Harcèlement scolaire : que sait-on vraiment des motivations des harceleurs d’aujourd’hui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des parents, des amis et des personnes en deuil de Lindsay lors d'une marche commémorative en mémoire de Lindsay, 13 ans, qui s'est suicidée à la suite d'un harcèlement scolaire, à Vendin-le-Vieil, dans le nord de la France, le 18 juin 2023.
Des parents, des amis et des personnes en deuil de Lindsay lors d'une marche commémorative en mémoire de Lindsay, 13 ans, qui s'est suicidée à la suite d'un harcèlement scolaire, à Vendin-le-Vieil, dans le nord de la France, le 18 juin 2023.
©DENIS CHARLET / AFP

Pas de profil type

Elisabeth Borne doit présenter ce mercredi le plan interministériel de lutte contre le harcèlement scolaire.

Nicole Catheline

Nicole Catheline

Nicole Catheline, pédopsychiatre, praticien hospitalier, a créé à Poitiers un centre spécialisé pour enfants et adolescents déscolarisés. Elle est la « psy » française spécialiste de la scolarité.
 
Auteur de Psychopathologie de la scolarité (Masson, 2013), Harcèlements à l'école (Albin Michel, 2008), Ces adolescents qui évitent de penser, avec Daniel Marcelli (Eres, Toulouse, 2011).

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Atlantico : La question du harcèlement scolaire refait malheureusement surface dans l'actualité. Dans ce contexte, Elisabeth Borne doit présenter ce mercredi le plan interministériel de lutte contre le harcèlement scolaire. Pour mieux appréhender le processus de harcèlement, il est crucial de comprendre le profil des mis en cause. Mais existe-t-il un profil type de l'enfant harceleur ?

Nicole Catheline : Non, il n’existe pas de profil type. En réalité, ce sont plutôt des situations ou des phénomènes de groupe qui conduisent au harcèlement. La personnalité des enfants et des adolescents n’est pas figée, c’est une période où l'on se cherche. Je préfère donc parler de « ratés du développement » plutôt que d'enfants ayant un profil particulier.

Dès lors, comment expliquer qu’un enfant devienne harceleur ? Y a-t-il un point de bascule, un cadre spécifique ?

Très souvent, ces enfants sont moins assurés que les autres, que ce soit en raison de problèmes familiaux ou de difficultés à l'école. Ces facteurs peuvent fragiliser les enfants, les plaçant dans des situations de vulnérabilité. Si une situation extérieure renforce ce sentiment, le harcèlement peut se déclencher. Par exemple, un enfant qui pense qu’il vient d’un quartier défavorisé et que sa famille ne s'intéresse pas aux études peut penser qu’il n’a pas d’avenir. Dès lors, voir un enfant qui réussit bien à l'école et obtient de bonnes notes peut renvoyer à ses propres difficultés. Cette vulnérabilité peut être passagère, transitoire. Elle ne fait pas partie de la personnalité de l’enfant.

Enfin, la dynamique de groupe qui se crée autour du harceleur peut faire dégénérer la situation. C’est ce qu’on appelle l’effet de meute. Appartenir à un groupe étant indispensable, les enfants se forgent des identités provisoires au milieu de leurs pairs. Ils se demandent s'ils peuvent avoir de l’influence, s’ils doivent plutôt suivre le mouvement dans le groupe… Ce sentiment d'appartenance étant très important pour éviter de se sentir exclus, les enfants - et plus encore les adolescents - ont tendance à imiter le comportement d’autrui. C'est pourquoi les suiveurs n'ont pas le même comportement que les meneurs. Une fois la compétition lancée, les enfants cherchent parfois l'idée « la plus créative » pour harceler la victime. Une fois cette spirale enclenchée, il est très difficile de l'arrêter. D’ailleurs, lorsque l’on interroge les suiveurs, on se rend compte qu'ils invoquent bien souvent l’envie de s’amuser, sans réaliser les conséquences de leurs actes.

Sait-on combien d’enfants sont concernés par cette problématique chaque année ?

On ne le sait pas précisément, et c'est justement tout le problème. Il y a simplement des enquêtes de l'Unesco, qui consistent en des auto-questionnaires. Selon les chiffres de 2019, en France, nous sommes aux alentours de 20% d’élèves qui se sentent harcelés, contre 15% en Espagne et 17% en Italie. Pourtant, ce sont des pays latins et méditerranéens, tout comme la France. Dans l'Union Européenne, la moyenne est de 25%, tandis qu'elle atteint 35% dans le reste du monde.

Le problème des auto-questionnaires, c’est que l'on peut s'interroger sur la perception du harcèlement par les enfants. Il faut également prendre en compte la formulation des questions. « Avez-vous été harcelé au moins une fois au cours de l'année scolaire ? » et « Êtes-vous victime de harcèlement ? » n'appellent pas les mêmes réponses.

Le milieu familial ou social dans lequel évolue l'enfant peut-il avoir une influence sur sa propension à devenir harceleur ?

C'est un sujet de débat récurrent. L’école pointe du doigt les parents, tandis que ces derniers rejettent la responsabilité sur l’école. Ce qui est certain, c’est que nous sommes façonnés par nos expériences de vie, nos familles et nos rencontres. Bien entendu, la famille joue un rôle essentiel en nous enseignant des valeurs. Cependant, cela n'explique pas tout. Un facteur crucial réside dans le sentiment d'insécurité ressenti par un enfant en cas de difficultés familiales. Si cet enfant éprouve également de l'insécurité sur les réseaux sociaux et à l'école, cela peut devenir accablant. Souvent, c'est cette situation qui conduit à des tragédies telles que le suicide, car il ne reste plus de lieu pour se ressourcer.

On dit souvent que la génération Z (les enfants nés après l’an 2000) est généralement plus ouverte au monde et à ses différences. Paradoxalement, est-elle aussi moins tolérante et plus encline au harcèlement ?

La génération Z est hautement informée, en grande partie grâce aux réseaux sociaux. Cette facilité d'accès à l'information tend généralement à rendre les enfants plus tolérants et ouverts. Cependant, les réseaux sociaux peuvent également inciter les individus à se regrouper en fonction de critères spécifiques, ce qui peut entraîner un repli sur soi et un manque d'ouverture envers le monde extérieur. Ainsi, il existe un paradoxe entre l'ouverture au monde par le biais de la connaissance et le risque de s'enfermer dans un groupe en raison de valeurs partagées.

Surtout, que peut-on faire pour prévenir de tels comportements aux conséquences parfois dramatiques ?

Nous vivons dans des sociétés qui privilégient souvent la réussite individuelle. L'idée prédominante est que l'on doit réussir par ses propres moyens, sans dépendre de quiconque. Cependant, le rôle du groupe est essentiel, et c'est ce message contradictoire qui peut poser problème. Il ne s'agit pas de remettre en question cette quête de réussite individuelle, mais il est important d'enseigner aux enfants qu'ils devront inévitablement vivre en société et que la capacité à vivre ensemble et à s'entraider est fondamentale.

Deuxièmement, il est essentiel d'apprendre aux enfants à reconnaître leurs émotions et celles des autres. Toutes les émotions, qu'il s'agisse de colère, de joie ou de tristesse, doivent être acceptées et exprimées. Il est primordial de leur expliquer qu'il n'est pas permis de décharger sa colère sur autrui. 

Enfin, il faut veiller aux valeurs transmises par l'environnement de l'enfant. Sur les réseaux sociaux, on constate que certains influenceurs gagnent d'importantes sommes d'argent en se contentant de promouvoir des produits de marque. Ces valeurs sont souvent en contradiction avec celles qui devraient être enseignées dans le cadre des efforts de prévention.

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