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Un membre du personnel soignant dans un service dédié aux patients atteints par la Covid-19 au sein de l'hôpital Georges Pompidou, à Paris, le 6 avril 2021.
Un membre du personnel soignant dans un service dédié aux patients atteints par la Covid-19 au sein de l'hôpital Georges Pompidou, à Paris, le 6 avril 2021.
©Anne-Christine POUJOULAT / AFP

Le mal mourir

L'euthanasie et la fin de vie sont des enjeux majeurs au coeur de nombreux débats de la société française. Le "mal mourir" serait un fardeau pour notre système de santé.

Tugdual Derville

Tugdual Derville

Tugdual Derville est fondateur d’A Bras Ouverts, délégué général d’Alliance VITA et co-initiateur du Courant pour une écologie humaine. Son dernier livre, Le temps de l’Homme, est paru chez Plon en juin 2016. 

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Une étrange expression a fait irruption dans le débat public hexagonal depuis dix ans : le mal mourir. Antinomie étymologique du mot « euthanasie » (littéralement bonne mort ou mort douce), le mal mourir serait une maladie de notre système de santé ou plus généralement de notre société.

En France, on mourrait mal, pour certains « encore mal » et pour d’autres « de plus en plus ». Le professeur Didier Sicard a explicité ce constat en 2012 avec le rapport de sa Commission de réflexion sur la fin de vie en France remis au président de la République. Après de nombreux débats et une nouvelle loi, le constat serait-il inchangé ?

Soulignons d’emblée un paradoxe. Jamais les traitements antidouleur n’ont été aussi efficaces et répandus : grilles d’auto-évaluation, morphine, consultations spécialisées... Il reste certes à les améliorer et, surtout, à les rendre accessibles toujours et partout. Si certaines situations sont compliquées, il est faux d’affirmer que des cas ingérables mettraient en échec les équipes spécialisées : la médecine est outillée pour soulager les douleurs « réfractaires » (qui résistent à certains analgésiques), et intervenir pour prendre en compte l’inconfort ou l’angoisse liés à l’agonie. Les milliers de soignants interrogés par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs sur ce sujet l’ont récemment confirmé : les situations présentées comme « limite », c’est à dire plus difficiles à accompagner, ne sont pas dues à des impasses médicales mais à des problèmes d’organisation. Ces situations exceptionnelles - par exemple de douleurs chroniques, de grande dépendance, d’isolement - nécessitent un surcroît de moyens techniques et humains, de présence durable et de concertation interdisciplinaire.

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Le rapport Sicard avait déjà pointé les failles de notre système de santé tourné vers le succès thérapeutique au risque de retarder les soins et l’accompagnement, et de les faire passer au second plan : cloisonnement entre les services, manque de dialogue soignants-soignés, méconnaissance de la législation, développement insuffisant des soins palliatifs, assimilation, dans l’esprit de nos concitoyens, des EHPAD à des mouroirs.

Dix ans plus tard, qu’en est-il ? La pandémie a montré à quel point pouvait sévir un incontestable « mal mourir », sous l’effet de la panique, par défaut d’accompagnement, en raison de la mise à l’écart des proches et de la privation des rites de deuil. Nous sommes unanimes à crier : plus jamais ça !

Didier Sicard avait surtout pointé deux maux : « l’esquive de la mort » et « la mort sociale ». Nous avons conduit avec les équipes d’Alliance VITA, ces dernières années, plusieurs campagnes pour y répondre. L’enquête nationale « Parlons la mort » a ainsi permis de vérifier combien les Français ont besoin d’être entendus sur « ce que la mort d’un proche [leur] a appris sur la vie ». Ces conversations essentielles, conduites par mille volontaires, ont confirmé l’importance de ne pas faire silence sur la mort et le deuil. Au printemps 2021, près de neuf cents passants ont à nouveau été interrogés, cette fois sur ce qui s’est « bien passé » ou « mal passé » autour de fin de vie d’un proche. Trois grands constats synthétisent les réponses : cela s’est « bien passé » si l’on a pu être présent pour accompagner, si des soins appropriés ont pu être donnés jusqu’au bout et si l’on a pu participer aux rites de deuil. Sinon, aux yeux des Français, cela s’est « mal passé ».

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Nous ne pouvons ignorer que la revendication de l’euthanasie ou du suicide assisté nait d’expériences malheureuses qui donnent l’illusion qu’il n’est pas possible de mourir dignement sans que la mort soit « décidée ».

Fausse croyance, mais le mouvement des soins palliatifs peine à faire connaître son immense travail d’accompagnement, de soulagement et de consolation, cette bienfaisance que pourraient nous envier les générations passées. Hélas, le bien ne fait pas de bruit. A l’inverse, les Français sont régulièrement déstabilisés par les exposés de situations dramatiques qui présentent l’euthanasie ou le suicide comme LA solution, quand, par exemple, un patient français annonce recourir à l’euthanasie en Belgique en s’affirmant contraint à l’exil. Les écoutants de notre service d’aide SOS fin de vie constatent à chaque affaire médiatisée combien les personnes malades et celles qui traversent une crise suicidaire en sont fragilisées ! A-t-on réalisé que la désignation de pathologies éligibles à l’euthanasie (pour certains SLA et Parkinson voire Alzheimer) donne à ceux qui en sont atteints, à leurs soignants et à leurs proches un signal d’exclusion ? Et que dire de l’idée qu’il faudrait choisir entre acharnement thérapeutique et euthanasie - c’est à dire entre souffrir inutilement ou mourir paisiblement - qui s’impose dans les esprits ? C’est le type même du choix truqué qui, tout en niant la brutalité du suicide et de l’euthanasie, occulte la voie choisie par la France : toujours soulager mais sans tuer.

Auditionnés au Comité consultatif national d’éthique sur le sujet le 21 octobre, nous avons pu nous entendre sur un point parmi d’autres : l’enjeu est bien davantage culturel que strictement médical. Il faut changer de regard sur les personnes gravement malades, à l’image de Chantal Catant, infirmière et vice-présidente de JALMALV qui témoignait : « Je n’ai jamais vu un patient qui ne soit pas digne, digne d’être soigné, digne d’être aimé. »

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L’euthanasie fait son nid dans des peurs qui conduisent à l’idée contradictoire qu’une belle mort serait une mort à la fois « choisie », « subite » et « inconsciente ». Or, la grande peur du « mal mourir » ne peut être vaincue que si l’on humanise la mort, sans s’en faire complice. Cela suppose le consentement à l’imprévisible de sa survenue, la gestion au jour le jour de la complexité des situations, et la solidarité de tous. Tout cela doit être associé à la conviction que la mort fait partie de la vie : expérience universelle, événement social surtout, où se transmet la confiance dans le sens de l’existence, et où se montre la valeur des derniers instants de chacun. Ce « bien mourir » est incompatible avec l’individualisme. Aujourd’hui, avec plus de raisons encore qu’hier, toute la société doit se mobiliser pour que les mortels s’entraident jusqu’au terme naturel de leur vie.

Par Tugdual Derville, Porte-parole d’Alliance VITA

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