Hongrie, Pologne et respect de l’Etat de droit : le deux poids, deux mesures de la Commission européenne<!-- --> | Atlantico.fr
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Des drapeaux de l'Union européenne flottent devant le bâtiment de la Commission européenne à Bruxelles, le 16 juin 2022.
Des drapeaux de l'Union européenne flottent devant le bâtiment de la Commission européenne à Bruxelles, le 16 juin 2022.
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

État de droit

Le "plan de relance et de résilience" initié par l'Union Européenne a pour but de booster l'économie des États et d'atténuer les effets de la crise sanitaire. Ce plan a été validé pour la Pologne alors que la Hongrie en sera privée.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Initié en 2021, le « plan de relance et de résilience » est la plus grosse somme jamais débloquée par l’UE et elle est fortement attendue par les États pour booster leur économie et atténuer les effets de la crise sanitaire. Alors que la Pologne était dans le viseur de la Commission pour ses manquements à l’État de droit, elle a validé son plan de relance et il sera financé, ce qui n’est pas le cas de la Hongrie qui connaissait la même situation que son voisin. Y a-t-il un deux poids deux mesures sur l’attribution de cette somme ? Quelles différences de traitement connaissent-ils ?

Christophe Bouillaud : Par définition, il ne peut pas y avoir de la part de la Commission européenne deux poids deux mesures dans la validation de l’attribution de ces fonds européens. Cela lui est interdit par les Traités. Elle va bien sûr justifier sa décision par des arguments techniques renvoyant à ce qui a été défini en commun comme les objectifs de ce plan. Vu la complexité et le caractère finalement assez ouvert de ce qui est demandé aux Etats, ce n’est en fait pas très difficile de justifier un refus ou une acceptation, si on veut aider ou ennuyer un Etat membre. Et, dans le cas présent, il n’est pas très difficile d’y voir une sanction pour l’attitude guère conciliante de la Hongrie dans le cadre de la réaction de l’UE à la nouvelle invasion russe de l’Ukraine du 24 février 2022. 

Comment expliquer cette différence de traitement ? La guerre en Ukraine a-t-elle changé la vision de l’UE sur ces pays d’Europe centrale ?

Aussi bien la Pologne que la Hongrie se sont éloignés depuis quelques bonnes années de ce qui était attendue d’elles lors de leur adhésion à l’Union européenne : approfondir leur caractère démocratique et libéral. Sous l’influence de dirigeants nationalistes, c’est tout l’inverse qu’on a pu observer : une dé-démocratisation avec une volonté de museler les opposants, et des entorses de plus en plus nettes à l’Etat de droit. Les dernières élections hongroises ont montré à tout le monde que, si elles restent libres et pluralistes (plusieurs partis et liberté de vote des électeurs), elles ne sont plus du tout compétitives : en plus d’un mode de scrutin taillé sur mesure pour les deux partis qui soutiennent Orban (Fidesz et KDH), tous les petits et grands médias sont aux mains du pouvoir ou de ses alliés du secteur privé. Les opposants existent certes encore, mais ne peuvent plus espérer parler à l’électeur ordinaire. Il faut ajouter que les électeurs hongrois habitant dans les pays voisins peuvent aussi voter aux élections hongroises et constituent une réserve pour Orban.

En effet, il y a au moins deux différences essentielles entre ces deux pays. Tout d’abord, en Pologne, le nationalisme est essentiellement défensif. A ma connaissance, le parti au pouvoir et ses alliés ne remettent pas en cause les frontières actuelles de la Pologne,  il est surtout viscéralement antirusse ; à l’inverse, le nationalisme hongrois d’Orban est fondamentalement révisionniste, il caresse le rêve de reconstituer la Grande Hongrie d’avant 1914, avec du coup une entente fort médiocre avec tous les pays voisins, dont il récupérerait bien une partie à l’occasion : sud de la Slovaquie, Transylvanie roumaine, nord de la Croatie et de la Serbie, et même une partie de l’Ukraine. Evidemment, les fantasmes hongrois sont totalement incompatibles avec le savoir-vivre supposé entre Etats membres de l’Union européenne. C’est la base même depuis la fin des années 1940 : plus aucune revendication territoriale, même purement fantasmatique, sur le territoire de ses voisins. 

Ensuite, le régime d’Orban peut être aussi décrit comme une kleptocratie. Le capitalisme hongrois se résume en pratique aux affidés d’Orban. La situation en Pologne reste plus compliquée. La manipulation des structures capitalistiques de l’économie hongroise par Orban ressemble par contre beaucoup à ce qu’on observe dans la Fédération de Russie, et, probablement, la Hongrie n’est plus actuellement une économie de marché au sens fort du terme.

L’agression russe contre l’Ukraine n’a alors fait que radicaliser un jugement négatif montant au sein des instances européennes contre le dirigeant hongrois. Il faut rappeler que son parti, le Fidesz, avait été enfin exclu du Parti populaire européen l’année dernière, après des années à tenir un discours d’extrême-droite, aux limites de l’antisémitisme ouvert contre Georges Soros, complètement anti-fédéraliste, anti-bruxellois, et déjà pro-russe. A l’inverse, les dirigeants polonais en se montrant les meilleurs alliés de leurs voisins ukrainiens, ont pour ainsi dire compensé leurs défauts. Ils se sont surtout situés au centre d’une coalition de tous les pays européens ayant de mauvais souvenirs suite à des agressions russes : Suède, Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie,  République tchèque, Roumanie.  

Cette appréciation pose-t-elle la question d’une partialité du mécanisme de conditionnalité du fonds de relance ? Cela pourrait-il se voir avec d’autres outils européens ?

Ce n’est pas une question de partialité, mais une question de ligne politique. Il existe au sein de l’Union européenne une ligne politique représentée par les partis vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale et de la Guerre Froide : les libéraux, les conservateurs libéraux, les démocrates-chrétiens, et les socialistes. Il n’est pas illogique que ces partis qui dominent encore aujourd’hui la Commission européenne, le Conseil européen, et le Parlement européen n’aient pas très envie de financer un pays dirigé par un nationaliste conservateur aux ambitions révisionnistes et aux amitiés douteuses. On pourrait avoir la même réaction avec la Turquie ou la Serbie. C’est juste une politisation logique vu les enjeux actuels.  Il faut rappeler aussi que la Grèce dirigée par Syriza a été rappelé à l’ordre de belle manière en 2015. Ce n’est donc pas nouveau que cet usage politique d’instruments techniques pour imposer une ligne voulue par la majorité des dirigeants européens.

Plus largement, à quel point cela pose-t-il la question de l’arbitraire des décisions européennes et du relativisme des valeurs européennes ?

Au contraire, il me semble que refuser, au moins dans un premier temps, d’approuver le plan de relance et de résilience présenté par le gouvernement hongrois, est une façon de signaler aux dirigeants hongrois que leur rôle de cheval de Troie pro-Poutine commence à fatiguer sérieusement les autres pays membres. C’est plutôt une manière de rappeler à Budapest que les valeurs européennes, telles qu’inscrites par ailleurs dans les Traités et le droit européen, existent. 

Le vrai scandale de cette situation est le fait qu’Orban, en étant membre du Parti populaire européen (PPE), a réussi à construire sous les yeux de tout le monde une quasi-dictature dans un pays européen. Comme la direction essentiellement allemande du PPE voulait absolument disposer des voix des députés hongrois fidèles à Orban pour peser au Parlement européen, le PPE a tout accepté de se part, et il n’a jamais voulu s’associer aux autres partis européens pour ostraciser ce leader. Maintenant, c’est de nouveau la guerre en Ukraine, et l’Union européenne se retrouve avec un traitre en puissance dans les murs. Voilà encore un héritage Merkel dont les historiens ne manqueront pas de discuter. 

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