Hollande aux antipodes : pourquoi le Pacifique du Sud est une zone qui compte pour la France<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande se rend ce mardi 18 novembre en Australie pour une visite d'Etat.
François Hollande se rend ce mardi 18 novembre en Australie pour une visite d'Etat.
©Reuters

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François Hollande se rend ce mardi 18 novembre en Australie pour une visite d'Etat, une grande première pour un président français.

Nathalie Mrgudovic

Nathalie Mrgudovic

Nathalie Mrgudovic est enseignante-chercheur à l'Université d'Aston (Birmingham, Grande-Bretagne). Spécialiste de la présence française dans le Pacifique Sud, elle est l'auteur, notamment, de La France dans le Pacifique Sud. Les enjeux de la Puissance, Préface de Michel Rocard (L'Harmattan, 2008).

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Atlantico : Quels sont les grands enjeux de ce déplacement et les intérêts français dans le Pacifique Sud ?

Nathalie Mrgudovic : La France a plusieurs intérêts dans le Pacifique. Mais il lui faut avant tout maintenir la bonne image qu'elle a établie en 1988 grâce à Michel Rocard, lorsque ce dernier a mis en place les Accords de Matignon-Oudinot en Nouvelle-Calédonie. Le fait que la France cherche la réconciliation et le rétablissement du dialogue en Nouvelle-Calédonie a contribué à améliorer l'image du pays dans le Pacifique. La France avait mauvaise réputation notamment en raison des essais nucléaires pratiqués dans la région, sans compter l'affaire du Rainbow Warrior.

L'issue proposée par la France à ce qui était à l'époque une quasi guerre civile, était pacifique, constructive, basée sur le dialogue, et prenait en compte les demandes de part et d'autres. Cela a contribué au renforcement des relations extérieures de la France dans la région et a permis le  lancement d'une politique d’intégration des territoires français dans la région.

Parallèlement à la politique menée par Rocard en Nouvelle-Calédonie, la France a mis fin aux essais nucléaires en Polynésie francaise en 1996. Nous n'avons plus l'image d'une puissance polluante, autoritaire et colonialiste qui refuse à ses territoires la parole et le droit de s'exprimer sur une éventuelle indépendance. L'amélioration de notre image a joué un rôle crucial dans nos relations dans le Pacifique et nous misons toujours sur cet aspect. Cette bonne image nous la jouons également à travers un développement de plus en plus poussé de l'intégration de nos territoires dans la région, notamment avec l'Australie et Nouvelle-Zélande, qui sont demandeurs depuis fort longtemps. La Nouvelle-Calédonie a un PIB supérieur à celui de la Nouvelle-Zélande. Nous sommes donc des bons clients potentiels pour la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Mais la Nouvelle-Calédonie traîne  à développer ses relations commerciales avec la région. La France a pourtant lâché la bride depuis une dizaine d'années dans ses territoires et pousse vers cette politique d'intégration régionale.

La France a développé de plus en plus des politiques de coopération en termes d'aides au développement mais aussi de coopération militaire. Avec l'Australie et la Nouvelle Zélande mais aussi avec les Etats insulaires pour les former et les aider notamment pour la surveillance de leurs zones économiques exclusives (ZEE). Car ces ZEE sont des sources de richesses pour ces petits Etats qui n'ont pas toujours les moyens d'exploiter leurs eaux territoriales pour la pêche mais qui peuvent les louer à des puissances extérieures. Malheureusement, il y a pas mal de piratage et ces petits états insulaires n'ont pas toujours les moyens de surveiller leurs eaux, d’où l’appréciatin de l’aide de la France en la matière. Même chose pour l’aide fournie, aux côtés des Australiens et Néo-Zélandais en cas de catastrophes naturelles.

François Hollande sera accompagné d'une délégation de dirigeants d'entreprise français. Quel est actuellement l'état des relations de la France avec les puissances du Pacifique ? Comment qualifier sa position ?

En Australie, nous avons beaucoup d'accords commerciaux qui ne sont pas toujours affichés au grand jour, notamment en raison d'un passé aux relations tendues. Les Australiens ne sont pas toujours enthousiastes à l'idée que des entreprises extérieures et notamment françaises soient des acteurs de taille dans certains secteurs clés comme le transport ou l'eau, secteurs où la France, des entreprises françaises ont effectué de gros investissements, notamment à Sydney. Nous sommes discrets mais bien présents. De même, nous avons longtemps été un important client des ressources minières de l'Australie, et plus spécifiquement de l’uranium australien. Notamment dans les années 1908, 1990. Si cela ne représentait pas grand-chose en termes d’importations pour la France , pour l'Australie cela n’était pas négligeable du tout. C'était une façon de nous assurer de l'approche favorable de l'Australie à notre présence dans la région. Le fait est aussi que, contrairement à l'Australie et à la Nouvelle Zélande , nous sommes Européens et que nous avons un pouvoir relativement important  pour inciter Bruxelles à mettre en oeuvre ou développer des  politiques de coopération et d'aide au développement dans la région.

Notre politique de coopération et d'aide dans la région est vue d'un bon œil. La présence de la France non pas en tant que puissance extérieure mais plutôt comme une puissance DANS la région et en partie DE la région est désormais reconnue et admise. Cela nous confère une crédibilité que les autres puissances extérieures n'ont pas. Nous sommes membres des organisations régionales. Par exemple nous sommes membre à part entière de la CPS (anciennement Commission du Pacifique Sud, aujourd'hui Secrétariat général de la communauté du Pacifique). Nous en sommes membre depuis sa création en 1947. Concernant l'organisation politique de la région, le Forum des Iles du Pacifique (FIP), La France n’a pas le droit d'y être membre car seuls les Etats indépendants du Pacifique y sont autorisés mais les territoires français de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française y sont membres associés. Wallis et Futuna n'est encore qu'observateur. Ils deviendront certainement membres à part entière dans très peu de temps car ils ont notamment un potentiel de participation au budget à cette organisation qui est loin d’être négligeable et dot elle a grandement besoin. Dans tous les autres projets de coopération comme la lutte contre la montée du niveau de la mer ou le développement de l'économie verte, la France, ainsi que ses territoires ont un rôle important à  jouer.

Autre point sur lequel la France a à gagner, est que presque tous les Etats du Pacifique Sud sont membres de l'ONU et donc ils y votent ! Dès lors, les relations que la France entretient avec ces États insulaires du Pacifique Sud, que ce soit au niveau bilatéral ou multilatéral, est stratégique. La France a parfois tout intérêt à avoir un maximum d'Etats en faveur de résolutions qu'elle peut proposer ou qu’elle souhaite voir passer ou bloquer.  Elle  entretient ces relations notamment par le biais d’accords régionaux ou de participation à des groupes régionaux  comme le Groupe du Fer de Lance Mélanésien par exemple. La France n'en est pas membre, ni (encore) la Nouvelle-Calédonie mais le Front de Libération National Kanak et Socialiste (FLNKS) si. Et ça c’est un outil de géostratégie  très important.

François Hollande s'est  rendu en Nouvelle Calédonie entre le sommet du G20 et cette visite en Australie. Alors qu'un le référendum d'auto-détermination devrait se dérouler avant 2018, quel est aujourd'hui le rôle de ce territoire dans la région à la fois en termes d'enjeux militaires mais aussi commerciaux ?

Il faut analyser la Nouvelle Calédonie à trois niveaux : un niveau régional, un niveau  français et un niveau européen. Et ce territoire joue sur ces trois niveaux. La Nouvelle Calédonie joue la carte de l'océanité car c'est un territoire du Pacifique sud à part entière du fait de sa population kanak et caldoche car ces derniers y sont depuis  plus de 150 ans et leur légitimité y est aussi forte que celle des Australiens et des Néo-Zélandais chez eux. Au niveau régional, la Nouvelle Calédonie est de plus en plus active du fait que la France ait poussé les territoires dans cette politique d’intégration régionale (notamment à travers les Accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa). Par exemple, la Nouvelle Calédonie, la Polynésie française et Wallis et Futuna sont des membres à part entière de la CPS depuis 1983. Au sein du Forum, ces territoires sont membres associés ou observateurs. Ce qui marque un grand pas en termes de reconnaissance de ces territoires dans la région. La Polynésie francaise, Wallis et Futuna, mais surtout la Calédonie jouent un rôle dans l’aide au développement, de coopération, en matière scientifique ou d'éducation par exemple. La Calédonie a notamment de nombreux accords de partenariats avec le Vanuatu. Enfin ces trois territoires ont de statut européen de  PTOM (Pays et Territoires d’Outre-mer) plus important que celui d’ACP (Afrique-Caraïbes-Pacfique) de leurs voisins. Cela leur donne un poids supplémentaire dans leurs relations avec le reste des États de la région qui peuvent voir en eux des relais utiles à Bruxelles.

Sur l'aspect commercial les échanges se font davantage avec l'Australie et la Nouvelle Zélande. Mais le problème est qu'en matière d'importation, la Calédonie est régie par des règles sanitaires très strictes. Les deux grands, l'Australie et la Nouvelle Zélande, essayent depuis de nombreuses années d'obtenir que la Nouvelle Calédonie assouplisse ces mesures mais cette dernière traîne les pieds. En entrant dans les organisations régionales ou subrégionales,  c’est plus là peut-être qu’elle  peut y jouer un rôle. Et ca lui ets possible grâce à son statut de large autonomie et un statut évolutif vers un référendum d'autodétermination entre 2014 et 2018. Les institutions calédoniennes en accords avec les autorités françaises préciseront ce projet qui avancera je pense vers un statut proche de celui que connaissent les îles Cook, un statut de "self government in free association". Dans ce cas, le territoire reste rattaché à l'Etat souverain mais avec une autonomie extrême qui lui permet d'être membre des organisations internationales et de développer son commerce et sa polituqe extérieure tout en restant lié à la ‘mère patrie’ pour les politiques de défense, etc. Les relations qui existent entre les îles Cook et la Nouvelle Zélande pourraient donc servir de modèle dans une certaine mesure. La volonté d'afficher sa souveraineté serait préservée et c'est quelque chose d'essentiel pour les indépendantistes de Nouvelle Calédonie, tout en permettant de conserver le lien avec la France.

Comment la France utilise-t-elle son ancrage dans le Pacifique ?

Il faut faire la différence entre les puissances régionales comme l'Australie et la Nouvelle Zélande et les puissances globales comme les Etats-Unis, la Chine, la Russie, voire l'Inde.

Les puissances régionales sont de vraies partenaires et même si la France ne se dit pas du Pacifique, elle est en partie légitime dans cette région. L'Australie et la Nouvelle Zélande reconnaissent et favorisent cette présence, et pas seulement celle des territoires mais bien celle de la France dans son ensemble.  Pour ce qui est des puissances extérieures, il n'y a pas de véritables intérêts pour la France à jouer sa carte océanienne. Certes, elle est une présence dans la région ce qui lui permet d'être à la tête d'une ZEE extrêmement vaste, et qui s'ajoute à celle de tous les territoires d'Outre-mer dans le monde entier et  place le pays au rang de la 2e puissance maritime mondiale. Il s'agit d'un potentiel de richesses exceptionnel, notamment pour une exploitation future pétrolière et gazière offshores. La France ne l'a pas encore fait pour le moment mais elle va devoir investir car cela représentera une source de richesse énorme. Et je le rappelle, face aux puissances extérieures, ce sont nos relations directes avec les Etats de la région qui sont un de nos atouts, notamment lorsqu'il s'agit de voter à l'ONU.  

Propos recueillis par Carole Dieterich

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