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Mourir pour la France.
Pour défendre quelles valeurs ?
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Armée de métier

Hommage national ce mardi aux sept soldats français morts la semaine passée en Afghanistan. Pour la psychanalyste Sophie de Mijolla-Mellor, en s'identifiant à la patrie, ces soldats ont démontré "des valeurs complètement à contre-courant des valeurs marchandes dans lesquelles nous vivons aujourd'hui".

Sophie de Mijolla-Mellor

Sophie de Mijolla-Mellor

Sophie de Mijolla-Mellor est psychanalyste et professeur émérite à l'université Paris-Diderot. Elle est présidente de l'Association Internationale d'Interactions de la psychanalyse et dirige la revue Topique.

Elle a écrit La mort donnée, essai de psychanalyse sur le meurtre et la guerre (PUF, 2011).

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Atlantico : La cérémonie d'hommage national rendu aux sept soldats français tués la semaine dernière en Afghanistan a eu lieu ce mardi matin. Qu’en avez-vous pensé ?

Sophie de Mijolla-Mellor : Le discours de Nicolas Sarkozy m’a semblé classique mais intéressant et bien formulé. J’ai trouvé dangereux qu’il parle de « guerre juste » : toutes les guerres sont « justes » pour ceux qui combattent… des deux côtés et le risque des guerres supposées « justes » est d’être illimitées pour cette raison !

En ce qui concerne la mort des soldats, il s’agit malheureusement d’un événement qui se répète et on peut craindre qu’il soit amené à se répéter encore. Il faut rappeler toutefois quelques points qui vont au-delà de l’émotion légitime suscitée par la mort des soldats français. 

L’opération menée en Afghanistan ne correspond pas seulement à une mission humanitaire de protection : cette guerre est aussi un combat. Un combat en dehors des frontières, dont la fonction est d’assurer la sécurité à distance de l’Occident en général et de la France en particulier.

Comment analyser le sens de la guerre de ces soldats ainsi que leur rapport à la mort ?

Il s’agit de sacrifice. Ce terme signifie étymologiquement « rendre sacré ». Rendre sacré quoi ? Sa propre mort. Les soldats font ce choix. Ils donnent du sens à la mort. Cela correspond à la fois à donner la mort, mais aussi à être prêt à la recevoir ; même s’il est bien évident qu’ils ne la cherchent pas. Il s’agit en fait d’une auto-réalisation sacrificielle qui existe probablement depuis la nuit des temps.

Ce qui se passe aujourd’hui pour ces jeunes soldats en Afghanistan correspond à ce qu’ont vécu dans le passé les héros de l’Iliade d’Homère. Ce qui est très curieux c’est qu’on retrouve la notion grecque de « belle mort », l’idée qu’ils échappent à la mort - à la mort biologique - en l’acceptant. Ils restent ainsi éternellement jeunes : tous ceux qui sont morts en Afghanistan ont moins de 40 ans. La mort héroïque est un choix.

Ce qui a changé, c’est l’attitude des gens. Ce mardi matin, nous avons eu une émotion intense pour la mort de sept soldats français. A Verdun, il y a eu 1000 morts au mètre carré en un an en 1916, tous belligérants confondus. On a du mal à se le représenter aujourd’hui.

La mort est-elle devenue intolérable, même pour les soldats ?

Non, je ne crois pas du tout. Chez les Saint-Cyriens, par exemple, c’est un choix tout à fait conscient. Pas le choix de la mort, bien-sûr. Mais le choix du combat, dont la mort fait partie. Il suffit d’écouter les chants militaires. Il existe une idéologie du sacrifice qui d’une certaine mesure n’a pas d’époque, même si aujourd’hui la guerre devient de plus en plus technique, anonyme voire déshumanisée les hommes étant remplacés par des drones qui tuent à distance.

Comment les soldats font-ils pour accepter ce risque permanent de mort ?

Il existe plusieurs niveaux d’attachement. Le premier c’est le groupe de camarades, le régiment, comme on a pu le voir aussi par la présence d’anciens combattants lors de l’hommage de ce mardi matin. Le régiment devient presque plus fort que la famille. Il y a une extension de soi au niveau du groupe.

Au-delà, il existe l’appartenance à l’armée : celle-ci n’est pas seulement au service de la nation, elle en est l’expression même. Les soldats qui ont fait le choix de le devenir sont fiers d’y appartenir et même si toutes ces valeurs ont été ternies au moment de la Guerre d’Algérie, ce sentiment reste fort.

Que penser de la phrase de Nicolas Sarkozy lancée aux soldats décédés : « vous n’êtes pas morts pour rien, vous êtes morts pour une grande cause » ?

Les gens ont tous présents à l’esprit le retrait des troupes. Celui qui meurt à la fin d’une guerre voit son destin intervenir trop tôt…

Mais il s’agit là d’une vision de civil. Le militaire s’il n’est pas mort à cet endroit, pourra rencontrer la mort ailleurs, sur un autre champ de bataille. Le militaire ne meurt jamais « pour rien ». Il meurt pour une raison précise : parce qu’il a fait le choix de s’identifier à des valeurs groupales plutôt qu’individuelles, de s’identifier à la patrie, et de choisir de donner un sens à sa vie et à sa mort par cette identification.

Ces valeurs ne sont-elles pas finalement peu en rapport avec les valeurs de notre époque ?

J’irais même plus loin : ce sont des valeurs complètement à contre-courant des valeurs marchandes dans lesquelles nous vivons aujourd'hui. Ils font un choix qui implique la croyance, qu’ils se réaliseront mieux en s’identifiant à cette identité un peu abstraite qu’est la France (qui a tout de même une histoire) plutôt qu’en occupant une autre fonction, un autre métier.

C’est un choix individuel et il y aura toujours des gens pour le faire, de même qu’il existe des prêtres ou des médecins. Aura-t-on toujours besoin d’une armée ? Je crois bien que oui ; je ne crois pas beaucoup à la paix perpétuelle… Bien-sûr, l’armée se restreindra sans doute et deviendra de plus en plus technique. Peut-être n’impliquera-t-elle plus de morts au combat ; on le voit avec les drones d’aujourd’hui. L’héroïsme sera alors moins de mise.

Peut-on donc déceler une sorte de cynisme des politiques dans l’utilisation de ces soldats, morts en défendant des valeurs marchandes opposées à leur sens du sacrifice ?

On peut penser les choses ainsi, mais je pense que cela a toujours été le cas. L’évolution actuelle c’est qu’il s’agit de soldats de métier. Personne ne les a obligés à choisir ce métier. Ils l’ont choisi par idéalisme, pour des raisons personnelles tout à fait honorables.

Est-ce qu’il existe du cynisme à utiliser leur idéalisme ? Il me semble que la société ne fait que ça, que ce soit pour les soldats ou, plus pacifiquement, pour les bénévoles dans les associations humanitaires. La question n’est donc pas celle de l’armée ou du soldat, mais des choix politiques qui dans une démocratie sont, en principe, ceux de tous.

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