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Hausse des prix mais fondamentaux qui poussent à la baisse : ces grands paradoxes du marché du pétrole
©Thomas COEX / AFP

Economie mondiale

Depuis la fin de l'année 2018, les prix du baril du pétrole ont connu une forte progression pour atteindre à nouveau un seuil de 70$.

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Francis Perrin

Francis Perrin

Francis Perrin est directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, Paris) et chercheur associé au Policy Center for the New South (PCNS, Rabat).

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Atlantico : En quoi cette nouvelle hausse du prix du baril apparaît paradoxale dans un environnement laissant entendre que le bassin permien, aux Etats-Unis, devrait être en capacité de faire progresser l'offre de près de 5 millions de barils/jours d'ici à la fin 2022 ? En quoi une telle capacité pourrait-elle signaler une possibilité de prix bas durables pour l'avenir ? 

Jean-Pierre Favennec : Les variations du prix du pétrole au cours des derniers mois sont impressionnantes. Après avoir atteint 85 dollars début Octobre 2018 (pétrole Brent), les opérateurs, anticipant les sanctions américaines sur l'Iran et donc un arrêt des exportations de brut iranien et un manque de pétrole brut sur les marchés, le prix du brut est tombé à 50 dollars vers Noël. Explication : Donald Trump a fait pression sur l'Arabie Saoudite et la Russie pour qu'ils augmentent leur production et surtout, pour éviter une augmentation du prix de l'essence au moment des élections de mid term, décisives pour la politique américaine. Le président américain  a, à la surprise générale, mis en place des "waivers", exemptions des sanctions, permettant à l'Iran de continuer à exporter son brut vers 8 pays dont la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, la Turquie, la Grèce et l'Italie. Le marché, très suffisamment approvisionné a alors provoqué une chute des prix. 

Les producteurs de pétrole, face à cette chute des prix, ont repris leurs mesures de réduction de la production. On se souviendra également que les investissements dans de nouveaux projets pétroliers (recherche, mise en production de nouveaux gisements) sont au plus bas depuis 2014, ce qui fait craindre une diminution de la production de pétrole à terme alors que la demande continue à croître en particulier dans les pays émergents.

La grande inconnue est la production de pétroles de schistes américains, en particulier dans le prolifique champ du permien. Dans ce bassin la production est prévue augmenter très sensiblement en particulier si le prix du baril se maintient à un niveau proche du niveau actuel. Une forte augmentation de la production de pétrole de schistes pourrait jouer un rôle important sur les prix.

Francis Perrin : Le prix du Brent produit en mer du Nord a dépassé le seuil des $71 par baril le 8 avril à Londres et la hausse depuis la fin 2018 est de près de 35%. C'est le résultat de la hausse de la demande pétrolière mondiale, de la réduction de la production de l'OPEP et de dix pays non-OPEP dont la Russie, des sanctions américaines contre l'Iran, de l'effondrement du Venezuela, des espoirs sur les marchés quant à un accord commercial entre les Etats-Unis et la Chine et, tout récemment, du regain des tensions militaires en Libye. Ce sont des facteurs de court terme et ceux-ci pèsent d'un poids considérable sur les marchés pétroliers.

Pour le moyen terme à présent, nous avons effectivement la perspective d'une forte hausse de la production pétrolière des Etats-Unis qui, selon l'Agence Internationale de l'Energie (AIE), pourrait augmenter de 4 millions de barils par jour (Mb/j) entre 2018 et 2024. De plus, d'autres pays verront leur production croître dans cette période: le Brésil, l'Irak, la Norvège, les Emirats Arabes Unis sans oublier le cas du Guyana, en Amérique du Sud, qui deviendra un producteur et exportateur de pétrole au début 2020.

Cela ne veut cependant pas dire que les prix du pétrole vont forcément baisser à moyen terme car il ne faut pas oublier la demande. Selon l'AIE, elle pourrait être supérieure de 7 Mb/j en 2024 à son niveau de 2018. Nous vivons dans un monde qui continue à consommer chaque année plus de pétrole du fait du poids des pays émergents et en développement et ce n'est pas fini. Il est donc trop tôt pour annoncer une baisse durable des cours de l'or noir.

Ne peut on pas également voir un paradoxe découler d'une volonté des pouvoirs publics de réduire la dépendance des ménages et des entreprises des produits pétroliers, et ainsi de pousser les prix vers le bas, rendant l'incitation paradoxale ? 

Jean-Pierre Favennec : En Europe et en France, la consommation de produits pétroliers diminue (elle augmente au contraire dans la plupart des pays non - européens). La volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre et en particulier les émissions de CO2 conduit à des politiques qui ont pour objectif de réduire la consommation d'énergies fossiles.
Mais des politiques sont surtout à l'oeuvre dans les pays européens. Dans les pays émergents, même si la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre existe, les besoins en hydrocarbures augmentent et cette augmentation provoque une hausse tendancielle du prix du brut

Francis Perrin : Cette volonté existe en effet, notamment en lien avec la lutte contre le changement climatique. C'est un élément à prendre en compte dans une analyse portant sur le long terme et le très long terme. Mais, à court et à moyen terme, la consommation pétrolière mondiale va continuer à augmenter en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique Latine. Or, le poids des pays émergents et en développement dans l'économie mondiale est tel aujourd'hui qu'ils suffisent à tirer à la hausse la consommation pétrolière mondiale. Certes, en France et en Europe, la consommation pétrolière n'augmente plus et elle peut même baisser mais il ne faut pas penser que nous soyons actuellement le centre du monde économique, pétrolier et énergétique. Ce serait une grave erreur.

Peut-on estimer, au regard de ces transformations concernant aussi bien l'offre que la demande, que les équilibres pétroliers vont se trouver effectivement bouleversé durant les prochaines années ? 

Jean-Pierre Favennec : Il y aura certainement des modifications importantes dans les prochaines années. Du coté de l'offre, si la production de la Libye ou du Venezuela est en chute, le potentiel des schistes américains est très important. Du coté de la demande, si la croissance des pays émergents entraîne une croissance de la demande d'énergie et de pétrole, des mesures visant à la limitation de la pollution et des émissions de CO2, le développement des véhicules électriques pourraient à terme amener à une stabilisation de la demande de pétrole

Francis Perrin : Il y a plusieurs évolutions très importantes sur les marchés pétroliers mondiaux et la hausse de la production pétrolière des Etats-Unis depuis 2008, grâce au pétrole non conventionnel, est sans aucun doute un aspect majeur. Sans cela, les prix du brut seraient aujourd'hui beaucoup plus élevés. Et, si la consommation pétrolière n'était pas encore orientée à la hausse, ces prix seraient beaucoup plus bas. N'oublions pas non plus les stratégies de l'OPEP et de ses alliés non-OPEP et les troubles géopolitiques (Iran, Venezuela, Libye, etc.). Tous ces facteurs sont dominants dans le court et le moyen terme.

Dans le long et le très long terme, le facteur climatique prendra de plus en plus d'importance. La consommation pétrolière mondiale ne continuera pas à augmenter jusqu'à la fin des temps. La grande question est de savoir quand nous atteindrons une phase de plateau de cette consommation: 2030, 2035, 2040 ou au-delà ? Les paris sont ouverts. Mais, ce qui est sûr, c'est que l'on n'a pas encore fini de parler des fluctuations des prix du brut à la baisse et à la hausse pendant de nombreuses années.

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