partisan déclaré de l’euthanasie. Or, en même temps, une solution consensuelle semble se dessiner. Le rapport Léoentti-Clays sera rendu mi-décembre et ne portera pas sur l’euthanasie. Il proposera des avancées sur deux sujets précis : les directives anticipées et la sédation profonde. Malgré cela, il est probable qu’au détour du débat parlementaire autour d’une « loi sur la fin de vie » qui devrait être en discussion au début de l’année 2015, l’euthanasie revienne par la petite porte. Non par un projet de loi mais un amendement de dernière minute. Après tout, le parlement est souverain. Il l’est encore plus quand il souhaite fronder, grogner, manifester sa mauvaise humeur socialiste et  donner des gages de sa gauchitude. Et il est si facile de se « venger » de l’impuissance économique par des « marqueurs de gauche » sociétaux. Après le mariage pour tous pourquoi pas l’euthanasie pour tous ?  

II – En réalité, faut-il de nouveau discuter de l’euthanasie ? Non. Est-il nécessaire de redire que les solutions d’euthanasie seraient pires que l’inhumanité de certaines situations ? Non. C’est évident. Ma conviction, développée dans mon dernier livre (Le fin mot de la vie, édition du cerf) est la suivante : l’euthanasie est la mauvaise réponse à une question qui ne se pose pas. Et si nos politiques voulaient affronter le réel, se coltiner aux vraies réformes de l’Hôpital, ils liraient le rapport Sicard et le constat effroyable qu’il fait de la mort à l’hôpital aujourd’hui. Le rapport du CCNE (en date du 21 octobre 2014) qui résume les débats depuis deux ans indique différents points majeurs de consensus : faire connaitre la loi Léonetti, mettre en place un accompagnement à domicile selon les vœux de l’immense majorité de nos concitoyens, supprimer à l’hôpital la suprématie du curatif et favoriser le palliatif, faire un « effort massif de formation des médecins » en « réflexions éthiques ». Ajoutons à cela, dans ce dernier rapport, un « constat accablant » - partagé par tous. Les soins palliatifs, demandés par les français, sont accessibles à 20 % de ceux qui devraient en bénéficier. Ce qui veut dire que 150 000 personnes meurent mal en France quand une loi sur l’euthanasie concernerait 5 à 7 000 cas par an. Et pendant que les palabres continuent, pendant que les partisans de l’ADMD occupent le terrain médiatique, pendant que des parlementaires se préparent à déposer des amendements de dernière minute, tandis que des officines concoctent de nouvelles « affaires » qui pourraient encore une fois faire chavirer le cœur des médias, des gens, tous les jours, meurent mal en France. Que fait-on, pour améliorer la situation ? Rien. Quelles réformes profondes sont discutées pour remédier à des situations indignes ? Rien. Nada.

Quand la « lutte contre les inégalités » est, dit-on, la priorité des priorités, n’est jamais évoqué cette inégalité devant la mort qui est la plus inégalitaire de toutes les inégalités. N’est-ce pas là une injure faite aux 550 000 personnes qui meurent chaque année en France ! Le dernier rapport du CCNE regrette « vivement » que les recommandations du rapport Sicard n’aient pas « été suivies d’effet ». Si tel avait été le cas, dit-il, « le débat public serait aujourd’hui d’une toute autre nature ». C’est comme si Marisol Tourraine, en charge de ces questions, ne saisissait pas la gravité de la situation, ne voulait pas comprendre, ce qui est souligné par le même rapport du CCNE, à savoir  «l’exigence de réforme du système de santé ». Est-ce à dire que la ministre est impuissante à réformer l’institution ou qu’elle joue le pourrissement pour mieux promouvoir l’euthanasie comme la solution ? La question mérite d’être posée. Car tout le monde sait qu’elle est favorable à l’euthanasie.  

III – Toutes ces raisons devraient conduire à un sursaut politique et éthique. Que les politiques ne se paient pas de mots. Qu’ils agissent ! Qu’ils réforment, qu’ils améliorent l’accompagnement des personnes-en-fin-de-vie. Qu’ils lisent jusqu’au bout les rapports déjà rendus et les transforment en décisions, en politiques publiques, en actions concrètes. L’euthanasie ne peut pas être un Totem de gauche autour duquel il faut tourner pour mieux faire oublier ses impuissances politiques. Tous les jours des personnes meurent d’une manière indigne. Occupons-nous d’elles avant que donner satisfaction à l’ADMD. Sinon le rejet des politiques sera encore plus puissant qu’aujourd’hui – et Dieu sait que le discrédit des politiques est déjà immense.

Mais il est à craindre que l’actuel débat sur l’euthanasie cache une immense incapacité à réformer les structures, les habitudes médicales et des logiques hospitalières. Est-il encore possible de remettre le patient au centre de tout ? Je veux y croire pour remédier à la crainte des Français à l’égard des hôpitaux - crainte récurrente et liée au « ressenti » d’une perte de pouvoir du malade et à une inhumanité de l’approche stricto sensu médicale. Je veux y croire pour redonner aux malades la maitrise de leur fin-de-vie. Je veux y croire pour que le patient puisse avoir « le dernier mot ». Si l’impuissance du politique s’avérait patente face à un hôpital en roue libre, autogéré par les médecins et dominé par le pouvoir biomédical, alors l’euthanasie serait le signe de cette impuissance. Quand les choix sont limités et les contraintes fortes, un faux consensus apparaît autour de solutions non désirées, non voulues, choisies presque à contrecœur mais qui finissent par s’imposer faute de mieux, à défaut d’autres solutions, par défaut de volonté politique.

De deux choses l’une : soit les politiques font face aux vrais problèmes et ennoblissent leurs fonction ; soit ils tergiversent, se paient de mot ou n’arrivent pas à agir et se discréditent encore un peu plus. Dans le premier cas, ils améliorent l’offre palliative, la qualité de l’accompagnement, favorisent la mort à domicile et font confiance aux ressources illimitées des derniers instants de la vie. Dans le second cas,  ils choisissent l’euthanasie comme si elle était LA solution ou comme si elle masquait encore un peu leur impuissance à agir. Que vont-ils faire ? Nous verrons bien. Ils en sont juge. Mais le peuple reste juge de leurs jugements.

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