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Les hommes politiques les plus populaires sont-ils ceux qui ne prennent aucun risque ?
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La loi du silence

D'après un sondage publié le 26 mai par l'Ifop et le JDD, Jean-Marc Ayrault bénéficie d'une cote de popularité record (65% d'opinions favorables) dans l'opinion. Pour un homme politique relativement discret, est-ce une "prime" au consensualisme ? Les Français préfèrent-ils ceux qui restent prudents et effacés ?

Christian Delporte

Christian Delporte

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il dirige également la revue Le Temps des médias.

Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui on fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Il est par ailleurs Président de la Société pour l’histoire des médias et directeur de la revue Le Temps des médias. A son actif plusieurs ouvrages, dont Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine (avec Jean-François Sirinelli et Jean-Yves Mollier, PUF, 2010), et Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

 

Son dernier livre est intitulé "Come back, ou l'art de revenir en politique" (Flammarion, 2014).

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Atlantico : Selon le baromètre Ifop-JDD, Jean-Marc Ayrault est le Premier ministre le plus populaire de la Cinquième République (avec 65% des Français qui en sont satisfaits). Sachant que celui-ci vient d'être nommé, est-ce à dire que pour être un homme politique populaire, il convient avant tout de ne pas trop en dire, de rester consensuel ?

Christian Delporte : C’est une belle « cote », en effet, supérieure à celle de François Fillon, en 2007 (55%). Mais, sous la Ve République, d’autres ont fait mieux : Pierre Mauroy, en 1981, a commencé à 71% et Edouard Balladur, en 1993, à 73% ! Quand un nouveau gouvernement - issu d’une nouvelle majorité présidentielle -, se met en place, le premier réflexe des Français est de lui faire confiance. Sauf s’ils étaient Nantais ou suivaient de près les débats à l’Assemblée nationale, ils ne connaissaient pas Jean-Marc Ayrault, voici encore quelques semaines. Nous sommes dans un « entre deux » jusqu’aux législatives et, en matière de popularité, le moment décisif se situe toujours à l’automne quand l’opinion prend la mesure des premières initiatives. Alain Juppé l’avait appris à ses dépens, en 1995, lorsque Chirac avait décidé, d’emblée, d’abandonner la ligne de la « fracture sociale ». Sa popularité était tombée de 65% à 39% entre juin et octobre. Si les premières promesses ne sont pas tenues d’ici là, la sanction sera immédiate. Plus largement, l’omniprésence médiatique ne garantit pas la popularité ; bien au contraire. On attend d’un Premier ministre qu’il travaille et non qu’il apparaisse tous les jours à la télévision. Savoir se taire est souvent plus profitable que de parler trop. Au fond, les Français, qui rêvent confusément d’un gouvernement de « toutes les compétences », aiment, sinon la modération, du moins la pondération. A ce titre, ils plébiscitent toujours les Premiers ministres qui, par leurs propos ou leur comportement, évitent d’apparaître comme des chefs de clans.

Au-delà de Jean-Marc Ayrault, durant le quinquennat précédent, François Fillon - autre homme politique plutôt mesuré - fut globalement largement plus populaire que Nicolas Sarkozy considéré comme trop clivant...

Il ne fut cependant pas le seul Premier ministre plus populaire que le chef de l’Etat : ce fut le cas aussi de Michel Rocard et, durant quelque temps, de Jean-Pierre Raffarin, eux aussi deux « modérés » dans leur propre camp. Ce n’est pourtant pas la logique de la Ve République où le titulaire de Matignon doit servir d’écran au Président de la République et de « fusible » en cas de difficulté. Un Premier ministre est là pour s’user et épargner l’impopularité au chef de l’Etat. Nicolas Sarkozy a refusé un mécanisme conçu par le général de Gaulle et, au bout du compte, l’a payé cher. Il est tout à fait anormal qu’un Premier ministre soit plus populaire que le Président : c’est d’ailleurs pourquoi Mitterrand avait décidé, en 1991, de se débarrasser de Rocard. De Gaulle lui-même avait poussé à la démission Pompidou, jugé grand vainqueur de la crise de 68, pour éviter qu’il ne lui fasse de l’ombre. En quelque sorte, c’est Sarkozy qui a protégé Fillon. En le présentant comme simple « collaborateur », il l’a dédouané des échecs de son mandat. Fillon rassurait là où Sarkozy clivait. Ce qu’il disait n’était pas fondamentalement différent de ce qu’affirmait le Président de la République, dont il appliquait la politique. Mais, dans la forme, les Français distinguaient les deux hommes et étaient sensibles à la « modération » du Premier ministre. Si, aujourd’hui, Fillon n’est pas « carbonisé », s’il est le plus populaire des hommes de droite et peut espérer en devenir le leader, il le doit amplement au rôle subalterne dans lequel Sarkozy l’a cantonné pendant cinq ans.

Si les Français aiment les hommes politiques consensuels, voire lisses, est-ce encore possible de réformer en profondeur le pays, sachant que toute mesure véritable entraîne son lot de déçus ?

Etre pondéré ne veut pas dire être lisse ou mou. Etre consensuel ne signifie pas vouloir faire plaisir à tout le monde. Dans une démocratie, le débat précède la décision. Le pouvoir ne détient pas la vérité. En revanche, il a à décider, conformément au mandat reçu du suffrage universel et selon un calendrier qu’il fixe lui-même. C’est dans ce cadre-là que peuvent être envisagées d’éventuelles négociations sur des réformes fondamentales. Dans les démocraties du nord de l’Europe, de l’Allemagne à la Scandinavie, le temps de la négociation avec les partenaires sociaux est fondamental. Au bout du compte, on décide. Ce peut être douloureux, mais le temps accordé à l’échange évite les soubresauts qui divisent et paralysent la société lorsqu’on veut passer en force. Qui peut sérieusement affirmer qu’on a moins réformé, ces vingt dernières années, dans les démocraties du nord de l’Europe qu’en France ? Dans ces pays, la « modération » relève de la culture politique, et il ne viendrait à personne l’idée d’expliquer qu’elle se confond avec la mollesse ou l’immobilisme. On ne prétend pas non plus, comme chez nous, qu’un homme seul, fût-il Président de la République, va tout changer. Notre culture de l’homme providentiel explique, en partie au moins, la déception de l’opinion qui se traduit d’abord dans les sondages, ensuite lors des élections. Depuis 1981 (et exception faite de 2007 où Sarkozy incarnait la rupture dans son propre camp), toutes les majorités en place ont été désavouées dans les urnes !

Ce goût pour les hommes politiques consensuels est-il une exception française ?

Non, il est caractéristique des plus vieilles démocraties, même si les temps de crise mettent à mal la recherche du consensus et ouvrent la voie à tous les populismes. La France n’est d’ailleurs pas, dans l’histoire, le pays qui a le plus propulsé au pouvoir les « modérés ». Les Français croient au centrisme, mais ne le pratiquent pas. Ils encensent les centristes dans les sondages (de Simone Veil à François Bayrou), mais ne votent pas pour eux. En revanche, ils aiment les hommes de rassemblement et ceux qui paraissent pouvoir transcender les clivages droite/gauche. Si Chirac a perdu en 88, c’est qu’il semblait être l’homme d’un camp. S’il a gagné en 95, c’est parce que, devenu l’homme de la « fracture sociale », il ne faisait plus peur et paraissait pouvoir réconcilier les Français. De Gaulle l’avait compris en son temps en refusant toute étiquette politique.

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