Hommage aux victimes : pourquoi l’unité nationale exprimée le 27 novembre n’a plus grand-chose à voir avec celle du 11 janvier <!-- --> | Atlantico.fr
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La France rend une nouvelle fois hommage à ses victimes du terrorisme.
La France rend une nouvelle fois hommage à ses victimes du terrorisme.
©Reuters

Tous ensemble

Vendredi 27 novembre est un jour consacré à l'hommage national aux victimes des attaques terroristes qui ont ensanglanté Paris le 13 novembre. Dix mois après la grande marche du 11 janvier, l'unité nationale est une nouvelle fois en jeu : la commémoration, si elle contribue à rassembler, ne saurait créer l'union et fédérer l'ensemble des opinions.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Après la marche du 11 janvier, la France rend une nouvelle fois hommage à ses victimes du terrorisme. En quoi ces deux événements ont une signification différente, et qu'ont-ils en commun, dans cette recherche de l'unité nationale affichée par le Président?

Christophe De Voogdt : Il faut d’abord faire la part des circonstances : une grande manifestation du genre 11 janvier est aujourd’hui exclue pour des raisons de sécurité, puisque tout le monde est désormais une cible. Il faut pour les mêmes raisons saluer l’inventivité du Président, toujours sous-estimé à gauche comme à droite : son sens de l’adaptation aux circonstances est admirable avec son choix de l’hommage aux Invalides. De là à dire que c’est un parfait "symbole républicain" comme le proclame l’Elysée, il y a de quoi faire sourire l’historien. Comme symbole républicain, il y a mieux que l’hospice de soldats réformés de la Monarchie et le tombeau de Napoléon ! Mais, politiquement, la manoeuvre est habile : que de temps gagné (2 semaines pleines) sur une campagne des régionales fort mal engagée pour le PS : "le silence respectueux des victimes" tombe à pic pour tant de candidats qui n’avaient rien à dire… 

Mais l’essentiel est ailleurs : contrairement à ce qu’on lit partout, le 13 novembre est tout entier contenu dans le 11 janvier : c’est le propre du totalitarisme et la grande leçon de Hannah Arendt : on commence par les journalistes et les juifs, on continue par "M. tout le monde". L’enchaînement est implacable entre une idéologie infernale et une violence sans limite : "on ne peut pas poser A sans poser B et C, et ainsi de suite jusqu’à la fin de l’alphabet du meurtre" disait Arendt. C’est en cela que les demi-mesures prises et surtout non prises depuis janvier sont inexcusables : il suffisait de lire Arendt ! Nul besoin d’experts et de consultants. "Mieux vaut tard que jamais" lit-on partout. Mais mieux vaut tôt que trop tard ! Trop tard en l’occurrence pour 130 victimes.

Bertrand Vergely : À part une volonté de punir la France en lui faisant mal, ces deux attentats apparaissent comme fort différents. Dans l’intention d’abord. Avec l’attentat du 7 Janvier on est dans une logique du châtiment consistant à châtier les journalistes coupables de caricaturer le prophète et de ne se moquer de l’islam.  Avec les attentats du 13 Novembre on est dans une logique de la terreur pure consistant à tuer à l’aveugle des jeunes dans une salle de concert ou dans des cafés. Du 7 Janvier au 13 Novembre, la violence monte d’un cran. Dans la forme par ailleurs, l’atmosphère n’est pas la même. Lors du 7 janvier, la réaction qui voit le jour s’inscrit dans une défense de la culture et de la liberté à travers un slogan "Je suis Charlie".  Avec le 13 Novembre, la réaction qui voit le jour s’inscrit dans la défense du simple fait de pouvoir vivre. il y a bien eu des tentatives pour lancer comme slogan "Je suis Paris". En vain. La phrase qui ressort est "La vie sera pus forte que la mort". On n’est plus dans le registre de la liberté mais de la nécessité. Lors du 7 Janvier, le ton est à la polémique. On débat autour de la question du droit au blasphème ainsi que du fait de savoir si l’on ira manifester le 11 Janvier aux côtés de Marine Le Pen ou pas. Avec le 13 Novembre, plus question de polémique ni de débat. L’heure est à la gravité. L’important n’est plus de savoir si l’on va être Charlie ou pas mais si l’on va être tout court. Si la violence monte d’un cran en passant du châtiment à la terreur, la pensée progresse aussi d’un cran.

Les annonces faites par le chef de l'Etat depuis le 13 novembre sont-elles suffisantes pour former un projet permettant la réalisation de l'union nationale ? 

Christophe De Voogdt : Nécessaires assurément, mais en aucun cas suffisantes : ces propositions sont jusqu’à aujourd’hui largement rhétoriques au mauvais sens du terme. Un peu de Saint Thomas ne ferait pas de mal : ne croire que ce que l’on voit. Or si on les regarde bien, ces mesures (notamment toutes celles reprises par "triangulation" à la droite ou au FN) sont remises à plus tard et soumises à l’examen du  Parlement, du Conseil d’Etat et du Conseil Constitutionnel. Un seul exemple : à ce jour une seule fermeture de mosquée salafiste. Et nous en sommes à 6 déchéances de la nationalité depuis … 1973 ! Quant aux créations de postes annoncées par milliers, il faudrait s’aviser que cela prend au moins deux ans, entre recrutement et formation. Or, malgré la confusion complaisamment entretenue, la sécurité n’a pas besoin de fonctionnaires mais de professionnels. La seule mesure efficace a été l’état d’urgence, mais le Premier ministre lui-même a reconnu que les risques d’inconstitutionnalité étaient grands. Traduction : les procédures en cours sont fragiles et pourront être largement annulées, dès que la justice reprendra son cours "normal". 

Bertrand Vergely : En prenant des mesures militaires et en empruntant une posture martiale c’est ce qu’a fait François hollande. Ayant l’attitude juste qui consiste à nommer ce qui est sans faux fuyant, il a fait l’unanimité sous la forme d’une unanimité de bon sens.  On ne se laisse pas marcher sur les pieds. Tout le monde se reconnaît dans cette exigence minimale. Est-ce suffisant pour créer de l’unité nationale ? Non, bien sûr.  

Quel serait le contenu, quel serait le projet, nécessaire à la réalisation de l'unité du pays ?

Christophe De Voogdt : Question qui relève davantage des partis que des intellectuels, excellents dans l’analyse mais faibles dans les propositions ! Tout dépend encore une fois de la définition de "l’unité nationale". Celle-ci peut signifier trois choses : l’union sacrée, c’est à dire le partage du pouvoir : ni la droite ni la gauche n’en veulent ; le consensus des partis autour d’un agenda politique précis : nous retombons sur les ambiguïtés des annonces gouvernementales ; enfin la cohésion du peuple lui-même : ce qui demanderait une écoute et une pédagogie sur ce qu’est et peut être la France, sujet sur lequel le début du commencement d’une réponse sérieuse n’est pas encore amorcé ! Les "valeurs républicaines" sont à géométrie variable, de la laïcité à la nationalité. Une piste : pourquoi toujours l’un OU l’autre ? la France a une culture forte ET ouverte. Et cela depuis le Moyen Âge, comme l’avait si bien vu l’historien Marc Bloch.. 

Bertrand Vergely : Il faut fédérer les intelligences et les talents de ce pays. Retrouver le sens de l’excellence. De l’exploit individuel ; Retrouver l’héroïsme du quotidien et le souci des belles choses, des belles personnes, des belles actions. La France est une spiritualité liée à son génie. Elle est la patrie de la civilisation de la culture de l’esprit. Il faut retrouver ce goût pour la culture et la civilisation. Et, pour cela, permettre aux créateurs de créer. Un projet pour demain ? Pratiquer l’excellence. Résister à la médiocrité et à la bêtise. 

Qui sont, et que sont, encore aujourd'hui, les points qui freinent à la réalisation d'une telle unité au sein du pays ?

Christophe De Voogdt : Evidemment le scrutin majoritaire qui divise le pays en deux, désormais trois camps, qui pensent tous avoir leur chance de l’emporter seuls. Les partis sont des "entreprises politiques" à l’américaine, (l’analyse remonte à Max Weber !) qui veulent la totalité du pouvoir sur le marché politique. A quoi s’ajoutent les médias qui naturellement préfèrent les duels, les antagonismes, les conflits de personnes, recettes obligatoires de toute dramaturgie réussie. Il faudrait un autre traumatisme majeur (qui peut l’exclure ? Et qui peut le souhaiter ?) pour passer à la véritable "union sacrée".

Bertrand Vergely : La volonté d’avoir le dernier mot en ne cherchant pas l’intelligence mais le pouvoir. Le sens donc de la nécessité vitale. Nous sommes confrontés à cette question. Être ou ne pas être questionne Hamlet ? Il faut oser l’être, l’être étant la conscience profonde, miraculeuse de l’existence. L’avenir est à l’intelligence.

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